Guy de Maupassant - La petite Roque (1886)
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- Название:La petite Roque (1886)
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La Petite Roque est d'abord publiée dans Gil Blas du 18 au 23 décembre 1885, puis reprise dans le recueil La Petite Roque paru le 10 mai 18861.
La nouvelle de Maupassant a été adaptée à la télévision en 1986 par Claude Santelli.
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Il recula crispé d’horreur, heurta son siège et tomba sur le dos. Il y resta quelques minutes l’âme en détresse, puis il s’assit et se mit à réfléchir. Il avait eu une hallucination, voilà tout ; une hallucination venue de ce qu’un maraudeur de nuit marchait au bord de l’eau avec son fanal. Quoi d’étonnant d’ailleurs à ce que le souvenir de son crime était en lui, parfois, la vision de la morte.
S’étant relevé, il but un verre d’eau, puis s’assit. Il songeait : « Que vais-je faire, si cela recommence ? » Et cela recommencerait, il le sentait, il en était sûr. Déjà la fenêtre sollicitait son regard, l’appelait, l’attirait. Pour ne plus la voir, il tourna sa chaise ; puis il prit un livre et essaya de lire ; mais il lui sembla entendre bientôt s’agiter quelque chose derrière lui, et il fit brusquement pivoter sur un pied son fauteuil. Le rideau remuait encore ; certes, il avait remué, cette fois ; il n’en pouvait plus douter ; il s’élança et le saisit d’une main si brutale qu’il le jeta bas avec sa galerie ; puis il colla avidement sa face contre la vitre. Il ne vit rien. Tout était noir au dehors ; et il respira avec la joie d’un homme dont on vient de sauver la vie.
Donc il retourna s’asseoir ; mais presque aussitôt le désir le reprit de regarder de nouveau par la fenêtre. Depuis que le rideau était tombé, elle faisait une sorte de trou sombre attirant, redoutable, sur la campagne obscure. Pour ne point céder à cette dangereuse tentation, il se dévêtit, souffla ses lumières, se coucha et ferma les yeux.
Immobile, sur le dos, la peau chaude et moite, il attendait le sommeil. Une grande lumière tout à coup traversa ses paupières. Il les ouvrit, croyant sa demeure en feu. Tout était noir, et il se mit sur son coude pour tâcher de distinguer sa fenêtre qui l’attirait toujours, invinciblement. A force de chercher à voir, il aperçut quelques étoiles ; et il se leva, traversa sa chambre à tâtons, trouva les carreaux avec ses mains étendues, appliqua son front dessus. Là-bas, sous les arbres, le corps de la fillette luisait comme du phosphore, éclairant l’ombre autour de lui !
Renardet poussa un cri et se sauva vers son lit, où il resta jusqu’au matin, la tête cachée sous l’oreiller.
A partir de ce moment, sa vie devint intolérable. Il passait ses jours dans la terreur des nuits ; et chaque nuit, la vision recommençait. A peine enfermé dans sa chambre, il essayait de lutter ; mais en vain. Une force irrésistible le soulevait et le poussait à sa vitre, comme pour appeler le fantôme et il le voyait aussitôt, couché d’abord au lieu du crime, couché les bras ouverts, les jambes ouvertes, tel que le corps avait été trouvé. Puis la morte se levait et s’en venait, à petits pas, ainsi que l’enfant avait fait en sortant de la rivière. Elle s’en venait, doucement, tout droit en passant sur le gazon et sur la corbeille de fleurs desséchées ; puis elle s’élevait dans l’air, vers la fenêtre de Renardet. Elle venait vers lui, comme elle était venue le jour du crime, vers le meurtrier. Et l’homme reculait devant l’apparition, il reculait jusqu’à son lit et s’affaissait dessus, sachant bien que la petite était entrée et qu’elle se tenait maintenant derrière le rideau qui remuerait tout à l’heure. Et jusqu’au jour il le regardait, ce rideau, d’un œil fixe, s’attendant sans cesse à voir sortir sa victime. Mais elle ne se montrait plus ; elle restait là, sous l’étoffe agitée parfois d’un tremblement. Et Renardet, les doigts crispés sur ses draps, les serrait ainsi qu’il avait serré la gorge de la petite Roque. Il écoutait sonner les heures ; il entendait battre dans le silence le balancier de sa pendule et les coups profonds de son cœur. Et il souffrait, le misérable, plus qu’aucun homme n’avait jamais souffert.
Puis, dès qu’une ligne blanche apparaissait au plafond, annonçant le jour prochain, il se sentait délivré, seul enfin, seul dans sa chambre ; et il se recouchait. Il dormait alors quelques heures, d’un sommeil inquiet et fiévreux, où il recommençait souvent en rêve l’épouvantable vision de ses veilles.
Quand il descendait plus tard pour le déjeuner de midi, il se sentait courbaturé comme après de prodigieuses fatigues ; et il mangeait à peine, hanté toujours par la crainte de celle qu’il reverrait la nuit suivante.
Il savait bien pourtant que ce n’était pas une apparition, que les morts ne reviennent point, et que son âme malade, son âme obsédée par une pensée unique, par un souvenir inoubliable, était la seule cause de son supplice, la seule évocatrice de la morte ressuscitée par elle, appelée par elle et dressée aussi par elle devant ses yeux où restait empreinte l’image ineffaçable. Mais il savait aussi qu’il ne guérirait pas, qu’il n’échapperait jamais à la persécution sauvage de sa mémoire ; et il se résolut à mourir, plutôt que de supporter plus longtemps ces tortures.
Alors il chercha comment il se tuerait. Il voulait quelque chose de simple et de naturel, qui ne laisserait pas croire à un suicide. Car il tenait à sa réputation, au nom légué par ses pères ; et si on soupçonnait la cause de sa mort, on songerait sans doute au crime inexpliqué, à l’introuvable meurtrier, et on ne tarderait point à l’accuser du forfait.
Une idée étrange lui était venue, celle de se faire écraser par l’arbre au pied duquel il avait assassiné la petite Roque. Il se décida donc à faire abattre sa futaie et à simuler un accident. Mais le hêtre refusa de lui casser les reins.
Rentré chez lui, en proie à un désespoir éperdu, il avait saisi son revolver, et puis il n’avait pas osé tirer.
L’heure du dîner sonna ; il avait mangé, puis était remonté. Et il ne savait pas ce qu’il allait faire. Il se sentait lâche maintenant qu’il avait échappé une première fois. Tout à l’heure il était prêt, fortifié, décidé, maître de son courage et de sa résolution ; à présent, il était faible et il avait peur de la mort, autant que de la morte.
Il balbutiait : « Je n’oserai plus, je n’oserai plus » ; et il regardait avec terreur, tantôt l’arme sur sa table, tantôt le rideau qui cachait sa fenêtre. Il lui semblait aussi que quelque chose d’horrible aurait lieu sitôt que sa vie cesserait ! Quelque chose ? Quoi ? Leur rencontre peut-être ? Elle le guettait, elle l’attendait, l’appelait, et c’était pour le prendre à son tour, pour l’attirer dans sa vengeance et le décider à mourir qu’elle se montrait ainsi tous les soirs.
Il se mit à pleurer comme un enfant, répétant : « Je n’oserai plus. » Puis il tomba sur les genoux, et balbutia : « Mon Dieu, mon Dieu. » Sans croire à Dieu, pourtant. Et il n’osait plus, en effet, regarder sa fenêtre où il savait blottie l’apparition, ni sa table où luisait son revolver.
Quand il se fut relevé, il dit tout haut :
— Ça ne peut pas durer, il faut en finir.
Le son de sa voix dans la chambre silencieuse lui fit passer un frisson de peur le long des membres ; mais comme il ne se décidait à prendre aucune résolution ; comme il sentait bien que le doigt de sa main refuserait toujours de presser la gâchette de l’arme, il retourna cacher sa tête sous les couvertures de son lit, et il réfléchit.
Il lui fallait trouver quelque chose qui le forcerait à mourir, inventer une ruse contre lui-même qui ne lui laisserait plus aucune hésitation, aucun retard, aucun regret possibles. Il enviait les condamnés qu’on mène à l’échafaud au milieu des soldats. Oh ! S’il pouvait prier quelqu’un de tirer ; s’il pouvait, avouant l’état de son âme, avouant son crime à un ami sûr qui ne le divulguerait jamais, obtenir de lui la mort. Mais à qui demander ce service terrible ? A qui ? Il cherchait parmi les gens qu’il connaissait. Le médecin ? Non. Il raconterait cela plus tard, sans doute ? Et tout à coup, une bizarre pensée traversa son esprit. Il allait écrire au juge d’instruction, qu’il connaissait intimement, pour se dénoncer lui-même. Il lui dirait tout, dans cette lettre, et le crime, et les tortures qu’il endurait, et sa résolution de mourir, et ses hésitations, et le moyen qu’il employait pour forcer son courage défaillant. Il le supplierait au nom de leur vieille amitié de détruire sa lettre dès qu’il aurait appris que le coupable s’était fait justice. Renardet pouvait compter sur ce magistrat, il le savait sûr, discret, incapable même d’une parole légère. C’était un de ces hommes qui ont une conscience inflexible gouvernée, dirigée, réglée par leur seule raison.
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