— Quoi de neuf ? demanda William Loward à Tom Otaku.
— Rien, fit le Japonais. Ils ne bougent pas. Nous leur avons annoncé que l’avion s’était posé.
— Pas de nouvelles des otages ?
— Aucune.
Malko regarda le petit immeuble blanc cerné de projecteurs qui déchiraient le brouillard. Seule la fenêtre au coin du premier étage était faiblement éclairée. Le bureau de l’ambassadeur. Il pensa aux otages enfermés là depuis trois jours !
Saisi soudain par l’énormité de sa mission, il se demandait comment il allait s’en sortir. Tom Otaku s’approcha de lui, ses petits yeux vifs noyés dans la graisse l’observaient derrière ses grosses lunettes. Il avait visiblement hâte que l’échange se fasse. Il arborait une épingle mauve au revers de son veston. Comme tous les autres policiers. Afin d’éviter les fâcheux malentendus…
Malko était en train de demander comment les terroristes pensaient fuir. C’était un quartier dense, avec des rues étroites. Un policier japonais surgit en courant de l’ambassade et dit quelques mots à voix basse à Tom Otaku.
— Il les a prévenus que vous êtes arrivé avec Furuki, dit le Japonais à Malko. Nous attendons leurs instructions…
Malko se sentit horriblement humilié. Tout ce déploiement de forces pour être à la merci de quelques desperados… Les fenêtres de l’ Okura étaient presque toutes éclairées. Des gens avaient loué des chambres uniquement pour être aux premières loges. Le seul moyen, puisque la zone était interdite aux badauds. Un second policier rejoignit le premier, débita une longue tirade en japonais. De nouveau Tom Otaku fit l’interprète :
— Ils veulent que vous montiez avec Furuki jusqu’au palier du premier, qu’ils puissent le reconnaître.
— Allons-y, dit Malko.
* * *
Six gorilles, dont Chris Jones et Milton Brabeck, encadraient Furuki, menottes aux poignets. Ils s’engagèrent dans l’escalier, après cinq minutes de pourparlers menés en hurlant, par un policier japonais.
Malko emboîta le pas aux gorilles. Furuki était livide, mais ne se débattait plus. Son hémorragie avait cessé, on avait essuyé le sang de son visage mais le pansement de la tête était tout maculé.
Le groupe arriva sur le palier. La porte du bureau de l’ambassadeur était entrouverte, un rai de lumière en filtrait. Ils s’arrêtèrent, face à la porte, et le policier japonais cria une longue phrase.
La tension était presque palpable.
La porte s’ouvrit lentement sur Hiroko, mitraillette au poing. Ses longs cheveux réunis en chignon. Malko fut frappé par les yeux globuleux, jurant avec le visage harmonieux. Elle ne regarda que Furuki. Celui-ci se redressa, sourit, cria quelque chose. La fille referma aussitôt la porte, après avoir jeté quelques mots.
L’interprète reflua précipitamment vers l’escalier.
— Ils veulent que nous redescendions tout de suite, sinon, ils tireront.
Ils regagnèrent le hall. Furuki semblait très calme. Plus trace de la peur qu’il avait montrée dans l’avion…
— Qu’a dit Furuki ? demanda Malko, intrigué.
— Qu’il les remerciait, fit l’interprète. Qu’il était fier de combattre pour le Sekigun.
Dans le hall, on apporta du thé chaud pour tout le monde. Malko le but avec joie. La tension commençait à l’envahir lui aussi. Tout le monde était nerveux, irritable. Un Américain et un Japonais commencèrent à échanger des propos dépourvus de toute aménité. Personne ne savait ce qui allait se passer…
— On ne peut vraiment pas aller les chercher ? soupira Milton Brabeck.
— Sauf si vous étiez l’Homme Invisible, dit Malko. Et encore…
Il y eut un remue-ménage dans le parking et, deux minutes plus tard, le préfet de Police de Tokyo surgit, un morceau de papier à la main :
— Ils veulent qu’un hélicoptère se pose sur le toit de l’ambassade d’ici une demi-heure, annonça-t-il. Avec seulement l’équipage à bord.
William Loward et Tom Otaku surgirent à leur tour. L’Américain vint droit sur Malko.
— Les Japonais demandent si vous êtes d’accord pour l’hélicoptère ?
Malko se dit qu’il n’y avait aucune raison de refuser. Au point où ils en étaient. L’ambassade se trouvait au coeur de Tokyo, au centre d’une énorme zone urbaine. Où voulaient-ils aller ?
— Faites ce qu’ils disent.
William Loward prit Malko par le bras.
— Venez vous reposer un moment dans la Cadillac. Vous aurez besoin de toute votre énergie tout à l’heure.
Et aussi d’un peu de chance…
* * *
Le « vloof-vloof » de l’hélicoptère s’était tu déjà depuis plusieurs minutes. À cause du brouillard, il avait tourné dix minutes avant de pouvoir se poser sur le toit plat de l’ambassade américaine. À bord il n’y avait qu’un pilote et son copilote, sans armes, comme l’avaient exigé les terroristes. La tension avait brusquement monté parmi ceux qui attendaient. Les barrages de police faisaient même rebrousser chemin aux taxis destinés à l’ Okura dont le directeur commençait à maudire les « honorables abominables » terroristes.
Plusieurs hélicoptères de la police et de l’armée tournaient dans le ciel de Tokyo, au-dessus du brouillard, prêts à prendre en chasse l’appareil des terroristes dès qu’il redécollerait.
Malko, debout dans le parking, au milieu des officiels, leva les yeux vers la fenêtre allumée. Le rideau venait de s’ouvrir. Un papier lesté tomba de la fenêtre. Les Japonais se précipitèrent. Furuki attendait dans la Cadillac, sous les pistolets des « gorilles ». Prévenu qu’à la première fausse manoeuvre, il était abattu.
Tom Otaku, parti aux nouvelles, revint trouver Malko.
— Voilà la proposition, annonça-t-il. Ils vont envoyer l’un d’eux reconnaître les lieux. Si tout va bien, ils nous feront signe alors d’évacuer TOTALEMENT l’ambassade. Ils gagneront le toit en laissant leurs otages dans le bureau, n’emmenant que l’ambassadeur. Dès qu’ils seront installés dans l’hélicoptère, ils tireront un coup de feu en l’air. Vous viendrez alors avec Furuki. L’échange se fera alors : M. Henderson contre Furuki. Si tout ne se passe pas comme convenu, l’ambassade sautera ; ils ont des grenades explosives et l’hélicoptère a le plein. Si le rotor de l’engin s’arrête, ils font aussi tout sauter…
Malko sentit son estomac se rétracter. C’était de la « roulette russe », version nippone…
Une fois sur le toit, il serait entièrement aux mains des terroristes… Mais il n’avait pas le choix… Une demi-douzaine de case-officers de la C.I.A., plusieurs officiers américains et des membres du State Department buvaient les paroles du Japonais. Les poings serrés au fond de leurs poches. Si les terroristes avaient ordonné que le préfet de Police de Tokyo se déculotte et danse la gigue, il aurait dû s’exécuter ou échapper à la brimade par un honorable hara-kiri. C’était déprimant.
— Et ensuite ? demanda-t-il.
Les yeux minuscules de Tom Otaku se rétrécirent encore.
— Nous ne savons pas. Les deux pilotes de l’hélicoptère sont des volontaires ; tant qu’ils ne seront pas sains et saufs, il faut être très prudent…
— Bien, dit Malko, allons-y.
Tom Otaku se rapprocha encore, visiblement nerveux.
— Sir, dit-il, j’attire votre attention sur le fait que, M. Henderson relâché, il restera encore deux citoyens japonais dans cet appareil… Il ne faudrait pas que…
Il craignait que les « gorilles » de la « Special Operation Division » ne se laissent aller à leurs mauvais instincts. Malko le rassura.
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