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Gérard De Villiers: Aurore noire

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Gérard De Villiers Aurore noire

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— Où es-tu, mon frère ?

— Plus très loin ! avait répondu l’Égyptien. Encore une heure peut-être. Et toi ?

— Moi, je suis déjà arrivé, mais je vais venir au-devant de vous. Quand la route sort des montagnes, il y a un à-plat et, sur la droite, une cabane en bois. Ma voiture est arrêtée devant. C’est une Land Rover. Arrêtez-vous quand vous me verrez.

Yassin Abdul Rahman sembla surpris.

— Nous arrêter ? Mais ce n’est pas là que…

— Je t’expliquerai, trancha le Pakistanais, avant de couper.

Surtout, ne pas s’éterniser au téléphone, forcément écouté. Bien sûr, grâce au GPS, on pouvait le localiser, ainsi que son interlocuteur, mais si une enquête avait lieu, ce serait trop tard…

Le plein fait, il était reparti, les deux flics toujours sur ses talons, reprenant la piste par laquelle il était arrivé.

Maintenant, il comptait les minutes, l’estomac noué, s’attendant sans cesse à voir des voitures de police arriver de Gwadar, appelées par les deux agents de l’ISI.

C’était le moment le plus dangereux. Il savait que les hommes du Nawar Jamil Al Bughti ne s’opposeraient pas à des agents de l’État pakistanais. Ils n’étaient pas payés pour cela. Or, il ne pouvait plus revenir en arrière. La base d’où était parti le convoi de Yassin Abdul Rahman n’existait plus, détruite à l’explosif. D’ailleurs, à partir du moment où le convoi avait pris la direction de Gwadar, il n’était pas question de changer de modus operandi. Les différents éléments d’« Aurore Noire » s’emboîtaient les uns dans les autres comme un puzzle. Le moindre contretemps déréglerait toute la mécanique.

Très loin, le muezzin d’une mosquée lança un cri aigu et Sultan Hafiz Mahmood s’agenouilla aussitôt sur le sol caillouteux. Il se prosterna vers l’ouest, là où se trouvait La Mecque, priant de toute son âme.

Lorsqu’il se releva, un bruit de moteur lui fit tourner la tête vers la sortie du défilé. D’abord, il ne distingua pas les quatre véhicules tant leur couleur se confondait avec celle des montagnes. Le soleil couché, celles-ci avaient repris leur teinte noirâtre. Un camion venant de Gwadar passa devant la cabane, croulant sous une montagne de sacs sur lesquels s’accrochaient quelques va-nu-pieds enturbannés. Au Baloutchistan, les transports en commun étaient rares. Sultan Hafiz Mahmood regarda pour la centième fois la voiture marron, arrêtée à deux cents mètres. Ses occupants semblaient bien décidés à ne pas le lâcher. Il avança au milieu de la piste, afin que le conducteur de la Range Rover de tête l’aperçoive. Dès qu’elle se rapprocha, il distingua derrière le pare-brise étoilé la barbe poivre et sel du Nawar Jamil Al Bughti, à côté du chauffeur. Le véhicule quitta la piste pour stopper à sa hauteur, suivi des deux camions et de la seconde Range Rover. Le regard de Sultan Hafiz Mahmood se porta aussitôt sur le premier camion, un Mercedes bâché d’une épaisse toile verte, avec trois hommes dans la cabine. Eux ne portaient pas de turbans, mais des barbes fournies. Un des trois était Yassin Abdul Rahman.

C’étaient eux, les combattants du djihad, ceux qui avaient juré de mourir pour vaincre les ennemis de Dieu… Yassin Abdul Rahman descendit, la barbe noire grise de poussière, et vint étreindre longuement Sultan Hafiz Mahmood. Comme deux frères se retrouvent après une très longue séparation.

— Que se passe-t-il, frère ? demanda l’Égyptien. Il y a un problème ? Nous n’allons plus à Gwadar ?

— Si, si, vous devez embarquer ce soir, confirma le Pakistanais, mais j’ai été suivi depuis Karachi.

— Suivi ! Par qui ?

L’Égyptien avait blêmi et son regard s’était éteint. Sultan Hafiz Mahmood le rassura en lui posant la main sur l’épaule.

— Des agents de l’ISI, mais je pense résoudre le problème. Remontez dans les véhicules et ne bougez pas.

Le Nawar baloutche avait sauté à son tour à terre et marchait vers Sultan Hafiz Mahmood, la barbe en avant, les traits tirés par la fatigue. Trois de ses hommes l’escortaient, bardés de cartouchières pour leurs vieux Lee-Enfield. L’un d’eux portait dans des étuis de toile accrochés à ses épaules plusieurs roquettes de RPG7 et un lanceur déjà armé d’une roquette.

Instantanément, Sultan Hafiz Mahmood entrevit la solution de son problème.

— Que se passe-t-il ? demanda Jamil Al Bughti, intrigué par cette halte imprévue.

Sultan Hafiz Mahmood tendit le bras vers la voiture arrêtée un peu plus loin.

— Des concurrents, fit-il sobrement. Je crois qu’ils veulent nous causer des problèmes. Je vais leur faire peur.

Il s’approcha du guerrier aux RPG7 et lui demanda en pachtou :

— Donne-moi ton RPG7.

Pour le paysan fruste habitué à obéir aux ordres, cet homme était sous la protection de son Nawar, donc il n’était pas un ennemi. Docilement, il fit glisser de son épaule le lance-roquettes armé et le tendit à Sultan Hafiz Mahmood.

Celui-ci s’écarta un peu, puis, posant le lance-roquettes sur sa partie arrière, passa l’index dans le cercle métallique retenant la goupille de sécurité de la roquette antichar. Il l’arracha d’un coup sec. Ensuite, il cala le tube sur son épaule et se déplaça légèrement, pour que la flamme de la propulsion ne brûle personne. Il cadra alors la vieille voiture dans le viseur rudimentaire, baissant un peu le tube pour être sûr de ne pas rater sa cible. Ces engins avaient tendance à tirer un peu haut.

Jamil Al Bughti le regardait, intrigué, persuadé qu’il n’allait pas tirer.

Sultan Hafiz Mahmood ajusta le viseur. D’abord, il avait pensé s’approcher de la voiture, mais ses occupants risquaient de s’enfuir. Et impossible d’intervenir dans Gwadar, sous les yeux de la population. Il appuya d’un doigt ferme sur la détente, l’enfonçant complètement. La roquette partit avec un sifflement et une flamme rougeâtre, laissant une traînée lumineuse derrière elle. Moins de deux secondes plus tard, la voiture explosa dans une énorme flamme orange. Sultan Hafiz Mahmood rendit le lanceur vide au guerrier baloutche. Le Nawar l’interpella, furieux.

— Pourquoi as-tu fait ça ?

— Pour éviter des problèmes, fit simplement le Pakistanais. Pour toi et pour moi.

Tirant une liasse de sa poche, il tendit deux billets de cent dollars au propriétaire du RPG7 pour qu’il puisse se racheter une roquette.

La voiture bridait, dégageant une épaisse fumée noire. Personne n’en était sorti et les 2000 degrés provoqués par l’explosion de la roquette n’avaient laissé aucune chance à ses occupants.

— Tu aurais dû me dire de faire intervenir mes hommes, suggéra Jamil Al Bughti, mécontent. Ils les auraient neutralisés jusqu’à ton départ.

— Je ne voulais pas te causer de souci, répondit hypocritement Sultan Hafiz Mahmood. Le problème est réglé. Nous pouvons repartir. Va jusqu’au port. À l’ouest de la jetée principale, il y a un appontement en bois. Un gros boutre de vingt-cinq mètres doit s’y trouver. Je vous y rejoins très vite, inch’ Allah.

Sans mot dire, le Nawar regagna sa Range Rover. Mis devant le fait accompli, il ne pouvait guère réagir. Quand il passa devant la voiture, elle continuait à brûler. Il était fréquent que des trafiquants de drogue s’expliquent à la Kalach, mais il ne voulait pas être mêlé à ce genre de règlement de comptes. Dès l’embarquement de la cargaison qu’il était chargé de protéger, il remonterait dans son fief de Dera Bughti.

*

* *

Sultan Hafiz Mahmood s’approcha de la voiture en flammes et braqua son extincteur sur le foyer principal. Il lui fallut tout le contenu de l’engin pour venir à bout de l’incendie. De la vieille japonaise, il ne restait que des tôles noircies et, à l’intérieur, deux formes recroquevillées, noires comme du charbon. La chaleur était encore si vive qu’il était hors de question de mettre la main à l’intérieur… Avec un bâton, le Pakistanais commença à explorer l’avant, entre le volant réduit à un fil de métal et les carcasses des sièges. Cherchant ce qui pouvait ressembler à un Thuraya.

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