Hector Berlioz - Voyage musical en Allemagne et en Italie, II
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- Название:Voyage musical en Allemagne et en Italie, II
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Dieu des chrétiens, toi que j'ignore,
Toi que j'outrageais autrefois,
Aujourd'hui, mon respect t'implore,
Daigne écouter ma faible voix.
J'eus l'insolence de penser que, malgré le titre d' air agité que portait le dernier morceau, ce quatrain devait être le sujet d'une prière, et il me parut impossible de faire implorer le Dieu des chrétiens par la tremblante reine d'Antioche avec des cris de mélodrame et un orchestre désespéré. J'en fis donc une prière; et, à coup sûr, s'il y eût quelque chose de passable dans ma partition, ce ne fut que cette andante. Comme j'arrivais à l'Institut le soir du jugement dernier pour connaître mon sort, et savoir si les peintres, sculpteurs, graveurs en médaille et graveurs en taille-douce m'avaient déclaré bon ou mauvais musicien, je rencontre Pingard dans l'escalier:
« – Eh bien! lui dis-je, qu'ont-ils décidé?
» – Ah!.. c'est vous, Berlioz… pardieu, je suis bien aise!.. je vous cherchais.
» – Qu'ai-je obtenu, voyons, dites vite; une mention, un premier, un second prix, ou rien?
» – Oh! tenez, je suis encore tout remué. Quand je vous dis qu'il ne vous a manqué que deux voix pour le premier.
» – Parbleu, je n'en savais rien; vous m'en donnez la première nouvelle.
» – Mais quand je vous le dis. Vous avez le second prix; c'est bon, mais il n'a manqué que deux voix pour que vous eussiez le premier. Oh! tenez, ça m'a vexé, parce que, voyez-vous, je ne suis ni peintre, ni architecte, ni graveur en médaille, et par conséquent je ne connais rien du tout en musique; mais ça n'empêche pas que votre Dieu des chrétiens m'a fait un certain gargouillement dans le cœur qui m'a bouleversé. Et sacredieu, tenez, si je vous avais rencontré sur le moment, je vous aurais… je vous aurais payé une demi-tasse.
» – Merci, merci, mon cher Pingard, vous êtes bien bon. Vous vous y connaissez; vous avez du goût. D'ailleurs, n'avez-vous pas visité la côte de Coromandel?
» – Pardi, certainement; mais pourquoi?
» – Les îles de Java?
» – Oui, mais…
» – De Sumatra?
» – Oui.
» – De Bornéo?
» – Oui.
» – Vous avez été lié avec Levaillant?
» – Pardi, comme deux doigts de la main.
» – Vous avez parlé souvent à Volney?
» – A M. le comte de Volney, qui avait des bas bleus?
» – Oui.
» – Certainement.
» – Eh bien! vous êtes bon juge en musique.
» – Comment ça?
» – Il n'y a pas besoin de savoir comment; seulement, si on vous dit par hasard: Quel titre avez-vous pour juger les compositeurs? êtes-vous peintre, graveur en taille-douce, architecte, sculpteur? vous répondrez: Non, je suis… voyageur, marin, mousse de la compagnie des Indes. C'est plus qu'il n'en faut. Ah ça, voyons, comment s'est passée la séance?
» – Oh! tenez, ne m'en parlez pas; c'est toujours la même chose: J'aurais trente enfants, que le diable m'emporte si j'en mettrais un seul dans les arts. Parce que je vois tout ça, moi. Vous ne savez pas quelle sacrée boutique… Par exemple, ils se donnent, ils se vendent même des voix entre eux. Tenez, une fois, au concours de peinture, j'entendis M. Lethière qui demandait sa voix à un musicien 2 2 Il faut dire, pour être juste, que si les peintres jugent les musiciens, ceux-ci leur rendent la pareille au concours de peinture, où le prix est donné également à la pluralité des voix par toutes les sections réunies de l'Académie des Beaux-Arts. Il en est de même pour les prix d'architecture, de gravure et de sculpture. Je sens pourtant, en mon âme et conscience, que si j'avais l'honneur d'appartenir à ce docte corps, il me serait bien difficile de motiver mon choix, en donnant le prix à un graveur ou à un architecte, et que je ne pourrais guère faire preuve d'impartialité qu'en tirant le plus méritant à la courte-paille.
pour un de ses élèves. Nous sommes d'anciens camarades, qu'il lui dit, tu ne me refuseras pas ça. D'ailleurs, mon élève a du talent, son tableau est très-bien.
» – Non, non, non, je ne veux pas, je ne veux pas, que l'autre lui répond. Ton élève m'avait promis un album que désirait ma femme, et il n'a pas seulement dessiné un arbre pour elle. Je ne lui donne pas ma voix.
» – Ah! tu as bien tort, que lui dit M. Lethière; je vote pour les tiens, tu le sais, et tu ne veux pas voter pour les miens.
» – Non, je ne veux pas.
» – Alors je ferai moi-même ton album, là, je ne peux pas mieux dire.
» – Ah! c'est différent. Comment l'appelles-tu ton élève? Pour que je ne confonde pas, donne-moi ses noms et prénoms. Pingard!
» – Monsieur.
» – Un papier et un crayon.
» – Voilà, Monsieur. Ils vont dans l'embrasure de la fenêtre, ils écrivent trois mots, et puis j'entends le musicien qui dit à l'autre, en repassant: C'est bon! il a ma voix.
» – Eh bien! n'est-ce pas abominable? et si j'avais un de mes fils au concours, et qu'on lui fit des tours pareils n'y aurait-il pas de quoi me jeter par la fenêtre?
» – Bon, bon, calmez-vous, Pingard, et dites-moi comment tout s'est passé aujourd'hui.
» – Je vous l'ai déjà dit, vous avez le second prix, et il ne vous a manqué que deux voix pour le premier. Quand M. Dupont a eu chanté votre cantate, et qu'il l'a fièrement bien chantée, par parenthèse, ils ont commencé à écrire les bulletins. Il y avait un musicien, de mon côté, qui parlait bas à un architecte, et qui lui disait: Voyez-vous, celui-là ne fera jamais rien; ne lui donnez pas votre voix, c'est un jeune homme perdu. Il n'admire que le dévergondage de Beethoven; on ne le fera jamais rentrer dans la bonne route.
» – Vous croyez, dit l'architecte? Cependant…
» – Oh! c'est très-sûr; d'ailleurs, demandez à notre illustre Chérubini. Vous ne doutez pas de son expérience, j'espère; il vous dira, comme moi, que ce jeune homme est fou, que Beethoven lui a troublé la cervelle.
» – Pardon, me dit Pingard en s'interrompant, mais qu'est-ce que ce M. Beethoven? il n'est pas de l'Institut, je crois?
» – Non, il n'est pas de l'Institut; continuez.
» – Ah! mon Dieu, ça n'a pas été long; l'autre a donné sa voix au nº 4, au lieu de vous la donner, et voilà. Tout d'un coup, il y a un des musiciens qui se lève et qui dit: Messieurs, avant d'aller plus avant, je dois vous prévenir que dans le second morceau de la partition que nous venons d'entendre, il y a un travail d'orchestre très-ingénieux, que le piano ne peut pas rendre, et qui doit, à l'exécution, produire le plus grand effet. Il est bon d'en être instruit.
» – Que diable viens-tu nous chanter, lui répond un autre musicien, ton élève ne s'est pas conformé au programme; au lieu d' un air agité, il en a écrit deux , et dans le milieu il a ajouté une prière qu'il ne devait pas faire. Le réglement ne peut ainsi être méprisé. Il faut un exemple.
» – Oh! c'est trop fort! qu'en dit M. le Secrétaire-Perpétuel?
» – Je crois que c'est un peu sévère, et qu'on peut pardonner la licence que s'est permise votre élève; mais il est important que le jury soit éclairé sur le genre de mérite que vous avez signalé, et que l'exécution au piano ne nous a pas laissé apercevoir.
» – Non, non, ce n'est pas vrai, dit M. Chérubini, ce prétendu mérite d'instrumentation n'existe pas, ce n'est qu'un fouillis auquel on ne comprend rien et qui serait détestable à l'orchestre.
» – Ma foi, Messieurs, entendez-vous, disent de tous côtés les peintres, sculpteurs, architectes et graveurs, nous ne pouvons juger que ce que nous entendons, et pour le reste, si vous n'êtes pas d'accord…
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