Louis-Ferdinand Céline - Voyage au bout de la nuit

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Voyage au bout de la nuit: краткое содержание, описание и аннотация

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« — Bardamu, qu'il me fait alors gravement et un peu triste, nos pères nous valaient bien, n'en dis pas de mal !…
— T'as raison, Arthur, pour ça t'as raison ! Haineux et dociles, violés, volés, étripés et couillons toujours, ils nous valaient bien ! Tu peux le dire ! Nous ne changeons pas ! Ni de chaussettes, ni de maîtres, ni d'opinions, ou bien si tard, que ça n'en vaut plus la peine. On est nés fidèles, on en crève nous autres ! Soldats gratuits, héros pour tout le monde et singes parlants, mots qui souffrent, on est nous les mignons du Roi Misère. C'est lui qui nous possède ! Quand on est pas sage, il serre… On a ses doigts autour du cou, toujours, ça gêne pour parler, faut faire bien attention si on tient à pouvoir manger… Pour des riens, il vous étrangle… C'est pas une vie…
— Il y a l'amour, Bardamu !
— Arthur, l'amour c'est l'infini mis à la portée des caniches et j'ai ma dignité moi ! que je lui réponds. »

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Tout d'un coup, ça s'est élargi notre rue comme une crevasse qui finirait dans un étang de lumière. On s'est trouvés là devant une grande flaque de jour glauque coincée entre des monstres et des monstres de maisons. Au beau milieu de cette clairière, un pavillon avec un petit air champêtre, et bordé de pelouses malheureuses.

Je demandai à plusieurs voisins de la foule ce que c'était que ce bâtiment-là, qu'on voyait mais la plupart feignirent de ne pas m'entendre. Ils n'avaient pas de temps à perdre. Un petit jeune, passant tout près, voulut bien tout de même m'avertir que c'était la Mairie, vieux monument de l'époque coloniale ajouta-t-il, tout ce qu'il y avait d'historique… qu'on avait laissé là… Le pourtour de cette oasis tournait au square, avec des bancs, et même on y était assez bien pour la regarder la Mairie, assis. Il n'y avait presque rien à voir d'autre dans le moment où j'arrivais.

J'attendis une bonne heure à la même place et puis de cette pénombre, de cette foule en route, discontinue, morne, surgit sur les midi, indéniable, une brusque avalanche de femmes absolument belles.

Quelle découverte ! Quelle Amérique ! Quel ravissement ! Souvenir de Lola ! Son exemple ne m'avait pas trompé ! C'était vrai !

Je touchais au vif de mon pèlerinage. Et si je n'avais point souffert en même temps des continuels rappels de mon appétit je me serais cru parvenu à l'un de ces moments de surnaturelle révélation esthétique. Les beautés que je découvrais, incessantes, m'eussent avec un peu de confiance et de confort ravi à ma condition trivialement humaine. Il ne me manquait qu'un sandwich en somme pour me croire en plein miracle. Mais. comme il me manquait le sandwich !

Quelles gracieuses souplesses cependant ! Quelles délicatesses incroyables ! Quelles trouvailles d'harmonie ! Périlleuses nuances ! Réussites de tous les dangers ! De toutes les promesses possibles de la figure et du corps parmi tant de blondes ! Ces brunes ! Et ces Titiennes ! Et qu'il y en avait plus qu'il en venait encore ! C'est peut-être, pensais-je, la Grèce qui recommence ? J'arrive au bon moment !

Elles me parurent d'autant mieux divines ces apparitions, qu'elles ne semblaient point du tout s'apercevoir que j'existais, moi, là, à côté sur ce banc, tout gâteux, baveux d'admiration érotico-mystique de quinine et aussi de faim, faut l'avouer. S'il était possible de sortir de sa peau j'en serais sorti juste à ce moment-là, une fois pour toutes. Rien ne m'y retenait plus.

Elles pouvaient m'emmener, me sublimer, ces invraisemblables midinettes, elles n'avaient qu'un geste à faire, un mot à dire, et je passais à l'instant même et tout entier dans le monde du Rêve, mais sans doute avaient-elles d'autres missions.

Une heure, deux heures passèrent ainsi dans la stupéfaction. Je n'espérais plus rien.

Il y a les boyaux. Vous avez vu à la campagne chez nous jouer le tour au chemineau ? On bourre un vieux porte-monnaie avec les boyaux pourris d'un poulet. Eh bien, un homme, moi je vous le dis, c'est tout comme, en plus gros et mobile, et vorace, et puis dedans, un rêve.

Fallait songer au sérieux, ne pas entamer tout de suite ma petite réserve de monnaie. J'en avais pas beaucoup de la monnaie. Je n'osais même pas la compter. J'aurais pas pu d'ailleurs, je voyais double. Je les sentais seulement minces, les billets craintifs à travers l'étoffe, tout près dans ma poche avec mes statistiques à la manque.

Des hommes aussi passaient par là, des jeunes surtout avec des têtes comme en bois rose, des regards secs et monotones, des mâchoires qu'on n'arrivait pas à trouver ordinaires, si larges, si grossières… Enfin, c'est ainsi sans doute que leurs femmes les préfèrent les mâchoires. Les sexes semblaient aller chacun de leur côté dans la rue. Elles les femmes ne regardaient guère que les devantures des magasins, tout accaparées par l'attrait des sacs, des écharpes, des petites choses de soie, exposées, très peu à la fois dans chaque vitrine, mais de façon précise, catégorique. On ne trouvait pas beaucoup de vieux dans cette foule. Peu de couples non plus. Personne n'avait l'air de trouver bizarre que je reste là moi, seul, pendant des heures en station sur ce banc à regarder tout le monde passer. Toutefois, à un moment donné, le policeman du milieu de la chaussée posé comme un encrier se mit à me suspecter d'avoir des drôles de projets. C'était visible.

Où qu'on se trouve, dès qu'on attire sur soi l'attention des autorités, le mieux est de disparaître et en vitesse. Pas d'explications. Au gouffre ! que je me dis.

À droite de mon banc s'ouvrait précisément un trou, large, à même le trottoir dans le genre du métro de chez nous. Ce trou me parut propice, vaste qu'il était, avec un escalier dedans tout en marbre rose. J'avais déjà vu bien des gens de la rue y disparaître et puis en ressortir. C'était dans ce souterrain qu'ils allaient faire leurs besoins. Je fus immédiatement fixé. En marbre aussi la salle où se passait la chose. Une espèce de piscine, mais alors vidée de toute son eau, une piscine infecte, remplie seulement d'un jour filtré, mourant, qui venait finir là sur les hommes déboutonnés au milieu de leurs odeurs et bien cramoisis à pousser leurs sales affaires devant tout le monde, avec des bruits barbares.

Entre hommes, comme ça, sans façons, aux rires de tous ceux qui étaient autour, accompagnés des encouragements qu'ils se donnaient comme au football. On enlevait son veston d'abord, en arrivant, comme pour effectuer un exercice de force. On se mettait en tenue en somme, c'était le rite.

Et puis bien débraillés, rotant et pire, gesticulant comme au préau des fous, ils s'installaient dans la caverne fécale. Les nouveaux arrivants devaient répondre à mille plaisanteries dégueulasses pendant qu'ils descendaient les gradins de la rue ; mais ils paraissaient tous enchantés quand même.

Autant là-haut sur le trottoir ils se tenaient bien les hommes et strictement, tristement même, autant la perspective d'avoir à se vider les tripes en compagnie tumultueuse paraissait les libérer et les réjouir intimement.

Les portes des cabinets largement maculées pendaient, arrachées à leurs gonds. On passait de l'une à l'autre cellule pour bavarder un brin, ceux qui attendaient un siège vide fumaient des cigares lourds en tapant sur l'épaule de l'occupant en travail, lui, obstiné, la tête crispée, enfermée dans ses mains. Beaucoup en geignaient fort comme les blessés et les parturientes. On menaçait les constipés de tortures ingénieuses.

Quand un giclement d'eau annonçait une vacance, des clameurs redoublaient autour de l'alvéole libre, dont on jouait alors souvent la possession à pile ou face. Les journaux sitôt lus, bien qu'épais comme de petits coussins, se trouvaient dissous instantanément par la meute de ces travailleurs rectaux. On discernait mal les figures à cause de la fumée. Je n'osais pas trop avancer vers eux à cause de leurs odeurs.

Ce contraste était bien fait pour déconcerter un étranger. Tout ce débraillage intime, cette formidable familiarité intestinale et dans la rue cette parfaite contrainte ! J'en demeurais étourdi.

Je remontai au jour par les mêmes marches pour me reposer sur le même banc. Débauche soudaine de digestions et de vulgarité. Découverte du communisme joyeux du caca. Je laissais chacun de leur côté les aspects si déconcertants de la même aventure. Je n'avais pas la force de les analyser ni d'en effectuer la synthèse. C'est dormir que je désirais impérieusement. Délicieuse et rare frénésie !

J'ai donc repris la file des passants qui s'engageaient dans une des rues aboutissantes et nous avançâmes par saccades à cause des boutiques dont chaque étalage fragmentait la foule. La porte d'un hôtel s'ouvrait là, créant un grand remous. Des gens giclaient sur le trottoir par la vaste porte à tambour, je fus happé dans le sens inverse en plein grand vestibule à l'intérieur.

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