Octave Mirbeau - Le journal d’une femme de chambre

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Le journal d’une femme de chambre: краткое содержание, описание и аннотация

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Célestine entre dans sa nouvelle place de femme de chambre, en province, au service de M. et Mme Lanlaire et aux côtés de la cuisinière Marianne et du palefrenier Joseph. Elle se souvient de ses anciens maîtres, comme ce vieillard fasciné par les bottines, ou cette vieille femme qui va s'encanailler, ou encore cette épouse qui attend chaque nuit d'être honorée par son mari. Célestine est mise au courant de tous les ragots de la ville par les autres servantes: Madame est une femme acariâtre et Monsieur, coureur de jupons, se laisse dominer par elle. Leurs voisins – un vieux capitaine et sa servante, Rose, qui lui sert de maîtresse – les détestent. À la nouvelle de la mort de sa mère, Célestine se remémore son enfance et sa première expérience amoureuse. Monsieur entreprend Célestine, qui le repousse…

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Aussi, je me méfie de la propreté de Madame… Lorsqu’elle m’a montré son cabinet de toilette, je n’y ai remarqué ni petit meuble, ni baignoire, ni rien de ce qu’il faut à une femme soignée et qui la pratique dans les coins… Et ce que c’est sommaire, là-dedans, en fait de bibelots, de flacons, de tous ces objets intimes et parfumés que j’aime tant à tripoter… Il me tarde de voir Madame, toute nue, pour m’amuser un peu… Ça doit être du joli…

Le soir, comme je mettais le couvert, Monsieur est entré dans la salle à manger… Il revenait de la chasse… C’est un homme très grand, avec une large carrure d’épaules, de fortes moustaches noires, et un teint mat… Ses manières sont un peu lourdes, un peu gauches, mais il paraît bon enfant… Évidemment, ce n’est pas un génie comme M. Jules Lemaître, que j’ai tant de fois servi, rue Christophe-Colomb, ni un élégant comme M. de Janzé. – ah, celui-là! Pourtant, il est sympathique… Ses cheveux drus et frisés, son cou de taureau, ses mollets de lutteur, ses lèvres charnues, très rouges et souriantes, attestent la force et la bonne humeur… Je parie qu’il est porté sur la chose, lui… J’ai vu cela, tout de suite, à son nez mobile, flaireur, sensuel, à ses yeux extrêmement brillants, doux en même temps que rigolos… Jamais, je crois, je n’ai rencontré, chez un être humain, de tels sourcils, épais jusqu’à en être obscènes, et des mains si velues… Ce qu’il doit en avoir un dessus de malle, le gros père!… Comme la plupart des hommes peu intelligents et de muscles développés, il est d’une grande timidité.

Il m’a examinée d’un air tout drôle, d’un air où il y avait de la bienveillance, de la surprise, du contentement… quelque chose aussi de polisson sans effronterie, de déshabilleur, sans brutalité. Il est évident que Monsieur n’est pas habitué à des femmes de chambre comme moi, que je l’épate, que j’ai fait, sur lui, du premier coup, une grande impression… Il m’a dit, avec un peu d’embarras:

– Ah!… ah!… c’est vous, la nouvelle femme de chambre?…

J’ai tendu mon buste en avant, j’ai baissé légèrement les yeux, puis, modeste et mutine, à la fois, de ma voix la plus douce, j’ai répondu simplement:

– Mais oui, Monsieur, c’est moi…

Alors, il a balbutié:

– Ainsi, vous êtes arrivée?… C’est très bien… c’est très bien…

Il aurait voulu parler encore… cherchait quelque chose à dire, mais, n’étant pas éloquent ni débrouillard, il ne trouvait rien… Je m’amusais vivement de sa gêne… Après un court silence:

– Comme ça, a-t-il fait, vous venez de Paris?

– Oui, Monsieur…

– C’est très bien… c’est très bien.

Et s’enhardissant:

– Comment vous appelez-vous?

– Célestine… Monsieur…

Par manière de contenance, il s’est frotté les mains, et il a repris:

– Célestine!… Ah! ah!… C’est très bien… Un nom pas commun… un joli nom, ma foi!… Pourvu que Madame ne vous oblige pas à le changer… elle a cette manie…

J’ai répondu, digne et soumise:

– Je suis à la disposition de Madame…

– Sans doute… sans doute… Mais c’est un joli nom…

J’ai manqué éclater de rire… Monsieur s’est mis à marcher dans la salle, puis, tout d’un coup, il s’est assis sur une chaise, il a allongé ses jambes et, mettant dans son regard comme une excuse, dans sa voix, comme une prière, il m’a demandé:

– Eh bien, Célestine… car moi, je vous appellerai toujours Célestine… voulez-vous m’aider à retirer mes bottes?… Ça ne vous ennuie pas, au moins?

– Certainement, non, Monsieur…

– Parce que, voyez-vous… ces sacrées bottes… elles sont très difficiles… elles glissent mal…

Dans un mouvement que j’essayai de rendre harmonieux et souple, et même provocant, je me suis agenouillée en face de lui. Et pendant que je l’aidais à retirer ses bottes, qui étaient mouillées et couvertes de boue, j’ai parfaitement senti que son nez s’excitait aux parfums de ma nuque, que ses yeux suivaient, avec un intérêt grandissant, les contours de mon corsage et tout ce qui se révélait de moi, à travers la robe… Tout à coup, il murmure:

– Sapristi! Célestine… Vous sentez rudement bon…

Sans lever les yeux, j’ai pris un air ingénu:

– Moi, Monsieur?…

– Bien sûr… vous… Parbleu!… je pense que ça n’est pas mes pieds…

– Oh! Monsieur!…

Et ce: «Oh! Monsieur!» était, en même temps qu’une protestation en faveur de ses pieds, une sorte de réprimande amicale – amicale jusqu’à l’encouragement – pour sa familiarité… A-t-il compris?… Je le crois, car, de nouveau, avec plus de force, et, même, avec une sorte de tremblement amoureux, il a répété:

– Célestine!… Vous sentez rudement bon… rudement bon…

Ah mais! il s’émancipe, le gros père… J’ai fait celle qui était légèrement scandalisée par cette insistance, et je me suis tue… Timide comme il est et ne connaissant rien aux trucs des femmes, Monsieur s’est troublé… Il a craint sans doute d’avoir été trop loin, et changeant d’idée brusquement:

– Vous habituez-vous ici, Célestine?…

Cette question?… Si je m’habitue ici?… Voilà trois heures que je suis ici… J’ai dû me mordre les lèvres, pour ne pas pouffer… Il en a de drôles, le bonhomme… et vraiment il est un peu bête.

Mais cela ne fait rien… Il ne me déplaît pas… Dans sa vulgarité même, il dégage je ne sais quoi de puissant… Et aussi une odeur de mâle… un fumet de fauve, pénétrant et chaud… qui ne m’est pas désagréable.

Quand ses bottes eurent été retirées, et pour le laisser sur une bonne impression de moi, je lui ai demandé, à mon tour:

– Je vois que Monsieur est chasseur… Monsieur a fait une bonne chasse, aujourd’hui?

– Je ne fais jamais de bonnes chasses, Célestine, a-t-il répliqué, en hochant la tête… C’est pour marcher… pour me promener… pour n’être pas ici, où je m’ennuie…

– Ah! Monsieur s’ennuie ici?…

Après une pause, il a rectifié galamment:

– C’est-à-dire… je m’ennuyais… Car maintenant… enfin… voilà!…

Puis, avec un sourire bête et touchant:

– Célestine?…

– Monsieur!

– Voulez-vous me donner mes pantoufles?… Je vous demande pardon…

– Mais, Monsieur, c’est mon métier…

– Oui… enfin… Elles sont sous l’escalier… dans un petit cabinet noir… à gauche…

Je crois que j’en aurai tout ce que je voudrai de ce type-là… Il n’est pas malin, il se livre du premier coup… Ah! on pourrait le mener loin…

Le dîner, peu luxueux, composé des restes de la veille, s’est passé sans incidents, presque silencieusement… Monsieur dévore, et Madame pignoche dans les plats avec des gestes maussades et des moues dédaigneuses… Ce qu’elle absorbe, ce sont des cachets, des sirops, des gouttes, des pilules, toute une pharmacie qu’il faut avoir bien soin de mettre sur la table, à chaque repas, devant son assiette… Ils ont très peu parlé, et, encore, sur des choses et des gens de l’endroit qui sont pour moi d’un intérêt médiocre… Ce que j’ai compris, c’est qu’ils reçoivent très peu. D’ailleurs, il était visible que leur pensée n’était point à ce qu’ils disaient… Ils m’observaient, chacun, selon les idées qui les mènent, conduits, chacun, par une curiosité différente; Madame, sévère et raide, méprisante même, de plus en plus hostile, et songeant, déjà, à tous les sales tours qu’elle me jouera; Monsieur en dessous, avec des clignements d’yeux très significatifs et, quoiqu’il s’efforçât de les dissimuler, d’étranges regards sur mes mains… En vérité, je ne sais pas ce qu’ont les hommes à s’exciter ainsi sur mes mains?… Moi, j’avais l’air de ne rien remarquer à leur manège… J’allais, venais digne, réservée, adroite et… lointaine… Ah! s’ils avaient pu voir mon âme, s’ils avaient pu écouter mon âme, comme je voyais et comme j’entendais la leur!…

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