Ted désigna l’amas de joyaux, et les liasses de dollars.
— Voilà le plus beau réveillon de ma vie. Et si vous le permettez je vais ajouter 300 000 dollars à ces liasses pour régler mon addition.
Les fausses dents de M’man luirent dans sa figure ronde.
— Vous avez ma permission et ma bénédiction avec.
Le fourgue exhiba une énorme enveloppe, l’ouvrit, en sortit des billets qu’il se mit à compter.
— J’ai toujours eu un faible pour la couleur verte de ces billets ! s’exclama M’man, puisant dans sa boîte de chocolats. À croire qu’ils vont bien aux blondes.
— Qui n’aurait pas un faible pour eux ! répliqua Ted qui comptait avec dextérité. Je crois même qu’ils vont bien aux chauves.
Quand il eut fini, M’man, aidée de Sam, vérifia à son tour, puis dit :
— J’ai ici des gens pressés. Si vous voulez accepter d’aller dans ma chambre pendant qu’ils sortent… Inutile qu’ils vous voient.
— Mais comment donc, s’empressa Ted, qui avait déjà sorti une loupe de son gilet. Tout de suite.
Sam alla l’enfermer dans la chambre de sa mère et revint ouvrir aux autres.
— Voilà vos 700 000 dois, dit M’man aux Canadiens, poussant des liasses vers eux. Si vous tenez à vérifier… C’est normal.
Hector indiqua les liasses à son jeune frère.
— Emporte. Vous savez à qui le confier.
Et, vers M’man, en allongeant sa main puissante :
— Je m’en voudrais de recompter derrière vous, M’man. Au revoir et merci.
— Si vous avez un autre travail dans le genre la semaine prochaine… blagua Honoré, lui serrant la main à son tour.
— N’y prenez pas goût, sourit M’man en les raccompagnant. Ça pourrait devenir indigeste. Allez, au revoir les gars. Et bonne route, ajouta-t-elle en leur ouvrant.
Les trois Canadiens franchirent le seuil, se retournèrent dans un salut amical et disparurent. M’man referma doucement, revint vers la table, l’indiqua.
— Il reste 392 000 dois de liquide à nous partager. Je propose qu’on en touche 100 000 chacun. Enfin, je veux dire pour vous. Moi, je prendrais les 92 000. Ça vous va ? On réglera tout définitivement quand Ted aura achevé l’expertise et nous aura apporté le fric. D’accord ?
Elle se tourna vers le vieux. Celui-ci inclina sa tête argentée.
— Comme vous ferez, ça sera bien, M’man.
— Alors voilà déjà vos cent mille thunes, reprit-elle, lui allouant des liasses de 1000 et 10 000 dollars. Prenez-les et venez déjeuner demain matin à midi si vous voulez. Peut-être que Ted et son groupe auront réussi à réunir le pognon même un jour de Noël. Ils sont assez puissants pour ça. De toute façon venez, on trinquera à notre réussite.
— J’aimerais mieux un peu plus tard, fit le vieux. Demain midi, je suis en famille.
— Moi aussi, déclara Steve, empochant à mesure les liasses que M’man poussait vers lui.
Ses yeux étincelèrent d’orgueil et de joie quand il ajouta :
— Margaret va enfin savoir ce que c’est qu’un vrai Noël. Je file la chercher et je l’emmène dévaliser les magasins. Puis après, hop ! à nous la fiesta toute la nuit.
— Fais pas d’imprudence quand même, conseilla M’man. Inutile d’attirer l’attention sur toi.
Steve lui sourit.
— Vous bilez pas, M’man. Je ferai gaffe à pas me faire remarquer. Surtout dans mon quartier. Alors pour demain, voulez-vous vers quatre, cinq heures ?
M’man consulta le vieux du regard.
— Cinq heures, ça m’irait si vous êtes d’accord, fit celui-ci en récupérant son feutre sombre.
— Alors entendu pour 5 heures, accepta M’man en les reconduisant. Mais pas avant. J’ouvrirai à personne de la journée.
Son pouce se pointa vers la table.
— C’est plus prudent, si je suis pas encore débarrassée de ça. Donc à 5 heures pile. Et avant de monter, donnez vos noms dans le parlophone, sinon j’ouvrirai pas. Excusez-moi mais je dois être méfiante.
Les deux hommes acquiescèrent. Elle ajouta :
— Joyeux Noël à vous et aux autres.
— Merci, renvoyèrent les deux hommes. Joyeux Noël pour vous et Sam, M’man.
Le petit tueur, qui se dirigeait vers la chambre pour en libérer Ted, les remercia d’un geste du bras.
Parvenue à la porte, M’man dit à Steve en tirant le verrou :
— Je te chasse pas, Steve. Si tu préfères rester pour participer à l’inventaire c’est ton droit. Je me vexerai pas.
Avant de franchir le seuil, Steve se retourna sur elle :
— Vous salissez pas, M’man. Bonsoir. Et bon Noël.
Et il rejoignit le père de Mike qui l’attendait en haut des marches.
Louis et Steve s’étaient séparés peu après leur départ de chez M’man. Col du pardessus relevé, feutre sur les yeux, le vieux qui avait décidé d’aller dîner chez César avançait sous la neige qui tombait toujours. Marcher du Bowery à Spring Street lui ferait du bien. Et au moins sa solitude lui permettrait de songer à l’Oranais, et à tout cet argent qu’à présent il possédait. D’ici demain il serait à la tête de 400 000 dois. De quoi rêver. Enfin il allait pouvoir offrir à Mike et à Connie cette fameuse maison de campagne ! Pour justifier tout ce pognon, il trouverait bien. Il raconterait une fantastique histoire de gain aux courses, ou encore aux Nombres. Aux Nombres ? À cette idée, il se rappela Johnny Vaccario et sa dette. Il allait la lui rembourser, oui. Et avant longtemps encore. Il n’attendrait pas le 30. Demain matin au plus tard… Ce fumier de Johnny. Le fumier.
Apercevant une boutique, il y entra pour acheter des havanes, se cogna dans un couple qui en sortait.
— C’est pas toi qui serais capable de réussir une affaire pareille ! lançait la femme avec aigreur.
— Mais je ne suis pas un bandit ! se rebella l’homme. Tu en as de bonnes, toi. Tu me vois attaquer un SAFE arme au poing ?
Le vieux n’entendit pas ce que répondait la femme car ils s’éloignaient. Il sourit en s’emparant de la boîte de havanes. Mais son sourire s’effaça, lorsqu’il en alluma un, car dans la flamme de l’allumette venait d’apparaître le visage de l’Oranais.
* * *
Steve descendit du taxi en bas de chez lui.
La crasse et la misère de la 112 eRue s’étaient comme volatilisées sous le matelas de neige qui recouvrait le tout.
Ici aussi les Cafards préparaient Noël. Malgré le froid, la rue était animée par un va-et-vient joyeux, et des éclats de rire fusaient, nombreux sous les mauvaises lumières.
Steve grimpa lentement les marches. Son cœur lui cognait. De joie. Enfin, il la tenait la fortune. C’est lui qui avait eu raison. Et tout ce qu’il avait prédit arriverait : le roman édité, le pardon des collègues journalistes, la gloire, les voyages, le bonheur pour Margaret. Sa Margaret. À présent il allait pouvoir la gâter, se faire tout pardonner. Sa Margaret. Elle ne le traiterait plus de raté maintenant ! Un reflet d’orgueil éclaira ses traits tourmentés quand il glissa la clef dans la serrure. Il entra sans bruit et sourit de voir la pièce dans le noir. Margaret s’était endormie ; il distinguait le lit dans la pénombre et les formes de sa femme sous les draps. Il referma doucement, allongea la main vers le commutateur, puis se retint. Son sourire s’accusa. Il avait une meilleure idée. Tout en se fouillant il avança lentement vers le lit. Parvenu tout près, il sortit les mains de ses poches et commença à laisser choir d’un geste tendre des coupures de 10, 50, 100 et 1000 dollars, sur la forme étendue.
— Je t’avais promis de te couvrir d’or, ma chérie, murmura-t-il d’une voix sourde. Maintenant tu me croiras.
Ses mains repartirent vers ses poches et d’autres billets s’éparpillèrent sur le lit.
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