J’ai dérivé, sans trop savoir, qu’un peu mal au ventre, à travers les autres vieilles rues, par négligence, la rue Paradis, rue d’Hauteville, rue des Jeûneurs, le Sentier, j’enlevais quand c’était fini, non seulement mon pesant veston, mais encore mon celluloïd, l’extra-résistant, c’était un vrai truc de chien et puis ça me foutait des boutons… Je me rhabillais sur le palier. J’ai repiqué au truc des adresses, je les puisais dans le « Bottin ». Au bureau de poste, je me faisais les listes. J’avais plus le rond pour aller boire. Ma mère laissait traîner sa bourse, la petite en argent, sur le dessus des meubles… Je la biglais avidement… Tant de chaleur, ça démoralise ! Un peu plus alors, cette fois-là, j’allais franchement la piquer… J’ai eu souvent extrêmement soif près de la fontaine. Ma mère s’en est je crois aperçue, elle m’a donné encore deux francs…
Quand je revenais de mes longs périples, toujours infructueux, inutiles, à travers étages et quartiers, il fallait que je me rafistole avant de rentrer dans le Passage, que j’aie pas l’air trop navré, trop déconfit pendant les repas. Ça aurait plus collé du tout. C’est une chose alors mes dabes qu’ils n’auraient pas pu encaisser, qu’ils avaient jamais pu blairer, qu’ils avaient jamais pu comprendre, que je manque, moi, d’espérance et de magnifique entrain… Ils auraient jamais toléré… J’avais pas droit pour ma part aux lamentations, jamais !… C’étaient des trucs bien réservés, les condoléances et les drames. C’était seulement pour mes parents… Les enfants c’étaient des voyous, des petits apaches, des ingrats, des petites raclures insouciantes !… Ils voyaient tous les deux rouge à la minute que je me plaignais, même pour un tout petit commencement… Alors c’était l’anathème ! Le blasphème atroce !… Le parjure abominable !…
« Comment, dis ? toi petit dépotoir ? Comment ce culot infernal ? » J’avais pour moi la jeunesse et je foirais en simagrées ? Ah ! l’effroyable extravagance ! Ah ! l’impertinence diabolique ! Ah ! l’effronterie ! Tonnerre de Dieu ! J’avais devant moi les belles années ! Tous les trésors de l’existence ! Et j’allais groumer sur mon sort ! Sur mes petits revers misérables ? Ah ! Jean-de-la-foutre bique ! C’était l’insolence assassine ! Le dévergondage absolu ! La pourriture inconcevable ! Pour me faire rentrer mon blasphème, ils m’auraient bigorné au sang ! Y avait même plus de jambe qui tienne, ni d’abcès, ni de souffrances atroces !… Ma mère se redressait d’un seul bond ! « Petit malheureux ! Tout de suite ! Petit dévoyé sans entrailles ! Veux-tu retirer ces injures… »
Je m’exécutais. Je discernais pas très bien les félicités de la jeunesse, mais eux ils semblaient connaître… Ils m’auraient franchement abattu si je m’étais pas rétracté… Si j’émettais le plus petit doute et que j’avais l’air de bêcher ils se raisonnaient plus du tout… Ils auraient préféré ma mort que de m’entendre encore profaner, mépriser les dons du Ciel. Ses yeux à ma mère révulsaient de rage et d’effroi quand je subissais l’entraînement ! Elle m’aurait viré dans la trompe tout ce qu’elle trouvait sous sa main… seulement pour que j’insiste plus… Moi, j’avais droit qu’à me réjouir ! et à chanter les louanges ! J’étais né sous la bonne étoile ! moi calamité ! J’avais des parents qu’étaient voués, eux, et ça suffisait tout à fait, absolument exclusifs oui ! à toutes les angoisses et les fatalités tragiques… Moi j’étais que la brute et c’est tout ! Silence ! L’incroyable fardeau des familles !… Moi j’avais qu’à m’exécuter… et des rétablissements pépères ! Faire oublier toutes mes fautes et mes dispositions infectes !… C’était pour eux tous les chagrins ! c’était pour eux toutes les complaintes ! C’est eux qui comprenaient la vie ! c’est eux, qu’avaient toute l’âme sensible ! Et qui souffrait horriblement ? dans les plus atroces circonstances ? les abominations du sort ?… C’étaient eux ! C’était eux toujours absolument, entièrement seuls ! Ils voulaient pas moi que je m’en mêle, que je fasse même mine de les aider… que j’en tâte un peu… C’était leur réserve absolue ! Je trouvais ça extrêmement injuste. On pouvait plus du tout s’entendre.
Ils avaient beau dire et sacrer, je gardais moi toutes mes convictions. Je me trouvais aussi victime à tous les égards ! Sur les marches de l’Ambigu, là juste au coin de la « Wallace » elles me revenaient ces conjectures… C’était évident !…
Si j’avais fini de tapiner, que c’était une journée perdue, je m’aérais franchement les godasses… Je fumais le mince mégot… Je me renseignais un petit peu auprès des autres potes, les autres pilonneurs de l’endroit, toujours pleins de rencards et de faux condés… Ils étaient pas chiches en discours… Ils connaissaient toutes les annonces, n’importe laquelle « petite affiche », les figurations diverses… Y avait un tatoueur parmi, qui, en plus, tondait les chiens… Tous les condés à la gomme… Les Halles, la Villette, Bercy… Ils étaient pouilleux comme une gare, crasspets, déglingués, ils s’échangeaient les morpions… Avec ça, ils exagéraient que c’était des vrais délires ! Ils arrêtaient pas d’installer, ils s’époumonaient en bluff, ils se sortaient la rate pour raconter leurs relations… Leurs victoires… Leurs réussites… Tous les fantasmes de leurs destins… Y avait pas de limites à l’esbroufe… Ils allaient jusqu’au couteau et au canal Saint-Martin pour régler la contradiction… à propos d’un fameux cousin qu’était Conseiller général… Ils prétendaient n’importe quoi ! Même parmi les hommes-sandwichs les plus croquignols… ils tenaient à certains épisodes dont il fallait pas se marrer… C’est le roman qui pousse au crime encore bien pire que l’alcool… ils avaient plus de crocs pour bouffer, tellement qu’ils étaient vermoulus, ils avaient fourgué leurs lunettes… Ils ramenaient encore leur fraise ! C’était pas croyable comme ballon… Je me voyais peu à peu tout comme…
C’était vers les cinq heures du soir, quand je suspendais mes tentatives… Y en avait marre pour la journée !… L’endroit était favorable aux convalescences, une vraie plage… On se refaisait bien les arpions… C’était la plage de l’Ambigu, tous les traînards, les pompes « à croume », certains qu’étaient pas trop fainéants mais qu’aimaient mieux pinter la chance que de ramper sous la chaleur. C’est des choses faciles à concevoir… Toute la largeur du théâtre, sous les marronniers… La grille pour accrocher les diverses choses… On prenait pas mal ses aises… on échangeait des canettes… Le boudin blanc « à la mode », et l’ail, et le tutu, et les fromages camembert… Sur l’escalade et les marches ça faisait une vraie Académie… Y avait toutes les sortes d’habitudes… Je les retrouvais presque les mêmes depuis toujours… depuis le temps que je faisais la place pour Gorloge… Y avait un fond de petits marles, et puis des bourres pas pressés… des harengs saurs de tous les âges… et qui gagnaient pas chouia aux renseignements de la P. P. Ils faisaient traîner les manilles… Y avait toujours deux ou trois « boucs » qu’essayaient de provoquer la chance… Y avait des placiers trop âgés qui laissaient tomber la « marmotte »… qu’on voulait plus dans les maisons… Y avait les lopailles trop vertes pour aller déjà au Bois… Une même qui revenait tous les jours, son truc c’était les pissotières et surtout les croûtes de pain qui trempent dans les grilles… Il racontait ses aventures… Il connaissait un vieux juif qu’était amateur passionné, un charcutier rue des Archives… Ils allaient dévorer ensemble… Un jour, ils se sont fait poisser… On l’a pas revu pendant deux mois… Il était tout méconnaissable quand il est revenu… Les bourres l’avaient si bien tabassé, qu’il sortait juste de l’hôpital… Ça l’avait tout retourné, la trempe… Il avait mué dans l’entre-temps. Il avait pris comme une voix de basse. Il se laissait pousser toute la barbe… Il voulait plus manger la merde.
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