Arthur Doyle - Contes De Terreur

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Une entité malfaisante dévore des pionniers de l'aviation par delà les nuages… – Un mystérieux objet, un entonnoir en cuir, nous révèle, grâce à la psychologie des rêves, sa terrible utilisation… – Une petite vengeance amoureuse entre deux archéologue dans les catacombes romaines… – Un homme, une femme, son amant et un scalpel… – Et autres contes de terreur…

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27 avril . – Lorsque j’étais étudiant, j’avais la réputation d’avoir du courage et d’être entreprenant. Je me rappelle que pour une chasse au fantôme à Coltbridge, c’est moi qui me suis installé dans la maison hantée. Est-ce parce que j’ai pris de l’âge (pourtant, je n’ai que trente-cinq ans!) ou est-ce parce que je suis malade que j’ai laissé entamer mes qualités d’autrefois? En tout cas, il suffit que je pense à cette horrible caverne dans la montagne et que je me dise qu’elle est habitée par un monstre pour que mon cœur s’arrête de battre. Que vais-je faire? Une heure ne s’écoule pas sans que je me pose cette question. Si je ne dis rien, le mystère demeurera entier. Mais si je parle, je serai placé devant l’alternative que l’on me prenne pour un fou et que l’on m’enferme, ou que j’alarme toute la campagne. En résumé, je crois que je ferais mieux d’attendre, et de me préparer en vue d’une expédition qui serait mieux réfléchie et aussi plus concluante que la dernière. Mes premières démarches m’ont ramené à Castleton; je me suis procuré des choses essentielles: une forte lampe à acétylène et un gros fusil de chasse à deux canons. J’ai loué cette arme à feu, mais j’ai acheté une douzaine de cartouches pour gros gibier: elles abattraient un rhinocéros. Maintenant je me sens prêt à affronter mon ami troglodyte. Si je disposais d’une meilleure santé et si j’avais un sursaut d’énergie, j’en terminerais au plus vite avec cette affaire. Mais de qui ou de quoi s’agit-il? Ah! Voilà le problème qui m’empêche de dormir. Combien de théories défilent dans ma tête, et que j’écarte les unes après les autres! Tout est tellement invraisemblable! Et pourtant ce cri, l’empreinte, les pas dans la caverne, je suis bien obligé de les admettre comme autant de faits. Je pense aux dragons des vieilles légendes… Ces monstres existeraient-ils ailleurs que dans les contes de fées? Se peut-il que je sois destiné, moi entre tous les hommes, à révéler leur réalité vivante?

3 mai . – Je suis resté alité plusieurs jours en raison des caprices d’un printemps anglais, et, pendant ce temps, certains événements se sont produits; en dehors de moi, nul ne peut en apprécier le véritable caractère. J’ajoute que nous avons eu des nuits nuageuses et sans lune; de ces nuits au cours desquelles, d’après ce que l’on m’avait dit, des moutons disparaissaient. Hé bien, des moutons ont bel et bien disparu! Deux appartenaient aux demoiselles Allerton, un au vieux Pearson, et un autre à Madame Mourton. Quatre en trois nuits. Ils n’ont laissé aucune trace; tout le pays voit partout des bohémiens et des voleurs de bétail.

Mais il y a plus grave. Le jeune Armitage a également disparu. Tôt dans la soirée de mercredi, il a quitté sa cabane sur la lande, et depuis lors on n’a plus entendu parler de lui. Comme c’était un homme sans attaches, sa disparition n’a suscité qu’une émotion relative. Les bonnes langues racontent qu’il avait des dettes, qu’il a trouvé une situation ailleurs, et qu’il donnera bientôt de ses nouvelles, ne serait-ce que pour récupérer ce qu’il a laissé chez lui. Mais j’ai d’autres pressentiments, plus inquiétants. N’est-il pas beaucoup plus probable que la disparition des moutons l’ait incité à se lancer dans une aventure qui aurait causé sa perte? Par exemple, qu’il ait guetté la Bête, et qu’elle l’ait surpris, emmené dans un recoin caché au fond de la montagne? Quel inimaginable destin, pour un Anglais civilisé du XX èmesiècle! Inimaginable, mais que je devine possible et même vraisemblable. Seulement dans ce cas, jusqu’à quel point suis-je responsable de sa mort? Jusqu’à quel point ne serais-je pas responsable d’autres malheurs éventuels? Le doute n’est plus permis: sachant ce que je sais déjà, je ne peux pas me dérober; mon devoir consiste à m’assurer que quelque chose sera fait, et au besoin à le faire moi-même. Fort bien. Je n’ai pas le choix. Ce matin je suis descendu au commissariat de police pour raconter mon histoire. L’inspecteur l’a enregistrée dans un gros livre, m’a salué avec infiniment de gravité, mais à peine avais-je refermé la porte que j’ai entendu de grands éclats de rire. Il devait certainement se faire des gorges chaudes de ma naïveté. Je me débrouillerai seul.

10 juin . – C’est de mon lit que je reprends ce journal, après six semaines d’interruption. J’ai subi un choc terrible, à la fois mental et physique, à la suite d’une aventure comme en ont rarement vécu des êtres humains. Mais au moins j’ai atteint le but que je m’étais fixé. Le danger émanant de la Bête du Blue John est à jamais écarté. Voilà ce que moi, un malade à bout de forces, j’ai accompli pour la société. Je vais raconter le plus clairement possible ce qui s’est produit.

Vendredi 3 mai, la nuit était très noire. C’était la nuit idéale pour une sortie du monstre. Vers onze heures du soir j’ai quitté la ferme avec ma lampe à acétylène et mon fusil, après avoir laissé sur la table de ma chambre un billet où j’indiquais que, si mon absence se prolongeait, il faudrait me chercher du côté du trou du Blue John. Je me suis dirigé vers l’entrée de la voûte romaine, je me suis penché sur un rocher qui surplombait l’entrée, j’ai éteint ma lanterne et j’ai guetté, le fusil chargé à la main.

Faction mélancolique! Sur les pentes de la vallée, je distinguais les lumières des fermes isolées; la cloche de l’église de Chapel-le-Dale égrenait faiblement les heures. Ces manifestations de la présence lointaine de mes compatriotes ne faisaient qu’accroître mon sentiment de solitude, que m’obliger à maîtriser davantage la terreur qui me donnait envie de revenir à la ferme et de renoncer définitivement. Mais chaque homme possède un respect de soi-même bien enraciné, qui s’oppose à ce qu’il abandonne une entreprise commencée. Ce sentiment de fierté personnelle m’a bien soutenu; c’est à lui seul que je dois d’avoir tenu bon, alors que tous mes instincts me poussaient à fuir. Maintenant, je suis heureux d’avoir eu cette force. En dépit de tout ce qu’elle m’a coûté, ma dignité d’homme ne me fait aucun reproche.

Minuit avait sonné. Une heure. Deux heures. C’était au plus sombre de la nuit. Les nuages bas couraient au-dessus de la terre; il n’y avait pas une étoile dans le ciel. Quelque part sur les rochers une chouette hululait; le doux soupir intermittent du vent était l’unique bruit qu’enregistraient mes oreilles. Et puis tout à coup je l’ai entendue.! Au loin, en bas dans la caverne a retenti le pas étouffé de la Bête, à la fois léger et pesant. J’ai entendu aussi rouler les pierres que foulait ce monstre. Le pas s’est rapproché. La Bête est arrivée tout près de moi. J’ai entendu le craquement des buissons qu’elle écartait, qu’elle écrasait autour de l’entrée; et puis, confusément, dans l’obscurité, j’ai distingué une masse énorme, une sorte d’animal informe, monstrueux qui sortait rapidement et silencieusement du trou. La peur et la stupéfaction m’ont paralysé. J’étais pourtant depuis longtemps à l’affût; mais devant mon gibier, je suis resté immobile, sans forces. La Bête a pris son élan; elle est passée tout près de moi et elle s’est évanouie dans la nuit.

Je me suis armé de courage pour son retour. Dans la campagne endormie, aucun bruit ne révélait sa présence. Il m’était impossible d’estimer la distance à laquelle elle se trouvait, de deviner ce qu’elle faisait, de supputer l’heure de sa rentrée. Mais m’étant juré que mes nerfs ne flancheraient pas une deuxième fois, j’ai calé mon fusil chargé sur les rochers.

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