— De quoi t'est-ce qu'il s'agit ?
— Va interviewer gentiment la concierge du consulat, histoire de savoir si le consul crèche ici ou bien s'il ne s'agit que de locaux professionnels.
Docile, le cher Béru s'éloigne à nouveau. C'est un bon toutou auquel on peut jeter la balle autant de fois qu'on le désire : on est certain qu'il la rapportera.
— Conclusion ? demande le Vieux.
Il est neuf plombes du soir, ce qui, chez les chefs de gare, équivaut à 21 heures. Le Boss paraît un brin fatigué : j'ai idée qu'il devrait se mettre un peu au vert de temps à autre, histoire de se démiter les soufflets. A force de croutonner dans son burlingue il finit par devenir inhumain. Je vous parie un foie de veau contre la foi d'un dévot qu'il n'a pas vu un brin d'herbe depuis près de vingt piges. L'univers, pour lui, c'est des classeurs, des dossiers, des flics… Faudrait être le Dante pour raconter ce qui se passe dans sa tronche.
— Conclusion ? répète-t-il de sa voix pareille à une allumette rebelle qui dit crotte à son grattoir.
— Conclusion toute officieuse, monsieur le Directeur, rectifié-je.
— Naturellement.
— Selon moi, il y a eu lors de ces quatre derniers jours un attentat contre un membre du consulat. Des tireurs se sont embusqués chez le professeur Maupuy et ont mitraillé quelqu'un dans le bureau faisant face au domicile de mon ancien Prof. Pour des raisons « x », les gens du consulat ont gardé la chose secrète. Ils ont même poussé la discrétion jusqu'à ne pas faire remplacer la vitre pulvérisée par les projectiles. Qui a été tué ? Mystère ! Quelqu'un même a-t-il été tué ? Cela reste à déterminer. En tout cas, la victime a saigné puisqu'ils ont décousu une certaine surface de moquette. Lorsque Pinaud s'est présenté, déguisé en vitrier, ils n'ont pas été dupes et ont voulu le neutraliser définitivement. Je pense qu'ils ne l'ont pas pris pour un flic, mais plutôt pour un membre du clan adverse qui est en guérilla avec eux.
Le big boss opine.
— Curieux tout de même qu'ils se soient résolus à une pareille extrémité, ce pouvait être dangereux.
— Les faits sont là.
Ils sont même un peu là, les gars. Comme j'achève ces belles paroles, le bigophone du Vieux se met à gazouiller. Le Tondu décroche.
— J'écoute !
Et il écoute en effet. Il écoute même de plus en plus. Ce qu'on lui bonnit doit le passionner vilain car sa figure devient pareille à un masque funéraire. A la fin il remet le combiné sur sa fourche.
— Eh bien, voilà qui ne manque pas d'intérêt, mon cher San-Antonio, me dit-il de sa voix gourmande de vieux matou.
J'attends la suite.
— Un individu habillé en infirmier s'est introduit à l'hôpital Beaujon et a révolvérisé le voisin de lit de Pinaud. Le malheureux est mort, tué net.
Il n'a pas achevé que je suis déjà à la lourde.
— San-Antonio ! me héla le Dabe, tenez-moi au courant.
Je préfère vous dire qu'il y a un drôle de remue-ménage dans l'hosto, mes frères ! Ça foisonne dur dans le secteur. Les journalistes et leurs flashes s'en donnent à cœur joie, malgré les protestations du personnel hospitalier. Heureusement, des matuches radinent, qui virent ces envahisseurs à coups de pèlerine.
— Ça vous ennuierait de me gratter le dessus du crâne ? supplie Pinuchet. Figurez-vous que ces émotions m'ont déclenché une crise d'urticaire !
Béru lui laboure le dôme de ses griffes puissantes. Soulagé, Pinaud bat des paupières en guise de remerciement.
— Que s'est-il passé ? Je demande.
Le tendre Débris renifle et refoule du bout de la langue un coin de sa moustache qui lui titillait les lèvres.
— Je dormais. J'ai entendu un bruit étouffé. J'ai ouvert les yeux et aperçu une silhouette blanche qui s'enfuyait. Il y avait un nuage de poudre dans la chambre. Ces messieurs (il désigne ses voisins de chambre terrorisés) et moi-même toussions à en perdre le souffle. L'assassin avait mis un silencieux à son arme.
Je m'adresse aux deux autres voisins de lit : d'aimables vieillards en réparation.
— L'un de vous, Messieurs, a-t-il vu l'assassin ?
— Moi, fait le plus âgé.
Il est gros, jaune, avec un crâne chauve et blanc.
— J'ai cru que c'était un garde de nuit, je n'y ai pas pris attention, chevrote ce trois quarts de siècle en me contemplant.
— Et alors ?
— Il s'est approché de tous les lits et nous a tous regardés les uns après les autres.
L'émotion lui nous la gorge.
— Et ensuite ? Insisté-je.
Le malade me désigne le pageot fatal. Il se dresse sur un coude pour regarder la funeste couche. En voyant le lit vide il le devient.
— Une fois là, il a sorti un revolver de sa poche et s'est mis à tirer sur notre compagnon de salle.
— Sans lui adresser la parole ?
— Sans un mot. D'ailleurs, le pauvre dormait.
— Dans un sens, remarque l'éminent Bérurier, c'est une belle fin. Moi je sais que si j'aurais le choix pour choisir, je choisirais de clamser pendant la dorme. Tu te réveilles chez Saint-Pierre, sans bavure. Il te cloque ton auréole avant que t'aies pigé ce dont à propos de quoi t'est-ce qu'il s'agit et c'est tout juste si tu y refiles pas vingt balles de pourliche biscotte tu le prends pour un loufiat de restaurant…
J'immobilise le Gros au milieu de ses considérations pertinentes. Monsieur Bérurier, c'est le genre de navigateur qui n'est pas toujours aligné sur le méridien de Greenwich.
— Où est le corps ? je demande à une petite infirmière belle comme le jour où je suis allé aux fraises avec ma cousine Yvette.
— A la morgue de l'hôpital.
— J'aimerais lui rendre une petite visite de politesse !
La douce enfant ne se formalise pas de la légèreté de mon langage : avec un mignon sourire en forme de violette elle m'entraîne dans les couloirs de l'hosto. On prend un ascenseur conçu et réalisé pour véhiculer des gens horizontaux et nous atterrissons dans la salle de réunion des viandes froides. Le défunt gît sur un chariot. On l'a recouvert d'un drap que la souris rabat (comme disent les Marocains). Je me trouve nez à nez avec un monsieur d'une cinquante-cinquaine d'années, aux traits passe-partout. Ce type-là, ç'a a été le Français moyen dans toute sa splendeur ; rien, sûrement, ne le prédestinait à terminer ses jours sous les balles d'un tueur à gages.
— Qui est-ce ? questionné-je.
— Il s'appelle Lautin et il était boulanger. Il souffrait d'une ulcération de l'estomac.
— Eh bien on peut dire qu'il a été guéri, je murmure. Comment ce tueur est-il arrivé jusqu'à son lit ?
— J'étais de garde, fait la gentille enfonceuse de thermomètre en rabattant le drap sur le visage du boulanger. Et puis cet infirmier est arrivé. Il avait un pardessus sur les épaules. Il m'a demandé dans quel lit se trouvait le vitrier qu'on avait amené dans la journée et qui était tombé d'une fenêtre.
Je lui cramponne vivement une aile. Elle ne tente rien pour se dégager. Au contraire, ce contact ne paraît pas lui déplaire.
— Vous n'aviez jamais vu cet infirmier ?
— Non, jamais, mais ici il y a tellement de personnel. J'ai pensé qu'il arrivait d'un autre service, comprenez-vous ?
— Ensuite ?
Il fait froid dans cette pièce, c'est peut-être pour ça que la gosse a tendance à se blottir contre moi. Qu'est-ce que vous en pensez ?
— Je lui ai répondu qu'il se trouvait dans la salle B et qu'il occupait le lit numéro 3.
Elle rosit.
— Je me suis trompée, le blessé en question occupé le lit numéro 4.
Ecoutez, les gars, je ne sais pas si vous partagerez mon point de vue (et si vous ne le partagez pas je m'en tamponne le coquillard) mais j'estime qu'il y a des jours ou votre ange gardien mérite un petit air de luth. Celui de Pinuche aujourd'hui a droit à une auréole au néon ! Je vous fais juge, comme disait un président de Tribunal. Voilà un bonhomme (je cause de Pinuche) qui tombe du troisième sans se buter et qui échappe au chargeur d'un mitrailleur diplômé parce que la garde de nuit a une tête de linotte. Du coup, je ressens une grande tendresse pour cette mignonne rouquine qui a sauvé la vie de mon Pinaud.
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