Nous ne dirons qu'un mot de Levert, qui avait plus de présomption que de mérite et qui menaçait sérieusement ses lecteurs de sa haine, s'ils ne le louaient pas. Cependant, dans les quatre pièces (dont deux comédies) données par lui au théâtre, on trouve un certain mérite, des intrigues assez bien conduites, des scènes variées et une versification coulante. Ces comédies sont: l'Amour médecin et le Docteur amoureux (1638), qui n'a aucune analogie avec celui de Molière. La tragi-comédie de Aricidie (1646) eût été promptement oubliée sans ces quatre vers qui scandalisèrent fort le public par l'application qu'on en fit:
La faveur qu'on accorde aux princes comme lui
Est exempte de blâme et de honte aujourd'hui,
Tout ce qu'on leur permet n'ôte rien à l'estime,
Et la condition en efface le crime.
Morale, en effet, des plus commodes pour les femmes qui se prostituent dans l'espoir d'être en faveur auprès des souverains.
Nous voici arrivé à un auteur dont le nom est bien peu connu de nos jours, Gillet, et qui cependant mérite qu'on se souvienne de lui. En effet, on peut en quelque sorte faire remonter à ses comédies qui ne sont pas, comme celles de ses contemporains, pillées dans les ouvrages italiens ou espagnols, l'origine de la comédie française.
Gillet de Tessonnerie, né en 1620, plus tard conseiller à la cour des monnaies, est un des premiers qui ait osé se lancer dans les pièces à caractères puisées dans son propre fonds. Il avait sans doute peu de goût, mais ses compositions sont sagement conduites. Il fit bonne justice des enlèvements à l'espagnole , des reconnaissances à l'italienne , de toutes ces ressources qu'aujourd'hui nous appellerions des ficelles , et dont les auteurs saturaient le public depuis la fin du siècle dernier. Gillet imagina des comédies comiques par le fond et par la manière de présenter le dialogue. On peut donc dire à sa louange qu'il ouvrit le premier la carrière brillante que Molière courut avec tant de gloire.
Ses pièces, la plupart originales et amusantes, sont une esquisse légère encore, à la vérité, des ridicules de la société, mais indiquant ces ridicules avec esprit. Elles sont semées de critiques judicieuses et de traits de mœurs. En un mot, personne avant lui n'avait fait une peinture si vraie des coutumes et du goût de la nation française.
Ses comédies sont: Francion (1642), le Triomphe des cinq passions (1642), le Déniaisé (1647), et le Campagnard (1657). Le Triomphe des cinq passions est un sujet simple et cependant original. Un jeune seigneur est prêt à entrer dans le monde, un sage, un mentor, lui montre les cinq passions qu'il aura à vaincre, la vaine gloire , l'ambition , l'amour , la jalousie et la fureur , passions qu'il fait passer successivement sous ses yeux en lui apprenant à les connaître par cinq comédies en un acte et ayant toutes un sujet différent, ce qui constitue réellement cinq petites pièces en un acte avec un prologue. Le Déniaisé a une scène qui a été complètement imitée par Molière dans son Dépit amoureux , en voici quelques mots:
JODELET, arrêtant Pancrace
Tandis qu'ils vont dîner, un petit mot, Pancrace,
Dirais-tu qu'une fille ait de l'amour pour moi?
…
PANCRACE
… Tous nos vieux savants n'ont pu nous exprimer
D'où vient cet ascendant qui nous force d'aimer,
Les uns disent que c'est un vif éclair de l'âme, etc.
JODELET
PANCRACE
Nous perdrions le droit du libre arbitre.
JODELET
PANCRACE
Il n'y a point de mais. C'est notre plus beau titre.
JODELET
PANCRACE
C'est parler en vain, l'âme a sa volonté.
JODELET
PANCRACE
Nous naissons en pleine liberté.
JODELET
PANCRACE
Autrement notre essence est mortelle.
JODELET
PANCRACE
Et nous n'aurions qu'une âme naturelle.
JODELET
PANCRACE
C'est le sentiment que nous devons avoir.
JODELET
PANCRACE
C'est la vérité que nous devons savoir.
JODELET
PANCRACE
Quoi! Voudrais-tu des âmes radicales,
Ou l'opération pareille aux animales?
JODELET, voulant lui fermer la bouche
Je voudrais te casser la gueule.
PANCRACE, se débarrassant
On a grand tort
De vouloir que l'esprit s'éteigne par la mort.
JODELET
PANCRACE
Les minéraux produits d'air et de flamme.
Ont un tempérament, mais ce n'est pas une âme,
JODELET, lassé
PANCRACE
L'âme n'est donc pas cette aveugle puissance
Qui se meut ou qui fait mouvoir sans connaissance.
JODELET, jetant son chapeau
PANCRACE
Elle n'est pas au sang comme on le dit.
JODELET
Parlera-t-il toujours? Mais…
PANCRACE
JODELET, fermant les poings
PANCRACE
Nous pouvons voir des choses animées
Qui, sans avoir de sang, auraient été formées, etc.?
JODELET
PANCRACE
Prête l'oreille à mes solutions, etc., etc.
…
JODELET
Ah! c'est trop arbitré.
Au diable le moment que je t'ai rencontré.
PANCRACE
Au diable le pendard qui ne veut rien apprendre.
JODELET
Au diable les savants, et qui peut les comprendre!
Le Campagnard est la mise en scène du ridicule des nobles de province de l'époque.
De Brosse, dont les tragédies sont mauvaises, composa quelques comédies passables de 1644 à 1650, comédies dans lesquelles règne un ton plus convenable, plus décent que dans les ouvrages dramatiques de ses prédécesseurs et de ses contemporains. C'est là son plus grand mérite. Une de ses productions, la comédie du Curieux impertinent (1645), est à peu près sa meilleure pièce. On y trouve deux vers remarquables par les pensées qu'ils expriment:
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