D’Artagnan était debout, le visage échauffé, l’œil étincelant. Il leva les yeux pour voir les progrès de ses troupes sur ces murs tout enveloppés de tourbillons rouges et noirs.
– J’ai fini, répondit-il au messager. La ville sera rendue dans un quart d’heure.
Il continua sa lecture.
«Le coffret, monsieur d’Artagnan, est mon présent à moi. Vous ne serez pas fâché de voir que, tandis que vous autres, guerriers, vous tirez l’épée pour défendre le roi, j’anime les arts pacifiques à vous orner des récompenses dignes de vous.
«Je me recommande à votre amitié, monsieur le maréchal, et vous supplie de croire à toute la mienne.
«Colbert.»
D’Artagnan, ivre de joie, fit un signe au messager qui s’approcha, son coffret dans les mains. Mais au moment où le maréchal allait s’appliquer à le regarder, une forte explosion retentit sur les remparts et appela son attention du côté de la ville.
– C’est étrange, dit d’Artagnan, que je ne voie pas encore le drapeau du roi sur les murs et qu’on n’entende pas battre la chamade.
Il lança trois cents hommes frais, sous la conduite d’un officier plein d’ardeur, et ordonna qu’on battît une autre brèche.
Puis, plus tranquille, il se retourna vers le coffret que lui tendait l’envoyé de Colbert. C’était son bien; il l’avait gagné.
D’Artagnan allongeait le bras pour ouvrir ce coffret, quand un boulet, parti de la ville, vint broyer le coffre entre les bras de l’officier, frappa d’Artagnan en pleine poitrine, et le renversa sur un talus de terre, tandis que le bâton fleurdelisé, s’échappant des flancs mutilés de la boîte, venait en roulant se placer sous la main défaillante du maréchal.
D’Artagnan essaya de se relever. On l’avait cru renversé sans blessures. Un cri terrible partit du groupe de ses officiers épouvantés: le maréchal était couvert de sang; la pâleur de la mort montait lentement à son noble visage.
Appuyé sur les bras qui, de toutes parts, se tendaient pour le recevoir, il put tourner une fois encore ses regards vers la place, et distinguer le drapeau blanc à la crête du bastion principal; ses oreilles, déjà sourdes aux bruits de la vie, perçurent faiblement les roulements du tambour qui annonçaient la victoire.
Alors serrant de sa main crispée le bâton brodé de fleurs de lis d’or, il abaissa vers lui ses yeux qui n’avaient plus la force de regarder au ciel, et il tomba en murmurant ces mots étranges, qui parurent aux soldats surpris autant de mots cabalistiques, mots qui avaient jadis représenté tant de choses sur la terre, et que nul, excepté ce mourant, ne comprenait plus:
– Athos, Porthos, au revoir. – Aramis, à jamais, adieu!
Des quatre vaillants hommes dont nous avons raconté l’histoire, il ne restait plus qu’un seul corps: Dieu avait repris les âmes.
(1848 – 1850)