Guy de Maupassant - Au soleil (1884)

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Au soleil — est un récit de voyage écrit par Guy de Maupassant en 1884.

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On ne distingue plus, on ne sait plus, on perd la tête. C’est un labyrinthe de manivelles, de roues, de courroies, d’engrenages en mouvement. À chaque pas on se trouve devant un monstre qui travaille du fer rouge ou sombre. Ici ce sont des scies qui divisent des plaques larges comme le corps ; là des pointes pénètrent dans des blocs de fonte et les percent ainsi qu’une aiguille qui entre en du drap ; plus loin, un autre appareil coupe des lamelles d’acier comme des ciseaux feraient d’une feuille de papier. Tout cela marche en même temps avec des mouvements différents, peuple fantastique de bêtes méchantes et grondantes. Et toujours on voit du feu sous les marteaux, du feu dans les fours, du feu partout, partout du feu. Et toujours un coup formidable et régulier dominant le tumulte des roues, des chaudières, des enclumes, des mécaniques de toutes sortes, fait trembler le sol. C’est le gros pilon du Creusot qui travaille.

Il est au bout d’un immense bâtiment qui en contient dix ou douze autres. Tous s’abattent de moment en moment sur un bloc incandescent qui lance une pluie d’étincelles et s’aplatit peu à peu, se roule, prend une forme courbe ou droite ou plate, selon la volonté des hommes.

Lui, le gros, il pèse cent mille kilos, et tombe, comme tomberait une montagne, sur un morceau d’acier rouge plus énorme encore que lui. À chaque choc un ouragan de feu jaillit de tous les côtés, et l’on voit diminuer d’épaisseur la masse que travaille le monstre.

Il monte et redescend sans cesse, avec une facilité gracieuse, mû par un homme qui appuie doucement sur un frêle levier ; et il fait penser à ces animaux effroyables, domptés jadis par des enfants, à ce que disent les contes.

Et nous entrons dans la galerie des laminoirs. C’est un spectacle plus étrange encore. Des serpents rouges courent par terre, les uns minces comme des ficelles, les autres gros comme des câbles. On dirait ici des vers de terre démesurés, et là-bas des boas effroyables. Car ici on fait des fils de fer et là-bas les rails pour les trains.

Des hommes, les yeux couverts d’une toile métallique, les mains, les bras et les jambes enveloppés de cuir, jettent dans la bouche des machines l’éternel morceau de fer ardent. La machine le saisit, le tire, l’allonge, le tire encore, le rejette, le reprend, l’amincit toujours. Lui, le fer, il se tortille comme un reptile blessé, semble lutter, mais cède, s’allonge encore, s’allonge toujours, toujours repris et toujours rejeté par la mâchoire d’acier.

Voici les rails. Impuissante à résister, la masse rougie, opaque et carrée de Bessemer s’étend sous l’effort des mécaniques et, en quelques secondes, devient un rail. Une scie géante le coupe à sa longueur exacte, et d’autres suivent sans fin, sans que rien arrête ou ralentisse le formidable travail.

Nous sortons enfin, noirs nous-mêmes comme des chauffeurs, épuisés, la vue éteinte. Et sur nos têtes s’étend le nuage épais de charbon et de fumée qui s’élève jusqu’aux hauteurs du ciel.

Oh ! Quelques fleurs, une prairie, un ruisseau et de l’herbe où se coucher sans pensée et sans autre bruit autour de soi que le glissement de l’eau ou le chant du coq, au loin !

FIN

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