Guy de Maupassant - Au soleil (1884)

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Au soleil — est un récit de voyage écrit par Guy de Maupassant en 1884.

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Au soleil (1884)

Guy de Maupassant

Edition originale

Au soleil À Pol Arnault La vie si courte si longue devient parfois - фото 1

Au soleil

À Pol Arnault

La vie si courte, si longue, devient parfois insupportable. Elle se déroule, toujours pareille, avec la mort au bout. On ne peut ni l’arrêter, ni la changer, ni la comprendre. Et souvent une révolte indignée vous saisit devant l’impuissance de notre effort. Quoi que nous fassions, nous mourrons ! Quoi que nous croyions, quoi que nous pensions, quoi que nous tentions, nous mourrons. Et il semble qu’on va mourir demain sans rien connaître encore, bien que dégoûté de tout ce qu’on connaît. Alors on se sent écrasé sous le sentiment de « l’éternelle misère de tout », de l’impuissance humaine et de la monotonie des actions.

On se lève, on marche, on s’accoude à sa fenêtre. Des gens en face déjeunent, comme ils déjeunaient hier, comme ils déjeuneront demain : le père, la mère, quatre enfants. Voici trois ans, la grand-mère était encore là. Elle n’y est plus. Le père a bien changé depuis que nous sommes voisins. Il ne s’en aperçoit pas ; il semble content ; il semble heureux. Imbécile !

Ils parlent d’un mariage, puis d’un décès, puis de leur poulet qui est tendre, puis de leur bonne qui n’est pas honnête. Ils s’inquiètent de mille choses inutiles et sottes. Imbéciles !

La vue de leur appartement, qu’ils habitent depuis dix-huit ans, m’emplit de dégoût et d’indignation. C’est cela, la vie ! Quatre murs, deux portes, une fenêtre, un lit, des chaises, une table, voilà ! Prison, prison ! Tout logis qu’on habite longtemps devient prison ! Oh ! Fuir, partir ! Fuir les lieux connus, les hommes, les mouvements pareils aux mêmes heures, et les mêmes pensées, surtout !

Quand on est las, las à pleurer du matin au soir, las à ne plus avoir la force de se lever pour boire un verre d’eau, las des visages amis vus trop souvent et devenus irritants, des odieux et placides voisins, des choses familières et monotones, de sa maison, de sa rue, de sa bonne qui vient dire : « que désire Monsieur pour son dîner », et qui s’en va en relevant à chaque pas, d’un ignoble coup de talon, le bord effiloqué de sa jupe sale, las de son chien trop fidèle, des taches immuables des tentures, de la régularité des repas, du sommeil dans le même lit, de chaque action répétée chaque jour, las de soi-même, de sa propre voix, des choses qu’on répète sans cesse, du cercle étroit de ses idées, las de sa figure vue dans la glace, des mines qu’on fait en se rasant, en se peignant, il faut partir, entrer dans une vie nouvelle et changeante.

Le voyage est une espèce de porte par où l’on sort de la réalité connue pour pénétrer dans une réalité inexplorée qui semble un rêve.

Une gare ! Un port ! Un train qui siffle et crache son premier jet de vapeur ! Un grand navire passant dans les jetées, lentement, mais dont le ventre halète d’impatience et qui va fuir là-bas, à l’horizon, vers des pays nouveaux ! Qui peut voir cela sans frémir d’envie, sans sentir s’éveiller dans son âme le frissonnant désir des longs voyages ?

On rêve toujours d’un pays préféré, l’un de la Suède, l’autre des Indes ; celui-ci de la Grèce et celui-là du Japon. Moi, je me sentais attiré vers l’Afrique par un impérieux besoin, par la nostalgie du Désert ignoré, comme par le pressentiment d’une passion qui va naître.

Je quittai Paris le 6 juillet 1881. Je voulais voir cette terre du soleil et du sable en plein été, sous la pesante chaleur, dans l’éblouissement furieux de la lumière. Tout le monde connaît la magnifique pièce de vers du grand poète Leconte de Lisle :

Midi, roi des étés, épandu sur la plaine,
Tombe, en nappes d’argent, des hauteurs du ciel bleu.
Tout se tait. L’air flamboie et brûle sans haleine ;
La terre est assoupie en sa robe de feu.

C’est le midi du désert, le midi épandu sur la mer de sable immobile et illimitée qui m’a fait quitter les bords fleuris de la Seine chantés par Mme Deshoulières, et les bains frais du matin, et l’ombre verte des bois, pour traverser les solitudes ardentes.

Une autre cause donnait en ce moment à l’Algérie un attrait particulier. L’insaisissable Bou-Amama conduisait cette campagne fantastique qui a fait dire, écrire et commettre tant de sottises. On affirmait aussi que les populations musulmanes préparaient une insurrection générale, qu’elles allaient tenter un dernier effort, et qu’aussitôt après le Ramadan la guerre éclaterait d’un seul coup par toute l’Algérie. Il devenait extrêmement curieux de voir l’Arabe à ce moment, de tenter de comprendre son âme, ce dont ne s’inquiètent guère les colonisateurs.

Flaubert disait quelquefois : « On peut se figurer le désert, les pyramides, le Sphinx, avant de les avoir vus ; mais ce qu’on ne s’imagine point, c’est la tête d’un barbier turc accroupi devant sa porte. »

Ne serait-il pas encore plus curieux de connaître ce qui se passe dans cette tête ?

La mer

Marseille palpite sous le gai soleil d’un jour d’été. Elle semble rire, avec ses grands cafés pavoisés, ses chevaux coiffés d’un chapeau de paille comme pour une mascarade, ses gens affairés et bruyants. Elle semble grise avec son accent qui chante par les rues, son accent que tout le monde fait sonner comme par défi. Ailleurs un Marseillais amuse, et paraît une sorte d’étranger, écorchant le français ; à Marseille, tous les Marseillais réunis donne à l’accent une exagération qui prend les allures d’une farce. Tout le monde parler comme ça, c’est trop, de l’air ! Marseille au soleil transpire, comme une belle fille qui manquerait de soins, car elle sent l’ail, la gueuse, et mille choses encore. Elle sent les innombrables nourritures que grignotent les nègres, les Turcs, les Grecs, les Italiens, les Maltais, les Espagnols, les Anglais, les Corses, et les Marseillais aussi, pécaïre, couchés, assis, roulés, vautrés sur les quais.

Dans le bassin de la Joliette, les lourds paquebots, le nez tourné vers l’entrée du port, chauffent, couverts d’hommes qui les emplissent de paquets et de marchandises.

L’un d’eux, l’Abd-el-Kader, se met tout à coup à pousser des mugissements, car le sifflet n’existe plus ; il est remplacé par une sorte de cri de bête, une voix formidable qui sort du ventre fumant du monstre.

Le vaste navire quitte son point d’attache, passe doucement au milieu de ses frères encore immobiles, sort du port, et, brusquement, le capitaine ayant jeté par son porte-voix qui descend dans les profondeurs du bateau, le commandement : « En route », il s’élance, pris d’une ardeur, ouvre la mer, laisse derrière lui un long sillage, pendant que fuient les côtes et que Marseille s’enfonce à l’horizon.

C’est l’heure du dîner, à bord. Peu de monde. On ne se rend guère en Afrique en juillet. Au bout de la table, un colonel, un ingénieur, un médecin, deux bourgeois d’Alger avec leurs femmes.

On parle du pays où l’on va, de l’administration qu’il lui faut.

Le colonel réclame énergiquement un gouvernement militaire, parle tactique dans le désert et déclare que le télégraphe est inutile et même dangereux pour les armées. Cet officier supérieur a dû éprouver quelque désagrément de guerre par la faute du télégraphe.

L’ingénieur voudrait confier la colonie à un inspecteur général des ponts et chaussées qui ferait des canaux, des barrages, des routes et mille autres choses.

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