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Mark Twain: Plus Fort Que Sherlock Holmès

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Ce court recueil de nouvelles policières fait figure de «chef-d’œuvre inconnu» dans l’œuvre de Mark Twain. L’auteur s’y joue avec maestria des règles du genre en les moquant, en dépoussiérant les codes en vigueur dans l’ancien monde – celui que Sherlock Holmes incarne à merveille! Et il se donne autant de prétextes pour afficher la fraîcheur, la force et la jeunesse du Nouveau Monde, le sien, et le lieu de cette aventure réelle.

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Elle prit dans le tiroir quelques spécimens d’affiches différentes, toutes écrites à la machine, et en lut une:

… 18…

«À Jacob Fuller… Vous avez… jours pour régler vos affaires. Vous ne serez ni tourmenté ni dérangé pendant ce temps qui expirera à… heures du matin le… 18… À ce moment précis il vous faudra déménager. Si vous êtes encore ici à l’heure que je vous fixe comme dernière limite, j’afficherai votre histoire sur tous les murs de cette localité, je ferai connaître votre crime dans tous ses détails, en précisant les dates et tous les noms, à commencer par le vôtre. Ne craignez plus aucune vengeance physique; dans aucun cas, vous n’aurez à redouter une agression. Vous avez été infâme pour un vieillard, vous lui avez torturé le cœur. Ce qu’il a souffert, vous le souffrirez à votre tour.»

– Tu n’ajouteras aucune signature. Il faut qu’il reçoive ce message à son réveil, de bonne heure, avant qu’il connaisse la prime promise, sans cela, il pourrait perdre la tête et fuir sans emporter un sou.

– Je n’oublierai rien.

– Tu n’auras sans doute besoin d’employer ces affiches qu’au début; peut-être même une seule suffira. Ensuite, lorsqu’il sera sur le point de quitter un endroit, arrange-toi pour qu’il reçoive un extrait du message commençant par ces mots: «Il faut déménager, vous avez… jours.» Il obéira, c’est certain.

III

EXTRAITS DE LETTRES À SA MÈRE

Denver, 3 avril 1897.

Je viens d’habiter le même local que Jacob Fuller pendant plusieurs jours. Je tiens sa trace maintenant; je pourrais le dépister et le suivre à travers dix divisions d’infanterie. Je l’ai souvent approché et l’ai entendu parler. Il possède un bon terrain et tire un parti avantageux de sa mine; mais, malgré cela, il n’est pas très riche. Il a appris le travail de mineur en suivant la meilleure des méthodes, celle qui consiste à travailler comme un ouvrier à gages. Il paraît assez gai de caractère, porte gaillardement ses quarante-quatre ans; il semble plus jeune qu’il n’est, et on lui donnerait à peine trente-six ou trente-sept ans. Il ne s’est jamais remarié et passe ici pour veuf. Il est bien posé, considéré, s’est rendu populaire et a beaucoup d’amis. Moi-même j’éprouve une certaine sympathie pour lui; c’est évidemment la voix du sang qui crie en moi!

Combien aveugles, insensées et arbitraires sont certaines lois de la nature, la plupart d’entre elles au fond! Ma tâche est devenue bien pénible maintenant. Vous le saisissez, n’est-ce pas? et vous me pardonnerez ce sentiment? Ma soif de vengeance du début s’est un peu apaisée, plus même que je n’ose en convenir devant vous; mais je vous promets de mener à bien la mission que vous m’avez confiée. J’éprouverai peut-être moins de satisfaction, mais mon devoir reste impérieux: je l’accomplirai jusqu’au bout, soyez-en sûre. Je ressens pourtant un profond sentiment d’indignation lorsque je constate que l’auteur de ce crime odieux est le seul qui n’en ait pas souffert. Son action infâme a tourné entièrement à son avantage, et au bout du compte il est heureux. Lui, criminel, s’est vu épargner toutes les souffrances; vous, l’innocente victime, vous les supportez avec une résignation admirable. Mais rassurez-vous, il récoltera sa part d’amertumes, je m’en charge.

*

Silver Gulch, 19 mai…

J’ai placardé l’affiche n° 1 le 3 avril à minuit; une heure plus tard, j’ai glissé sous la porte de sa chambre l’affiche n° 2, lui signifiant de quitter Denver la nuit du 14 avant 11 h. 50.

Quelque vieux roublard de reporter m’a volé une affiche; en furetant dans toute la ville, il a découvert ma seconde qu’il a également subtilisée. Ainsi, il a fait ce qu’on appelle en terme professionnel «un bon scoop», c’est-à-dire qu’il a su se procurer un document précieux, en s’arrangeant pour qu’aucun autre journal que le sien n’ait le même «tuyau». Ce scoop a permis à son journal, le principal de l’endroit, d’imprimer la nouvelle en gros caractères en tête de son article de fond du lendemain matin; venait ensuite un long dithyrambe sur notre malheur accompagné de violents commentaires sur le coupable; en même temps, le journal ouvrait une souscription de 1000 dollars pour renforcer la prime déjà promise. Les feuilles publiques de ce pays s’entendent merveilleusement à soutenir une noble cause… surtout lorsqu’elles entrevoient une bonne affaire.

J’étais assis à table comme de coutume, à une place choisie pour me permettre d’observer et de dévisager Jacob Fuller; je pouvais en même temps écouter ce qui se disait à sa table. Les quatre-vingts ou cent personnes de la salle commentaient l’article du journal en souhaitant la découverte de cette canaille qui infectait la ville de sa présence. Pour s’en débarrasser, tous les moyens étaient bons; on avait le choix du procédé: une balle, une canne plombée, etc.

Lorsque Fuller entra, il avait dans une main l’affiche (pliée), dans l’autre le journal. Cette vue me stupéfia et me donna des battements de cœur. Il avait l’air sombre et semblait plus vieux de dix ans, en même temps que très préoccupé; son teint était devenu terreux. Et songez un peu, ma chère maman, à tous les propos qu’il dut entendre! Ses propres amis, qui ne le soupçonnaient pas, lui appliquaient les épithètes et les qualificatifs les plus infâmes, en se servant du vocabulaire très risqué des dictionnaires dont la vente est permise ici. Et, qui plus est, il dut prendre part à la discussion et partager les appréciations véhémentes de ses amis. Cette circonstance le mettait mal à l’aise, et il ne parvint pas à me le dissimuler; je remarquai facilement qu’il avait perdu l’appétit et qu’il grignotait pour se donner contenance. À la fin, un des convives déclara:

– Il est probable que le vengeur de ce forfait est parmi nous dans cette salle et qu’il partage notre indignation générale contre cet inqualifiable scélérat. Je l’espère, du moins.

Ah! ma mère! Si vous aviez vu la manière dont Fuller grimaçait et regardait effaré autour de lui. C’était vraiment pitoyable! N’y pouvant plus tenir, il se leva et sortit.

Pendant quelques jours, il donna à entendre qu’il avait acheté une mine à Mexico et voulait liquider sa situation à Denver pour aller au plus tôt s’occuper de sa nouvelle propriété et la gérer lui-même.

Il joua bien son rôle, annonça qu’il emporterait avec lui quarante mille dollars, un quart en argent, le reste en billets; mais comme il avait grandement besoin d’argent pour régler sa récente acquisition, il était décidé à vendre à bas prix pour réaliser en espèces. Il vendit donc son bien pour trente mille dollars. Puis, devinez ce qu’il fit.

Il exigea le paiement en monnaie d’argent, prétextant que l’homme avec lequel il venait de faire affaire à Mexico était un natif de New-England, un maniaque plein de lubies qui préférait l’argent à l’or ou aux traites. Le motif parut étrange, étant donné qu’une traite sur New-York pouvait se payer en argent sans la moindre difficulté. On jasa de cette originalité pendant un jour ou deux, puis ce fut tout, les sujets de discussion ne durent d’ailleurs jamais plus longtemps dans ce beau pays de Denver.

Je surveillais mon homme sans interruption; dès que le marché fut conclu et qu’il eut l’argent en poche, ce qui arriva le 11, je m’attachai à ses pas, sans perdre de vue le moindre de ses mouvements. Cette nuit-là, ou plutôt le 12 (car il était un peu plus de minuit), je le filai jusqu’à sa chambre qui donnait sur le même corridor que la mienne, puis, je rentrai chez moi; j’endossai mon déguisement sordide de laboureur, me maquillai la figure en conséquence, et m’assis dans ma chambre obscure, gardant à portée de ma main un sac plein de vêtements de rechange. Je laissai ma porte entrebâillée, me doutant bien que l’oiseau ne tarderait pas à s’envoler. Au bout d’une demi-heure, une vieille femme passa; elle portait un sac. Un coup d’œil rapide me suffit pour reconnaître Fuller sous ce déguisement; je pris mon baluchon et le suivis.

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