– Oui, je comprends cela.
– Tandis que M. de La Mole ne compromet personne; à moins que vous ne le croyiez capable d’inventer quelque histoire, comme de dire, par hasard, qu’il était en partie avec des dames… que sais-je… moi?
– Monsieur, dit Marguerite, si vous ne craignez que cela, soyez tranquille… il ne le dira point.
– Comment! dit Henri, il se taira, sa mort dût-elle être le prix de son silence?
– Il se taira, monsieur.
– Vous en êtes sûre?
– J’en réponds.
– Alors tout est pour le mieux, dit Henri en se levant.
– Vous vous retirez, monsieur? demanda vivement Marguerite.
– Oh! mon Dieu, oui. Voilà tout ce que j’avais à vous dire.
– Et vous allez?…
– Tâcher de nous tirer tous du mauvais pas où ce diable d’homme au manteau rouge nous a mis.
– Oh! mon Dieu, mon Dieu! pauvre jeune homme! s’écria douloureusement Marguerite en se tordant les mains.
– En vérité, dit Henri en se retirant, c’est un bien gentil serviteur que ce cher M. de La Mole!
VII La cordelière de la reine mère
Charles était entré riant et railleur chez lui; mais après une conversation de dix minutes avec sa mère, on eût dit que celle-ci lui avait cédé sa pâleur et sa colère, tandis qu’elle avait repris la joyeuse humeur de son fils.
– M. de La Mole, disait Charles, M. de La Mole!… il faut appeler Henri et le duc d’Alençon. Henri, parce que ce jeune homme était huguenot; le duc d’Alençon, parce qu’il est à son service.
– Appelez-les si vous voulez, mon fils, vous ne saurez rien. Henri et François, j’en ai peur, son plus liés ensemble que ne pourrait le faire croire l’apparence. Les interroger, c’est leur donner des soupçons: mieux vaudrait, je crois, l’épreuve lente et sûre de quelques jours. Si vous laissez respirer les coupables, mon fils, si vous laissez croire qu’ils ont échappé à votre vigilance, enhardis, triomphants, ils vont vous fournir une occasion meilleure de sévir; alors nous saurons tout.
Charles se promenait indécis, rongeant sa colère, comme un cheval qui ronge son frein, et comprimant de sa main crispée son cœur mordu par le soupçon.
– Non, non, dit-il enfin, je n’attendrai pas. Vous ne savez pas ce que c’est que d’attendre, escorté comme je le suis de fantômes. D’ailleurs tous les jours ces muguets deviennent plus insolents: cette nuit même deux damoiseaux n’ont-ils pas osé nous tenir tête et se rebeller contre nous?… Si M. de La Mole est innocent, c’est bien; mais je ne suis pas fâché de savoir où était M. de La Mole cette nuit, tandis qu’on battait mes gardes au Louvre et qu’on me battait, moi, rue Cloche-Percée. Qu’on m’aille donc chercher le duc d’Alençon, puis Henri; je veux les interroger séparément. Quant à vous, vous pouvez rester, ma mère.
Catherine s’assit. Pour un esprit ferme comme le sien, tout incident pouvait, courbé par sa main puissante, la conduire à son but, bien qu’il parût s’en écarter. De tout choc jaillit un bruit ou une étincelle. Le bruit guide, l’étincelle éclaire.
Le duc d’Alençon entra: sa conversation avec Henri l’avait préparé à l’entrevue, il était donc assez calme.
Ses réponses furent des plus précises. Prévenu par sa mère de demeurer chez lui, il ignorait complètement les événements de la nuit. Seulement comme son appartement se trouvait donner sur le même corridor que celui du roi de Navarre, il avait d’abord cru entendre un bruit comme celui d’une porte qu’on enfonce, puis des imprécations, puis des coups de feu. Alors seulement il s’était hasardé à entrebâiller sa porte, et avait vu fuir un homme en manteau rouge.
Charles et sa mère échangèrent un regard.
– En manteau rouge? dit le roi.
– En manteau rouge, reprit d’Alençon.
– Et ce manteau rouge ne vous a donné soupçon sur personne?
D’Alençon rappela toute sa force pour mentir le plus naturellement possible.
– Au premier aspect, dit-il, je dois avouer à Votre Majesté que j’avais cru reconnaître le manteau incarnat d’un de mes gentilshommes.
– Et comment nommez-vous ce gentilhomme?
– M. de La Mole.
– Pourquoi M. de La Mole n’était-il pas près de vous comme son devoir l’exigeait?
– Je lui avais donné congé, dit le duc.
– C’est bien; allez, dit Charles.
Le duc d’Alençon s’avança vers la porte qui lui avait donné passage pour entrer.
– Non point par celle-là, dit Charles; par celle-ci. Et il lui indiqua celle qui donnait chez sa nourrice. Charles ne voulait pas que François et Henri se rencontrassent. Il ignorait qu’ils se fussent vus un instant, que cet instant eût suffi pour que les deux beaux-frères convinssent de leurs faits… Derrière d’Alençon, et sur un signe de Charles, Henri entra à son tour. Henri n’attendit pas que Charles l’interrogeât.
– Sire, dit-il. Votre Majesté a bien fait de m’envoyer chercher, car j’allais descendre pour lui demander justice. Charles fronça le sourcil.
– Oui, justice, dit Henri. Je commence par remercier Votre Majesté de ce qu’elle m’a pris hier au soir avec elle; car en me prenant avec elle, je sais maintenant qu’elle m’a sauvé la vie; mais qu’avais-je fait pour qu’on tentât sur moi un assassinat?
– Ce n’était point un assassinat, dit vivement Catherine, c’était une arrestation.
– Eh bien, soit, dit Henri. Quel crime avais-je commis pour être arrêté? Si je suis coupable, je le suis autant ce matin qu’hier soir. Dites-moi mon crime, Sire.
Charles regarda sa mère assez embarrassé de la réponse qu’il avait à faire.
– Mon fils, dit Catherine, vous recevez des gens suspects.
– Bien, dit Henri; et ces gens suspects me compromettent, n’est-ce pas, madame?
– Oui, Henri.
– Nommez-les-moi, nommez-les-moi! Quels sont-ils? Confrontez-moi avec eux!
– En effet, dit Charles, Henriot a le droit de demander une explication.
– Et je la demande! reprit Henri, qui, sentant la supériorité de sa position, en voulait tirer parti; je la demande à mon frère Charles, à ma bonne mère Catherine. Depuis mon mariage avec Marguerite, ne me suis-je pas conduit en bon époux? qu’on le demande à Marguerite; en bon catholique? qu’on le demande à mon confesseur; en bon parent? qu’on le demande à tous ceux qui assistaient à la chasse d’hier.
– Oui, c’est vrai, Henriot, dit le roi; mais, que veux-tu? on prétend que tu conspires.
– Contre qui?
– Contre moi.
– Sire, si j’eusse conspiré contre vous, je n’avais qu’à laisser faire les événements, quand votre cheval ayant la cuisse cassée ne pouvait se relever, quand le sanglier furieux revenait sur Votre Majesté.
– Eh! mort-diable! ma mère, savez-vous qu’il a raison!
– Mais enfin qui était chez vous cette nuit?
– Madame, dit Henri, dans un temps où si peu osent répondre d’eux-mêmes, je ne répondrai jamais des autres. J’ai quitté mon appartement à sept heures du soir; à dix heures mon frère Charles m’a emmené avec lui; je suis resté avec lui pendant toute la nuit. Je ne pouvais pas à la fois être avec Sa Majesté et savoir ce qui se passait chez moi.
– Mais, dit Catherine, il n’en est pas moins vrai qu’un homme à vous a tué deux gardes de Sa Majesté et blessé M. de Maurevel.
– Un homme à moi? dit Henri. Quel était cet homme, madame? nommez le…
– Tout le monde accuse M. de La Mole.
– M. de La Mole n’est point à moi, madame; M. de La Mole est à M. d’Alençon, à qui il a été recommandé par votre fille.
– Mais enfin, dit Charles, est-ce M. de La Mole qui était chez toi, Henriot?
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