Indridason,Arnaldur - La rivière noire

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— Nous savons qu’il était originaire de la province.

— Il ne m’en a rien dit. Je le croyais de Reykjavik.

— Vous a-t-il parlé de ses amis ou de sa famille ?

— Non, mais je ne le connaissais pas beaucoup. Nous discutions de cinéma, de sport, de tout et de rien. Il ne m’a jamais rien dit de lui ou de sa famille. Je sais qu’il avait un ami qu’il appelait par son petit nom : Eddi. Mais je ne l’ai jamais vu.

— Quelle impression Runolfur vous a-t-il laissée au cours de la brève période où vous l’avez connu ?

— Il se vénérait, répondit Frida en réajustant ses lunettes sur son nez. J’en suis certaine. Il se vouait un véritable culte. Cela crevait les yeux quand il venait à Firma. Il était plutôt joli garçon et n’hésitait pas à le montrer. Il se pavanait droit comme un piquet et faisait le beau dès qu’il y avait une jupe dans les parages. On avait l’impression qu’il était constamment en représentation.

— Par conséquent…

— De plus, il était à coup sûr un peu détraqué, coupa Frida.

— Détraqué ?

— Vous voyez… dans ses rapports avec les femmes.

— Nous ne sommes pas certains qu’il se soit servi de ce produit, même si on en a trouvé à son domicile, objecta Elinborg sans préciser qu’on en avait également décelé dans son organisme.

— Non, ce n’est pas ce que je voulais dire, répondit Frida. Quand j’ai lu ce truc sur le Rohypnol, cela ne m’a pas du tout étonnée.

— Ah bon ?

— Il s’est comporté de façon très étrange la seule fois où nous avons… enfin, vous voyez…

— Justement, je ne vois pas vraiment…

— Ce n’est pas le genre de choses très drôles à raconter, soupira Frida.

— Dans ce cas, vous le connaissiez finalement assez bien, n’est-ce pas ? observa Elinborg en s’efforçant de comprendre vers où s’orientait leur conversation.

— En réalité, non, répondit Frida. Pas bien. C’est simplement qu’on connaît ce genre de types qui fréquentent les salles de sport et se prennent pour les maîtres des lieux. Il s’est toujours montré très poli quand il me parlait. Nous discutions parfois ensemble et un jour, il m’a demandé si nous ne pouvions pas aller au restaurant tous les deux. J’étais plutôt partante. Il était sympa, je ne dis pas le contraire. Il avait de la conversation et de l’humour. J’avais quand même l’impression qu’il… qu’il n’allait pas très bien.

— Vous en a-t-il parlé ? Vous a-t-il confié qu’il avait des problèmes ?

— Non, pas du tout. En tout cas, pas à moi. Mais c’est qu’il s’est montré tellement maladroit et qu’il a pris si peu d’initiative le moment venu, voyez-vous. Ensuite, il m’a simplement fichu les jetons.

— Ah bon ?

— Oui. Il voulait que je…

— Que vous ?

— Enfin, je ne sais pas comment le dire.

— Que voulait-il ?

— Que je fasse la morte.

— La morte ? renvoya Elinborg.

Frida la dévisagea.

— Vous voulez dire… ?

Elinborg n’était pas entièrement certaine de ce que Frida lui décrivait.

— Je ne devais pas bouger, si vous voyez ce que je veux dire. Il voulait que je reste allongée, immobile et je devais à peine respirer. Ensuite, il s’est mis à me frapper et à me réprimander pour des choses auxquelles je ne comprenais rien. Il m’a insultée. On aurait dit qu’il était dans un état second.

Frida frissonna.

— Un vrai pervers ! s’exclama-t-elle.

— Mais il ne vous a pas violée ?

— Non, d’ailleurs, il ne m’a pas fait mal, il ne m’a pas frappée bien fort.

— Comment avez-vous réagi ?

— J’étais tétanisée. Il semblait que c’était sa manière à lui de s’exciter, puis, plus rien. Après, il avait l’air d’une vraie loque. Il est parti sans dire un mot. Je suis restée allongée, immobile, sans comprendre ce qui m’était arrivé. Je n’ai jamais raconté ça à personne, je trouvais cela vraiment trop… enfin, j’avais honte. Ce n’était pas un viol, mais j’avais quand même l’impression qu’il m’avait souillée. Aujourd’hui, je crois qu’il voulait simplement que les choses se passent comme ça. Il me semble que c’était là le problème.

— Et vous ne l’avez pas revu après ?

— Non. Je me suis arrangée pour ne pas le croiser et il ne m’a jamais rappelée. Encore heureux. J’avais l’impression qu’il s’était servi de moi et je n’aurais jamais accepté de le revoir. Jamais.

— Ensuite, vous avez cessé de fréquenter cette salle de sport ?

— Oui. Je… je me sens salie du simple fait de vous en parler. Surtout maintenant que j’ai lu tout ça sur lui, toutes ces choses qui sont arrivées.

— Connaissez-vous ou connaissiez-vous d’autres femmes qu’il a eues dans sa vie ?

— Non, répondit Frida. Je ne sais rien de lui et je ne veux rien savoir.

— Il ne vous a jamais parlé d’aucune de ses amies ou de… ?

— Non, absolument pas.

Elinborg frappa à la porte. Le dealer dont Berti avait fini par cracher le nom après bien des difficultés s’appelait Valur et occupait un appartement dans la banlieue de Breidholt, à Fellsmuli, avec sa compagne et ses deux enfants. L’enquête piétinait. Elinborg n’avançait pas avec cette histoire de châle et les boutiques de vêtements de la région de Reykjavik affirmaient ne pas vendre ce type de t-shirt portant l’inscription « San Francisco ».

Un homme d’une bonne trentaine d’années ouvrit la porte. Un bébé sur le bras, il regarda Elinborg et Sigurdur Oli à tour de rôle d’un air buté. Elinborg avait préféré venir accompagnée de son collègue. Elle ne savait pas grand-chose de ce Valur. Il était parfois venu s’échouer sur les rivages de la brigade des stupéfiants, aussi bien comme consommateur que comme vendeur, mais on ne pouvait pas dire qu’il s’agissait d’une bien belle prise. Une fois, il avait été pincé pour un menu trafic de hasch et avait écopé d’une petite peine avec sursis. Il n’était pas exclu que Berti ait pu mentir à Elinborg. On pouvait imaginer que Valur était un gars à qui le Raccourci avait envie d’attirer des ennuis, peut-être voulait-il se venger de lui pour une raison quelconque, peut-être avait-il donné son nom pour calmer sa chère Binna.

— Vous voulez quoi ? demanda l’homme avec l’enfant sur le bras.

— Vous êtes bien Valur ? renvoya Elinborg.

— En quoi ça vous regarde ?

— En quoi ça nous regarde ? s’agaça Elinborg.

— Ouais.

— Nous aurions besoin…

— De lui parler, coupa brutalement Sigurdur Oli. Quelle question !

— Qu’est-ce qui vous prend ? demanda Valur.

— Je vous conseille d’être correct, mon vieux, avertit Sigurdur Oli.

— Vous êtes Valur ? interrogea à nouveau Elinborg qui se demandait si elle n’avait pas commis une erreur en emmenant son collègue.

— Oui, c’est moi, répondit l’homme. Et vous, qui êtes-vous ?

Il prit l’enfant sur son autre bras et les toisa à nouveau.

— Nous enquêtons sur un certain Runolfur, précisa Elinborg après avoir décliné son identité et celle de son collègue. Nous pourrions peut-être entrer pour discuter un peu avec vous ?

— Hors de question, répondit Valur.

— Très bien, observa Elinborg. Alors, ce Runolfur, ça vous dit quelque chose ?

— Je ne connais personne qui s’appelle comme ça.

L’enfant tenait un petit hochet qu’il rongeait constamment. Il était mignon, adorable et en parfaite sécurité sur la poitrine de son père. Elinborg avait presque envie de demander si elle ne pouvait pas le prendre un peu dans ses bras.

— Il a été égorgé à son domicile, informa Sigurdur Oli.

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