Je fais la grimace.
— O.K., merci…
J’allonge un pourliche au veilleur et je laisse le monsieur miraud se replonger dans les aventures de Mercedes, laquelle se nomme Troissanhessel de son nom de famille.
Dehors, le Gros est aux prises avec le pompiste. Il prétend lui faire emplir son briquet. L’autre s’y refuse, alléguant que sa pompe est automatique et qu’il ne peut doser la pression de son doigt sur le déclencheur.
Je mets fin au conflit en embarquant le Mahousse dans ma chignole.
— Des indices ? s’informe le Révérend.
— A voir, dis-je.
— Où qu’on va ? s’inquiète Bérurier ; je vous préviens que j’ai la dent !
— Tu te rempliras plus tard, Gros. Maintenant nous devons foncer dans le brouillard. Quand le vin est tiré, il faut le boire.
— Parle pas de vin, supplie-t-il, tu me donnes soif.
Je décide de rendre visite au dénommé Stéphan Simonet. La rue des Frères-Zonêtes [4] Les frères Zonêtes : Opticiens français ; inventeurs du foyer convexe, du foyer qu’on ne vexe pas, du prisme à la qualité, de lentille farcie et de la monture à guidon télescopique.
est toute proche. Et puis ce zouave qui n’a pas remisé sa tire depuis deux jours m’intéresse d’instinct.
J’ai le nez creux.
CHAPITRE XVI
LA VIE N’EST QU’UN COMMENCEMENT
La rue des Frères-Zonêtes commence au boulevard dont nous parlions l’autre jour, pour se terminer à l’avenue que vous empruntez lorsque vous êtes gênés pour vos échéances.
C’est une voie étroite et discrète où il est interdit de stationner. On entend vagir la télé et tricoter les concierges.
Le calme un peu lénifiant n’est troublé que par les cris des enfants et les soupirs de ceux qui sont en train d’en faire.
L’immeuble habité par le sieur Simonet est une petite construction de deux étages superposés dans le sens de la hauteur. On dirait un ancien immeuble particulier divisé en appartements : un par étage.
Pas de concierge, mais, dans le couloir, le blaze des locataires sur des plaques de cuivre. Entre le mur et l’une de ces plaques, une carte de visite portant le nom de Simonet. M’est avis que le monsieur en question est en sous-loc chez un miroton nommé Scarlatinovitch.
La vaillante équipe Cognedur gravit un large escalier de bois, pourvu d’un tapis rouge usé dans le milieu des marches.
On s’entre-considère un chouïa, et, déterminé, je presse le bouton. Je le fais toujours de façon scientifique lorsque je me présente chez des gougnafiers que je ne connais pas. C’est-à-dire qu’au lieu du classique coup discret, je presse le timbre à deux ou trois reprises très brèves, comme le ferait un familier.
Ça met en confiance les gens de l’intérieur.
Dans le cas présent, ma petite ruse réussit merveilleusement car, à peine l’écho de la sonnerie s’est-il dissipé que la porte s’entrebâille.
Je vais pour dire des trucs mais j’ai le sifflet coupé. La personne qui vient de délourder n’est autre que la bonniche aux taches de rousseur de la veuve Godemiche, celle qui blousa Béru dans le Paris-Marseille.
Elle me reconnaît en même temps et se hâte de repousser la porte.
— Pas si vite, jeune fille, annoncé-je en plaçant mon 42 dans l’ouverture.
La môme n’insiste pas et se taille à la vitesse d’un aérolithe. Seulement, si vous croyez que je peux pénétrer in the cabane, vous vous plongez le doigt dans l’œil jusqu’au slip. La lourde, hélas, est munie d’une chaîne de sûreté. Or, vous le savez puisque vous ne l’ignorez pas : où y a de la chaîne y a pas de plaisir. Impossible d’ouvrir cette satanée porte.
« Que faire ? » me demandé-je en aparté.
Le Gros ne me laisse pas le loisir de répondre à cette épineuse autant qu’intime question. Il m’écarte d’une bourrade, prend trois mètres d’élan et se rue sur la porte de profil.
Il y a un bruit sinistre : celui d’une caravelle se brisant sur des récifs. La porte vole en éclats. Entraîné par son rush, mon bulldozer poursuit sa trajectoire dans l’appartement. Il traverse une entrée, renverse un porte-parapluies, pulvérise une console, une potiche chinoise et un vase d’albâtre avant l’emplâtrer une glace à trumeaux. La glace fait des petits. Le Gros, assommé comme un bœuf, glisse lentement le long du mur et son gros dargif s’abat sur les débris de la glace. L’un d’eux, un perfide, lui rentre dans le fignedé. Mon Béru émet un ululement qui évoque étrangement celui d’une corne de brume. Il se tourne sur le flanc et, en bonne âme, le révérend Pinuche lui extrait l’éclat du miroir. Pendant ce temps, votre valeureux San-Antonio, l’homme qui n’a pas peur des mouches (mais seulement des moustiques), investit l’appartement ; le pétard à la main, comme il se doit lorsqu’on va en visite.
J’entends une cavalcade dans les communs.
Je hurle à mes boy-scouts de redescendre dans la street et de contourner la casbah afin de couper la retraite aux fuyards.
Une porte claque. Je m’y rue, mais ces peaux d’hareng ont eu le temps de donner un tour de clé. Je joue les Béru. Une, deux, trois et rrran ! Les gonds cèdent à mes instances. La manche de mon costard aussi.
Voyez, tailleur ! Dans notre job, ce qui nous tue, ce sont les frais généraux…
La porte donne sur un escalier de service. Je prends celui-ci au mien et je dévale les marches de bois.
J’atterris dans une impasse au moment où un grand type se coule au volant d’une DeSoto. La bonniche court pour monter dans la calèche, mais son compagnon a le feu au valseur.
Pour lui, une seule chose compte, se tirer de là. Une centaine de mètres me séparent de l’auto et déjà le moteur d’icelle tourne.
Je voudrais bien défourailler dans les pneus, seulement la môme Annette s’intercale entre la bagnole et mégnace.
Si j’envoie le potage, elle risque de morfler.
— Couchez-vous ! hurlé-je…
L’auto démarre. L’autre truffe glapit que c’en est une bénédiction. Elle se sent molle des cannes en constatant que son coéquipier ne l’attend pas. Elle continue de courir sans tenir compte de mes injonctions. C’est trop bête. Je ne vais tout de même pas laisser filer ce julot au moment où il est à la portée de mes prunes.
Alors je m’arrête, je lève mon arme en visant à droite de la gosse. Et je distribue la bonne marchandise à tout va.
Manque de pot, Annette fait une embardée sur la droite au moment où je téléphone la purée. Je vois tout, comme dans un ralenti cinématographique… Elle s’est tordu le pied, c’est ce qui lui a fait décrire cette fâcheuse embardée. Elle culbute et s’abat sur les pavetons inégaux de l’impasse.
J’ai le champ dégagé pour canarder la DeSoto, mais hélas, ma quincaillerie est vide. Epuisement des stocks, les gars ! De quoi piquer une crise. La guinde déboule de l’impasse et fonce à tombeau ouvert dans le boulevard.
Si au moins mes Laurel et Hardy de la Rousse avaient la bonne idée de se trouver là et de prendre le relais. Je tends l’oreille, espérant ouïr une salve. Zéro. Je l’ai dans le dossard.
Alors je m’approche de la fille qui gît en travers de l’impasse. Ses doigts aux ongles carminés raclent le sol. Je réprime une grimace. Elle a intercepté toutes mes valdas, la pauvrette. Je vise juste. Les six balles sont groupées dans sa poitrine. C’est gênant pour faire les pieds au mur.
Elle a les yeux révulsés, une plainte imperceptible fuse de ses narines pincées. Je comprends qu’elle ne supportera pas le transport à l’hosto. Si je veux l’interviewer, faut faire vite.
— Annette, vous m’entendez, mon petit ?
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