Au cours des voyages de l'année passée, elle s'était débarrassée de plusieurs de ses piercings. A la clinique de Gênes, un anneau dans le téton était passé à la trappe pour des raisons purement médicales liées à l'opération. Ensuite, elle avait retiré l'anneau de sa lèvre inférieure et, à la Grenade, elle avait enlevé un anneau subtilement placé entre ses cuisses — il lui faisait mal et elle ne savait plus très bien pourquoi elle s'était fait mettre un piercing à cet endroit.
Brusquement, elle ouvrit la bouche et dévissa la tige qui traversait sa langue et qu'elle portait depuis sept ans. Elle la posa dans un bol sur l'étagère à côté du lavabo. Sa bouche semblait vide. A part quelques anneaux à l'oreille, il ne lui restait que deux piercings, un anneau au sourcil gauche et un bijou au nombril.
Quand plus tard elle se glissa sous la couette toute neuve, elle découvrit que le lit qu'elle avait acheté était gigantesque et qu'elle n'occupait qu'une toute petite partie de la surface. Elle avait l'impression d'être couchée au bord d'un terrain de foot. Elle enroula la couette autour de son corps et réfléchit pendant un long moment.
6
DIMANCHE 23 JANVIER — SAMEDI 29 JANVIER
LISBETH SALANDER PRIT L’ASCENSEUR du parking au sous-sol jusqu'au quatrième étage, le dernier des trois étages dans l'immeuble de bureaux de Slussen qu'occupait Milton Security. Le double d'un passe qu'elle avait pris soin de se procurer quelques années plus tôt était encore bon. Elle regarda machinalement sa montre en sortant dans le couloir plongé dans le noir. 3 h 10 le dimanche. Le gardien de nuit se trouvait au centre de surveillance au deuxième étage et elle savait qu'elle serait selon toute vraisemblance seule au quatrième.
Comme toujours, elle était stupéfaite de voir qu'une entreprise de sécurité professionnelle laissait des lacunes si manifestes dans son propre système de sécurité.
Peu de choses avaient changé dans le couloir du quatrième au cours de l'année. Elle commença par sa propre pièce de travail, un petit cube derrière une cloison vitrée dans le couloir, où Dragan Armanskij l'avait installée. La porte n'était pas fermée à clé. Une table, une chaise de bureau, une corbeille à papier et une bibliothèque vide, le vieux PC Toshiba de 1997 avec un disque dur minable ; il ne fallut pas trente secondes à Lisbeth pour constater que pendant son année d'absence, absolument rien n'avait changé dans « son » bureau à part que quelqu'un avait déposé un carton avec de vieux papiers juste à côté de la porte.
Rien n'indiquait que Dragan avait installé là quelqu'un d'autre. Elle interpréta cela comme un bon signe tout en sachant que ça ne signifiait rien. Les quatre mètres carrés de cette pièce ne pouvaient pas être utilisés à grand-chose d'utile.
Lisbeth ferma la porte et enfila sans bruit tout le couloir en vérifiant qu'aucun noctambule n'était en train de travailler quelque part. Elle était seule. Elle s'arrêta devant la machine à café et fit sortir un gobelet en plastique de cappuccino avant de poursuivre au bureau de Dragan Armanskij et d'en ouvrir la porte avec sa clé piratée.
Comme toujours, le bureau d'Armanskij était d'une propreté agaçante. Elle fit un petit tour dans la pièce et jeta un coup d'œil sur la bibliothèque avant de s'asseoir à sa table et de brancher l'ordinateur.
Elle sortit un CD de la poche intérieure de sa veste en daim toute neuve et l'inséra dans le lecteur pour démarrer un programme nommé Asphyxia 1.3, qu'elle avait concocté elle-même et dont l'unique fonction était d'actualiser Internet Explorer sur le disque dur d'Armanskij. Le processus dura environ cinq minutes.
Cela terminé, elle sortit le CD du lecteur et redémarra l'ordinateur avec la nouvelle version d'Internet Explorer. Le programme avait l'air de l'ancienne version et se comportait exactement pareil, mais il était un poil plus lourd et une microseconde plus lent. Toutes les configurations étaient identiques à l'original, y compris la date d'installation. Du nouveau fichier, on ne voyait aucune trace.
Elle entra l'adresse d'un serveur ftp en Hollande et obtint un menu. Elle cliqua sur la case copy, tapa Armanskij/MiltSec et cliqua sur Entrée. L'ordinateur commença immédiatement à copier le disque dur de Dragan Armanskij sur le serveur en Hollande. Une horloge indiqua que le processus prendrait trente-quatre minutes.
Pendant le transfert, elle sortit le double de la clé du meuble-bureau d'Armanskij, qu'il gardait dans un pot de décoration dans la bibliothèque. Elle passa la demi-heure suivante à se mettre à jour sur les dossiers qu'Armanskij conservait dans le tiroir en haut à droite, où il rangeait toujours les affaires en cours et urgentes. Quand l'ordinateur signala que le transfert était terminé, elle remit les dossiers exactement dans l'ordre où elle les avait pris.
Ensuite elle arrêta l'ordinateur, éteignit la lampe de bureau et emporta le gobelet de cappuccino vide. Il était 4 h 12 quand elle pénétra dans l'ascenseur. Elle quitta Milton Security de la même manière qu'elle y était arrivée.
Elle rentra à pied à Fiskaregatan, s'installa devant son PowerBook, se connecta au serveur en Hollande et démarra une copie du programme Asphyxia 1.3. Une fois le programme lancé, une fenêtre s'ouvrit avec un choix de disques durs. Elle avait une quarantaine d'alternatives, et elle déroula le menu. Elle dépassa le disque dur de Nils-EBjurman, qu'elle ouvrait environ une fois tous les deux mois. Elle s'arrêta une seconde sur MikBlom/laptop et MikBlom/office. Elle n'avait pas ouvert ces icônes depuis plus d'un an et envisagea vaguement de les glisser dans la corbeille. Par principe, elle décida cependant de les garder — du moment qu'elle avait un jour piraté ces ordinateurs, ce serait stupide d'effacer l'information pour un jour peut-être être obligée de refaire tout le processus. C'était valable aussi pour une icône titrée Wennerström, qu'elle n'avait pas ouverte depuis longtemps. Le propriétaire était mort. L'icone Armanskij/MiltSec était la dernière créée, elle se trouvait tout en bas de la liste.
Elle aurait pu cloner son disque dur plus tôt mais ne s'en était jamais donné la peine puisque, travaillant à Milton Security, elle avait tout loisir de mettre la main sur l'information qu'Armanskij voulait dissimuler à l'entourage. L'intrusion dans son ordinateur n'avait rien de malveillant. Elle voulait tout simplement savoir sur quoi travaillait l'entreprise et quel en était l'état général. Elle cliqua et instantanément s'ouvrit un nouveau dossier intitulé [ARMANSKIJDD]. Elle vérifia qu'elle arrivait à ouvrir le disque dur et constata que tous les fichiers étaient en place.
Elle resta à son ordinateur et lut les rapports d'Armanskij, ses comptes rendus financiers et ses e-mails jusqu'à 7 heures. Pour finir, elle hocha la tête, préoccupée, et arrêta l'ordinateur. Elle entra dans la salle de bains se laver les dents, puis dans la chambre où elle se déshabilla et laissa les vêtements en tas par terre. Elle se glissa dans le lit et dormit jusqu'à midi et demi.
LE DERNIER VENDREDI DE JANVIER, Millenium tint son assemblée générale annuelle. Y participaient le comptable de l'entreprise, un commissaire aux comptes, les quatre associés Erika Berger (détentrice de trente pour cent des parts), Mikael Blomkvist (vingt pour cent), Christer Malm (vingt pour cent) et Harriet Vanger (trente pour cent). Avait également été convoquée à la réunion la secrétaire de rédaction Malou Eriksson, représentante du personnel en sa qualité de présidente de la cellule syndicale du journal, composée d'elle-même, Lottie Karim, Henry Cortez, Monika Nilsson et Sonny Magnusson, responsable de la publicité. C'était la première fois que Malou participait à une assemblée générale au niveau direction d'entreprise.
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