Jane Austen - Catherine Morland

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Écrit en 1803, Catherine Morland (Northanger Abbey) est le premier roman de Jane Austen, même s'il n'a été publié qu'en 1818, un an après sa mort.
La jeune et naïve Catherine Morland est invitée par des voisins de ses parents à passer quelques semaines à Bath. Là, elle se lie d'amitié avec la jeune et inconstante Isabelle Thorpe et son frère, le présomptuteux John qui se pose rapidement en prétendant de Catherine. Elle y rencontre également Henry Tilney et sa charmante soeur Eléonore. Catherine n'est pas insensible au charme de Henry. Aussi, quand le père d'Henry invite Catherine à passer quelques jours dans sa maison, elle est au comble du bonheur. D'autant plus que Catherine, très imprégnée par ses lectures de romans gothiques alors très à la mode, apprend que la demeure de M. Tilney est une ancienne abbaye: Northanger Abbey…

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– Blaize Castle, dit Catherine, qu’est cela?

– Le plus joli coin de l’Angleterre. Cela vaut qu’on fasse cinquante milles, n’importe quand, pour le voir.

– Est-ce vraiment un château? Un vieux château?

– Le plus vieux du royaume.

– Comme ceux dont on parle dans les livres?

– Exactement. Tout à fait le même.

– Mais a-t-il réellement des tours, de longs couloirs?

– Par douzaines.

– J’aimerais bien le voir. Mais je ne peux pas, je ne peux pas vous accompagner.

– Ne pas nous accompagner, ma chère âme! Que voulez-vous dire?

– Je ne puis pas, parce que… (elle baissait les yeux, craignant le sourire d’Isabelle) j’attends M lleTilney et son frère qui doivent me venir prendre pour une promenade à la campagne. Ils avaient promis d’être là à midi, à moins qu’il plût. Maintenant qu’il fait si beau, je crois qu’ils seront bientôt ici.

– Non, s’écria Thorpe. Comme nous tournions Broad Street, je les ai vus. N’a-t-il pas un phaéton avec de beaux alezans?

– Je ne sais pas.

– Je sais qu’oui. C’est bien l’individu avec qui vous avez dansé hier soir, n’est-ce pas?

– Oui.

– Eh bien! je l’ai vu, qui montait Lansdown Road. Il promenait une pimpante fille.

– Vous l’avez vu, vraiment?

– Vu, sur mon âme! Reconnu tout de suite! Et il m’a même semblé qu’il avait de beaux chevaux.

– C’est bien singulier! Sans doute pensait-il qu’il ferait trop de boue pour se promener.

– Et avec raison. De ma vie, je n’ai vu tant de boue. Marcher! Vous voleriez plutôt! Il n’a pas fait si sale de tout l’hiver. De la boue jusqu’à la cheville.

Isabelle corrobora ces informations.

– Ma chère Catherine, vous ne sauriez vous faire une idée de cette boue. Venez, il faut que vous veniez, vous ne pouvez plus refuser de venir.

– J’aimerais voir ce château… Mais… peut-on le visiter entièrement? Peut-on monter chaque escalier, errer dans l’enfilade des salles?

– Oui, oui! Visiter les moindres trous, les moindres recoins.

– Mais s’ils ne sont sortis que pour une heure, jusqu’à ce qu’il fasse plus sec, et s’ils viennent me chercher ensuite…

– Soyez tranquille. Pas de danger. Car j’ai entendu Tilney crier à un cavalier qui passait près de lui qu’ils allaient à Wick Rocks.

– Alors, je veux bien. Irai-je, madame Allen?

– Comme il vous plaira, ma chère.

– Madame Allen, persuadez lui de venir! fut le cri unanime.

M meAllen ne fut pas sourde à cet appel.

– Bien, ma chère, dit-elle. Je suppose que vous irez.

Deux minutes après, ils étaient partis.

Catherine, tandis qu’elle montait en voiture, était partagée entre le regret de délaisser un grand plaisir et l’espoir de goûter bientôt un plaisir différent, mais non moins grand peut-être. Elle ne pensait pas que les Tilney eussent agi tout à fait bien de rompre si vite leur engagement, sans lui envoyer un mot d’excuse: il ne s’était guère écoulé qu’une heure depuis le moment d’abord fixé pour la promenade, et, en dépit de la désolante description qui lui avait été faite de l’état des chemins, elle ne tarda pas à s’apercevoir qu’on pouvait circuler sans tant de difficultés. Ce manque d’égards lui était très pénible. D’autre part, la joie de visiter un château pareil à celui d’Udolphe (son imagination se représentait ainsi Blaize Castle) devait la faire passer sur bien des contre-temps.

Rapidement, ils descendirent Pulteney Street et traversèrent Laura Place. Thorpe parlait à ses chevaux. Elle pensait tour à tour à des promesses rompues et à des voûtes croulantes, à des phaétons et à de mystérieux huis, aux Tilney et à des oubliettes. Comme ils traversaient Argyle Buildings, elle fut tirée de ses réflexions par Thorpe:

– Qui est cette jeune fille qui vous dévisageait en passant près de nous?

– Qui? où?

– Là-bas. Elle doit être presque hors de vue maintenant.

Catherine regarda, et elle vit M lleTilney au bras de son frère: ils descendaient lentement la rue. Elle les vit se retourner et la regarder.

– Arrêtez, arrêtez, monsieur Thorpe! criait-elle avec impatience. C’est M. Tilney, c’est lui! Comment avez-vous pu me dire qu’ils étaient partis. Arrêtez, arrêtez! je veux descendre tout de suite et les rejoindre.

Paroles vaines. Thorpe, tout simplement, lâcha les rênes, et le trot s’accéléra. Les Tilney ne se retournaient plus. À l’angle de Laura Place, ils disparurent. Cependant le cabriolet traversait au grand trot Market Place, s’engageait dans une rue, et toujours Catherine suppliait Thorpe:

– Je vous en prie, je vous en prie, arrêtez, monsieur Thorpe! Je ne peux pas aller plus loin, je ne veux pas aller plus loin! Il faut que je rejoigne M lleTilney!

Thorpe se contentait de rire, faisait claquer son fouet, encourageait son cheval, poussait des grognements saugrenus, et allait toujours. Catherine, furieuse et désolée tout ensemble, emprisonnée là, fut obligée de se soumettre. Mais elle n’épargna pas Thorpe.

– Comment avez-vous pu me tromper ainsi, monsieur Thorpe? Comment avez-vous pu dire que vous les aviez vus monter Landsdown Road? Combien je voudrais que rien de tout cela ne fût arrivé! Ils doivent trouver bien étrange, bien grossier que je passe si près d’eux sans un mot! Vous ne pouvez pas savoir à quel point je suis contrariée. Rien, à Clifton, rien, dans cette promenade, ne me fera plaisir. J’aimerais même dix mille fois mieux descendre maintenant et les rejoindre. Comment avez-vous pu me dire que vous les aviez vus en phaéton?

Thorpe se défendit très vivement, déclara qu’il n’y avait jamais eu telle ressemblance, et renonça très difficilement à croire que ce ne fût pas Tilney lui-même qu’il avait vu.

Leur promenade, même close cette discussion, ne pouvait être fort agréable. L’indulgence dont Catherine avait fait preuve jusque-là disparut. Elle écoutait à contre-cœur, et ses réponses étaient brèves. Blaize Castle restait sa seule consolation, lui souriait encore par intervalles. Plutôt que d’être défavorablement jugée par les Tilney, elle eût pourtant renoncé aux joies que recélaient ces murs: parcourir la longue enfilade de hautes salles, déshabitées depuis des ans, où s’éternisent de somptueux vestiges; heurter, au bout d’un étroit et tortueux souterrain, une porte basse et qui crie sur ses gonds; frissonner au coup de vent brusque, qui éteint la lampe, la seule lampe, et alors demeurer dans le noir. Cependant, ils continuaient leur chemin sans incident, et ils arrivaient en vue de Keynsham, quand un «halloo» de Morland arrêta Thorpe. Les autres rejoignirent la première voiture.

– Rebroussons chemin, Thorpe, dit Morland; il est trop tard pour aller plus loin aujourd’hui. C’est aussi l’avis de votre sœur. Il y a juste une heure que nous avons quitté Pulteney Street, et nous n’avons guère fait plus de sept milles; il nous en reste à faire au moins huit: c’est trop. Nous ne sommes pas partis assez tôt. Mieux vaudrait surseoir à notre projet et rentrer.

– Complètement égal, répondit Thorpe.

Il tourna bride, et l’on roula vers Bath.

– Si votre frère n’avait cette sale bête à conduire, dit-il, nous aurions fort bien pu aller jusqu’au bout. Livré à lui-même, mon cheval serait déjà à Clifton: je me suis démantibulé le bras à le maintenir au pas de cette poussive rosse. Morland est un sot de n’avoir pas à lui un cheval et un cabriolet.

– Non, ce n’est pas un sot, dit chaleureusement Catherine; il ne peut avoir ni cheval ni cabriolet.

– Et pourquoi ne peut-il pas?

– Parce qu’il n’a pas assez d’argent.

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