AUGUSTE LE BRETON
Du rififi à New York
Aux Américains et aux Français de New York je dédie ce livre ; sans leur aide je n’aurais pu l’écrire.
Mes remerciements vont en particulier à M. le Directeur des Douanes de l’État de New York, et à ses fameuses équipes d’agents du trésor, surtout à Jacques-L. Ch… d’origine française qui, de jour ou de nuit, m’a piloté, non sans risque, dans les bas-fonds et les endroits saugrenus que je désirais voir pour ma documentation.
Je remercie également les services municipaux de New York, les polices-stations qui m’ont reçu, le Directeur de la Prison des Tombes et ses hommes, le grand champion Sugar Ray Robinson et Nypry Russel du Baby Grant dont les noms sont une sauvegarde dans Harlem, le consulat général de France à New York, et mes amis :
Marcel Barockel, Jack Malinov, Maurice Konig, la comtesse Maya, Guy Quintana, et enfin mon éditeur Sven Nielsen qui ne m’a pas ménagé son appui.
À tous merci.
Une grande animation régnait au 201 Varick Street, dans ce vaste immeuble où se tiennent les services douaniers de l’État de New York.
C’était une allée et venue d’inspecteurs, d’agents du trésor, de secrétaires, et de dactylos qui venaient d’attaquer leur journée.
Les ascenseurs ne cessaient de grimper ou de descendre. Au 4 eétage, le directeur des douanes sortit de l’un d’eux. Il prit à gauche là où sont les bureaux des spécialistes du trafic de l’or, des diams, des perles, des devises, des stups, etc. En un mot, de tout ce qui se fraude dans le monde. Et Dieu sait si honnêtes gens et malfrats sont friands à doubler la douane !
Dans le long couloir un homme accoté au mur gris lisait le journal. Il était petit, ses yeux restaient planqués derrière des verres fumés et un chapeau sombre le coiffait. Un chapeau à bords ridiculement étroits, comme c’était la mode en ce moment à New York. Le directeur lui décocha un bref coup d’œil avant d’allonger le bras vers la porte 420. Il allait entrer quand il s’immobilisa. Émergeant des lavabos, Mike Coppolano s’avançait en baillant. Pas besoin d’être futé pour voir où qu’il avait passé la nuit. Sa cravate, dénouée, pendait de chaque côté de sa chemise froissée, au col déboutonné et sa barbe blonde, pas très fournie, faisait crasseux dans sa face bronzée au menton dur. Quant à son pli de pantalon et au brillant de ses chaussures… Il avait dû se fourrer le crâne sous un robinet car des gouttes d’eau scintillaient sur ses cheveux d’un blond foncé, coupés court.
Son patron lui serra la main.
— Alors Mike ?
Le grand gars poussa un soupir de regret.
— Rien à faire. Elle s’entête à nier.
Il se frotta le visage d’un geste viril, précisa sans pouvoir cacher une sorte d’admiration :
— … Quatorze heures que ça dure. Jamais vu tant de résistance chez une fille. Elle est du genre coriace…
— Elle n’a pas varié au sujet de ce Muller ?
Le jeune agent du trésor haussa les épaules.
— Hélas, non. Elle prétend qu’elle le connaît que sous ce nom, qu’elle ignore son adresse, et qu’il lui a remis les paquets sans l’avertir que c’était de la dop [1] De doping : drogue, stupéfiant.
.
— Incroyable, murmura le directeur. Une femme se fait prendre avec deux kilos d’héroïne sur elle et maintient qu’elle croyait que c’était de l’essence de parfum ! Incroyable !
Il piocha deux Camel dans sa poche de veston, en tendit une à son subordonné, ajouta :
— J’ai rendez-vous avec le consul de France tout à l’heure. Comme j’aimerais qu’il réussisse à la convaincre de parler ! Car sinon comment renouer la chaîne avec ceux qui attendaient la drogue ici ?
Mike lui offrit une allumette enflammée.
— Ça m’étonnerait qu’il y parvienne. Mais après tout on sait jamais… Peut-être qu’un type de son pays aura plus de chance que nous.
Il poussa la porte 420, s’effaça devant son chef, lança vers l’homme au journal qui hochait la tête en sa direction :
— Encore une minute, Fred, et je suis à toi.
Rassuré, l’homme se replongea dans sa lecture.
Mike entra et referma, pendant que le directeur toussotait, pris à la gorge par la fumée accumulée durant la nuit.
— Bon Dieu, les gars, vous pourriez aérer ! reprocha le grand patron en observant la femme assise sur une chaise placée devant le bureau de Mike.
Il ne l’apercevait que de trois quarts car le bureau de Mike tournait le dos à la fenêtre.
Elle avait passé la trentaine. Ses joues étaient creusées par la fatigue, son teint plombé, mais elle se tenait droite, presque digne, dans son élégant tailleur d’hôtesse de l’air.
Tom O’Bannion, l’équipier de Mike, se laissa glisser du bureau voisin qu’il écrasait d’une fesse, et alla ouvrir la fenêtre. Aussitôt l’air frais s’engouffra, faisant frémir les paperasses et frissonner la jeune femme. Se plantant dos à la porte, le directeur lâcha un jet de fumée :
— Ainsi on ne veut pas parler ? Nous dire qui est ce Muller ?
Elle se retourna et le fixa, soulagée d’échapper un instant à l’aveuglante lumière braquée sur elle.
— Que pourrais-je vous dire ? Je ne sais rien.
Les trois hommes échangèrent un regard. Puis Mike regagna son bureau en secouant une tête chagrine. Au passage, il éteignit la lampe. Tom reprit place sur le sien, un pied sur son fauteuil. Lui non plus n’avait pas dormi. Il était aussi salingue que Mike et baillait encore plus.
On heurta à la porte. Mike aboya :
— Entrez !
Une secrétaire apparut. Elle portait des gobelets de carton qu’elle déposa devant Tom. Sur un signe de celui-ci elle ressortit non sans jeter sur la femme assise un coup d’œil apitoyé.
Tom ôta un couvercle, tendit un gobelet de café chaud et sucré à la jeune femme.
— Non ! le stoppa Mike se dressant vivement. Qu’elle parle d’abord !
Une lueur farouche venait de jaillir de ses yeux d’un bleu acier. Ses lèvres étaient bloquées et ses mâchoires saillaient.
— Mais enfin, Mike… s’étonna Tom.
— Qu’est-ce qui vous prend, Mike ? s’inquiéta à son tour le directeur. Après tout, c’est une femme…
Son doigt désignait l’hôtesse d’Air France qui demeurait bras en suspens, main allongée vers le gobelet. Le regard de Mike chercha celui de son chef, ses poings lentement se crispèrent.
— Pour moi il n’y a ni homme ni femme, patron. Mais seulement un trafiquant de dop. De cette saloperie de came qui pourrit notre jeunesse et démolit des milliers de gens de chez nous. De cette saloperie de saloperie de came qui s’infiltre même dans nos écoles et arrive à rendre cinglés des gosses de douze, quatorze ans. Il hurla presque : « De douze, quatorze ans ! Vous comprenez patron ? De douze et quatorze ans. »
La dernière phrase il l’avait martelée. Puis il se tut subitement, comme honteux. Son chef alla lui tapoter l’épaule. Sa voix se fit apaisante, paternelle.
— Allons, allons, Mike… Je sais ce que vous ressentez. Mais à quoi bon se montrer plus durs que nécessaire. Un peu de café ne changera rien à l’affaire, vous savez.
— O. K., patron, fit Mike en se rasseyant, c’est vous qui décidez.
Et vers son copain, dans un claquement de doigts :
— File-lui du jus, Tom.
Tom s’exécuta. Tous regardèrent la femme boire avec avidité, à croire qu’elle espérait trouver dans le café de la force pour se bagarrer et nier encore.
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