Louis Dumur - Pauline, ou la liberté de l'amour

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Pauline, ou la liberté de l'amour: краткое содержание, описание и аннотация

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Très surprise, Pauline regardait cet homme qu'elle connaissait à peine et qui exprimait si bien ce qu'elle sentait elle-même. Il lui semblait qu'il la pénétrât, qu'il lût en elle, pour pouvoir conformer ses paroles à sa pensée et se rendre sympathique, et que, de ce fait étrange, une intimité subite vînt de se former entre elle et lui.

Elle ne voulut cependant pas se laisser si facilement deviner.

– Non, Monsieur, dit-elle, vous vous trompez: je suis plus franche que cela. Jamais je n'applaudirai quelque chose que je n'approuve pas. Mais le mariage est une chose si complexe! En un cas tel que celui dont il est question dans la pièce, on ne peut que souscrire aux angoisses de l'épouse et à son héroïque résolution. Car là, il y a véritablement amour: Francine adore son mari; celui-ci, on le sent, aime aussi sa femme, et cette maîtresse qu'il va rejoindre n'est pour lui qu'un simple amusement. Dans de pareilles circonstances, un homme est inexcusable de se conduire comme il fait.

– Mais certainement, Madame a raison, s'écria Sénéchal qui avait entendu ces dernières phrases. Voudriez-vous vraiment, de Rocrange, que ce grand sot de Lucien abandonnât impunément son exquise Francillon pour Dieu sait quelle demoiselle? Quand on a la bonne fortune de plaire à une charmante femme, ajouta-t-il avec son sourire le plus flatteur à l'adresse de Julienne, on mérite tous les châtiments si on ne la cultive pas avec dévotion.

– Que vous devenez sentimental, mon cher sénateur! dit Julienne. Il faut vous soigner.

– Que voulez-vous, Madame: mon mal m'est cher, et je mets ma volupté à l'entretenir.

– Et vous, Réderic, que pensez-vous des infidélités de Monsieur Francillon? dit Julienne.

Réderic, debout derrière la chaise de Julienne, tordait sa moustache avec humeur.

– Je n'ai pas écouté la pièce, répondit-il.

– Comme vous êtes désagréable, ce soir, observa-t-elle.

– Il y a de quoi.

Le vicomte de Béhutin restait impassible.

– Si Francillon écrase tellement de sa supériorité l'insipide demoiselle qui lui est préférée, dit Odon, c'est pour le seul intérêt de la pièce, et il ne s'ensuit pas que la thèse soit plus juste. Ne peut-il pas se trouver, et ne se trouve-t-il pas souvent dans la vie, que la femme intéressante, la femme qui aime, la femme séduisante et noble soit justement l'illégitime? Lucien serait-il encore inexcusable, si c'était Francillon sa maîtresse, si c'était Francillon qu'il allait rejoindre, laissant se morfondre à la maison quelque peu captivante matrone, dans le genre de cette madame Smith, par exemple? Ne voyez-vous pas que la thèse du mariage indissoluble s'effondrerait alors dans l'absurde?

– Oui, dit Pauline: car la sympathie va toujours à l'amour, quoi qu'on fasse.

– Et il faut présenter le mariage sous les couleurs de l'amour pour le rendre acceptable.

– En effet.

– Ce qui revient à dire qu'il n'y a qu'une seule morale possible: celle de l'amour.

– Et le mariage?

– Mon Dieu, Madame, il me semble que le mariage, dès qu'il n'est pas l'amour, est immoral.

– C'est une conclusion à laquelle nous ne sommes pas habituées, nous autres femmes, mais qui, je l'avoue, s'impose presque.

– Et comme l'amour, poursuivit Odon, n'obéit point à des lois humaines et n'est point sujet aux prescriptions d'un code, il s'ensuit que l'amour libre seul est moral.

– Ce qu'il fallait démontrer! dit Julienne en riant. Mes compliments, monsieur de Rocrange: vous entortillez les choses si bien, qu'à vous entendre on se laisserait aller à vivre comme des sauvages.

– Votre présence, Madame, suffirait cependant à établir l'immense avantage de la civilisation.

Tous sourirent; Julienne pinça les lèvres; Pauline fut incroyablement heureuse de cette impertinente riposte.

La sonnette de l'entr'acte mit fin à l'entretien.

«C'est extraordinaire ce que cet homme, en dix minutes de conversation, s'est emparé de moi!» pensait Pauline, tandis qu'Odon prenait congé d'elle.

Et Odon de Rocrange, regagnant sa loge, légèrement troublé, se disait:

«Je vais l'aimer… je l'aime déjà… O mon pauvre cœur!»

Un instant, Julienne et Pauline se trouvèrent seules.

– Comment trouvez-vous M. de Rocrange? demanda Julienne avec un clignement d'œil intrigué.

Pauline eut envie de la souffleter.

– Indifférent, répondit-elle.

Chandivier arrivait tout essoufflé. Dans le couloir, il rencontra Facial.

– Je viens de voir Rébecca. Nous soupons après le théâtre. Vous en êtes?

Facial fronça le sourcil.

– Non, dit-il, je dois rentrer avec Pauline. Je suis un homme marié, moi.

– Et moi, donc?

– Que faites-vous de Mme Chandivier?

– Oh! un de ces messieurs la reconduira.

Ils reprirent leurs places.

Chandivier, se penchant vers Facial, lui chuchota:

– Vous allez voir la scène du deux: vous m'en direz des nouvelles!

Le rideau se leva.

IV

Odon dut s'avouer que, depuis la soirée de la veille, il n'avait fait que penser à Pauline.

«Quelle étrange femme! Elle a eu l'air de goûter ce que je lui disais. Vraiment c'est la première fois que cela m'arrive: ouvrir ainsi mon cœur, parler sérieusement, presque philosophiquement, devant une femme que je n'avais, pour ainsi dire, jamais vue, dont j'ignorais le caractère et les idées! D'habitude, je fais comme tous les hommes: j'offre les boîtes de bonbons de l'esprit, je déploie l'éventail du flirt. Faut-il croire qu'elle m'a inspiré? Je me suis terriblement découvert: c'était plus fort que moi.»

Il alluma une cigarette et s'étendit sur un divan.

«D'où vient-elle? Que fait-elle? N'ai-je pas tort de lancer mon imagination sur cet inconnu d'où elle pourrait revenir trop imprégnée de désirs pour que je n'en souffre pas? Ah! les femmes! comme elles sont décevantes, lorsqu'on les touche de près! Mais celle-là me paraît être d'une race à part. Au moins, ce que j'ai éprouvé auprès d'elle diffère complètement de mes émotions ordinaires. Faut-il faire courir à mon cœur les risques d'une nouvelle aventure? Ne vaut-il pas mieux qu'il jouisse du calme relatif qu'avec mille précautions j'avais enfin réussi à lui rendre? Hélas! à peine instaurée, il faut que ma fragile tour d'ivoire s'écroule, comme un château de cartes, sous le souffle d'une femme! Car je sens bien que mon cœur est déjà pris.»

L'image de Pauline flottait devant ses yeux, et elle se précisait, se revêtait d'un charme grandissant, à mesure qu'il y fixait quelque détail de plus dont il se souvenait. C'était surtout le son de sa voix qu'il se rappelait avec un vrai délice, cette voix si joliment murmurante, si harmonieuse, qui l'avait remué si profondément. Il l'entendait encore lui dire:

– «La sympathie va toujours à l'amour, quoi qu'on fasse.»

«C'est qu'elle est spirituelle, continua-t-il à rêver, elle a une âme fine, originale, intelligente. Elle doit comprendre à merveille les raisonnements sur la vie, et cependant elle est fraîche comme une jeune fille et ses observations les plus inquiétantes ont encore la grâce de la candeur. Que je voudrais savoir le fin fond de son être, aborder d'intimes sujets en compagnie de cet esprit captivant et singulier! Que pense-t-elle vraiment de l'amour? A-t-elle aimé? Elle ne doit pas avoir fait de bien cruelles expériences, mais elle en a fait. Comme une femme est mystérieuse, quand on y songe! Il suffit de s'intéresser un instant à une femme, pour se trouver en présence d'un paquet de hiéroglyphes qu'il s'agit de déchiffrer. Me donnerai-je cette peine? Oh! oui, car ce séduisant sphinx m'attire par toutes les fibres réunies de mon cœur et de mon imagination.»

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