Lélie
Ah ! mon Dieu ! pour un rien me voilà bien coupable !
Le mal est-il si grand qu’il soit irréparable ?
Enfin, si tu ne mets Célie entre mes mains,
Songe au moins de Léandre à rompre les desseins ;
Qu’il ne puisse acheter avant moi cette belle.
De peur que ma présence encor soit criminelle,
Je te laisse.
Mascarille
Fort bien. A dire vrai, l’argent
Serait dans notre affaire un sûr et fort agent ;
Mais ce ressort manquant, il faut user d’un autre.
Anselme, Mascarille.
Anselme
Par mon chef ! C’est un siècle étrange que le nôtre !
J’en suis confus. Jamais tant d’amour pour le bien,
Et jamais tant de peine à retirer le sien !
Les dettes aujourd’hui, quelque soin qu’on emploie,
Sont comme les enfants, que l’on conçoit en joie,
Et dont avecque peine on fait l’accouchement.
L’argent dans une bourse entre agréablement ;
Mais, le terme venu que nous devons le rendre,
C’est lors que les douleurs commencent à nous prendre.
Baste ! ce n’est pas peu que deux mille francs, dus
Depuis deux ans entiers, me soient enfin rendus ;
Encore est-ce un bonheur.
Mascarille( à part les quatre premiers vers .)
O Dieu ! la belle proie
A tirer en volant ! Chut, il faut que je voie
Si je pourrais un peu de près le caresser.
Je sais bien les discours dont il faut le bercer…
Je viens de voir, Anselme…
Anselme
Mascarille
Anselme
Que dit-elle de moi, cette gente assasine[1] ?
Mascarille
Pour vous elle est de flamme.
Anselme
Mascarille
Et vous aime tant,
Que c’est grande pitié.
Anselme
Que tu me rends content !
Mascarille
Peu s’en faut que d’amour la pauvrette ne meure.
Anselme, mon mignon, crie-t-elle à toute heure,
Quand est-ce que l’hymen unira nos deux coeurs,
Et que tu daigneras éteindre mes ardeurs ?
Anselme
Mais pourquoi jusqu’ici me les avoir celées ?
Les filles, par ma foi, sont bien dissimulées !
Mascarille, en effet, qu’en dis-tu ? quoique vieux,
J’ai de la mine encore assez pour plaire aux yeux.
Mascarille
Oui, vraiment, ce visage est encor fort mettable ;
S’il n’est pas des plus beaux, il est des agréable.
Anselme
Mascarille( veut prendre la bourse .)
Si bien donc qu’elle est sotte de vous,
Ne vous regarde plus…
Anselme
Mascarille
Que comme un époux,
Et vous veut…?
Anselme
Mascarille
Et vous veut, quoi qu’il tienne,
Prendre la bourse…
Anselme
Mascarille( prend la bourse, et la laisse tomber .)
La bouche avec la sienne.
Anselme
Ah ! je t’entends. Viens cà : lorsque tu la verras,
Vante-lui mon mérite autant que tu pourras.
Mascarille
Anselme
Mascarille( à part .)
Que le ciel vous conduise !
Anselme( revenant .)
Ah ! vraiment, je faisais une étrange sottise,
Et tu pouvais pour toi m’accuser de froideur.
Je t’engage à servir mon amoureuse ardeur,
Je reçois par ta bouche une bonne nouvelle,
Sans du moindre présent récompenser ton zèle !
Tiens, tu te souviendras…
Mascarille
Ah ! non pas, s’il vous plaît.
Anselme
Mascarille
Point du tout. J’agis sans intérêt.
Anselme
Je le sais ; mais pourtant…
Mascarille
Non, Anselme, vous dis-je ;
Je suis homme d’honneur, cela me désoblige.
Anselme
Mascarille( à part .)
Anselme( revenant .)
Je veux
Régaler par tes mains cet objet de mes voeux ;
Et je vais te donner de quoi faire pour elle
L’achat de quelque bague, ou telle bagatelle
Que tu trouveras bon.
Mascarille
Non, laissez votre argent :
Sans vous mettre en souci, je ferai le présent ;
Et l’on m’a mis en main une bague à la mode,
Qu’après vous payerez, si cela l’accommode.
Anselme
Soit ; donne-la pour moi : mais surtout fais si bien
Qu’elle garde toujours l’ardeur de me voir sien.
Lélie, Anselme, Mascarille.
Lélie( ramassant la bourse .)
Anselme
Ah ! dieux ! elle m’était tombée !
Et j’aurais après cru qu’on me l’eût dérobée !
Je vous suis bien tenu de ce soin obligeant,
Qui m’épargne un grand trouble et me rend mon argent.
Je vais m’en décharger au logis tout à l’heure.
Lélie, Mascarille.
Mascarille
C’est être officieux, et très fort, ou je meure.
Lélie
Ma foi ! sans moi, l’argent était perdu pour lui.
Mascarille
Certes, vous faites rage, et payez aujourd’hui
D’un jugement très rare et d’un bonheur extrême ;
Nous avancerons fort, continuez de même.
Lélie
Qu’est-ce donc ? Qu’ai-je fait ?
Mascarille
Le sot, en bon françois,
Puisque je puis le dire, et qu’enfin je le dois.
Il sait bien l’impuissance où son père le laisse,
Qu’un rival qu’il doit craindre, étrangement nous presse :
Cependant, quand je tente un coup pour l’obliger
Dont je cours moi tout seul la honte et le danger…
Lélie
Mascarille
Oui, bourreau, c’était pour la captive
Que j’attrapais l’argent dont votre soin nous prive.
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