– Pas ceux qui y apportent de si frais sentiments. Mais papas et mamans et frères et amis intimes tout cela est bien suranné pour la plupart des habitués de Bath, et s’intéresser au bal, au théâtre et au spectacle de la vie quotidienne ne l’est pas moins.
Là finit leur conversation, de par les exigences de la danse.
Bientôt après qu’ils eurent atteint le bout de la salle, Catherine se sentit regardée attentivement par un gentleman qui se tenait, parmi les spectateurs, immédiatement derrière M. Tilney. C’était un homme de belle allure et de masque énergique, dont la jeunesse était passée, mais non pas la vitalité. Elle le vit bientôt qui, la regardant toujours, disait familièrement à voix basse quelques mots à M. Tilney. Confuse d’appeler l’attention et rougissante, elle détourna la tête. Le gentleman parti, M. Tilney, se rapprochant d’elle:
– Je vois que vous êtes inquiète de ce qui vient de m’être demandé. Ce gentleman connaît maintenant votre nom, vous avez le droit de connaître le sien. C’est le général Tilney, mon père.
La réponse de Catherine fut simplement: «Oh!» mais ce fut un «Oh!» expressif. Elle suivit des yeux le général qui circulait à travers la foule. «Quelle belle famille!» pensa-t-elle.
En causant avec M lleTilney un instant après, elle sentit naître en elle une nouvelle source de félicité. Elle n’avait jamais fait d’excursion à la campagne depuis son arrivée à Bath. M lleTilney, à qui tous les environs étaient familiers, en parlait de temps en temps, ce qui rendait Catherine plus impatiente encore de les connaître. Sur sa crainte exprimée de ne trouver personne qui les lui montrât, le frère et la sœur lui proposèrent de l’emmener un jour ou l’autre.
– Cela me plaira plus que tout au monde, s’écria-t-elle; mais, laissez-moi vous en prier, allons demain.
Ils acceptèrent, sous la réserve, faite par M lleTilney, qu’il ne plût pas, – et Catherine était convaincue qu’il ne pleuvrait pas. À midi ils iraient la chercher, Pulteney Street. «N’oubliez pas, midi» fut le mot d’adieu de Catherine à sa nouvelle amie. L’autre amie, l’ancienne amie, l’amie en possession d’état, Isabelle, dont elle avait expérimenté pendant quinze jours la fidélité et les mérites, elle ne la vit presque pas de la soirée. Elle eût voulu pourtant lui dire son bonheur. Mais elle se soumit joyeusement au désir de M. Allen, de rentrer tôt, et, jusqu’à la maison, ses pensées dansèrent en elle, comme elle dansait dans la voiture.
Le lendemain matin, le temps était très indécis; le soleil faisait de bien vagues efforts pour percer. Catherine en tira le meilleur augure. À cette époque de l’année, quand il faisait trop beau temps le matin, il pleuvait dans l’après-midi; et une matinée nuageuse laissait le champ libre à toutes améliorations. Elle en appela à M. Allen, afin qu’il confirmât son présage. Mais M. Allen, en cet exil, n’avait pas son ciel à lui ni son baromètre: il refusa d’annoncer le beau temps. Elle en appela à M meAllen, dont l’opinion fut plus positive. M meAllen ne doutait point que la journée fût à souhait, – si les nuages se dissipaient et si apparaissait le soleil.
Vers onze heures, quelques gouttes de pluie sur les vitres attirèrent l’attention de Catherine.
– Oh! je crois que le temps sera humide. Pas de promenade pour moi aujourd’hui, soupira-t-elle. Peut-être ce ne sera-t-il rien, peut-être cessera-t-il de pleuvoir avant midi.
– Peut-être, mais alors, ma chère, il fera si sale…
– Oh! il n’importe: je ne crains pas la boue.
– Oui, répondit très placidement son amie, vous ne craignez pas la boue.
Un silence.
– Il pleut de plus en plus fort, dit Catherine debout devant la fenêtre.
– En effet. S’il continue à pleuvoir, les rues seront bien mouillées.
– Déjà quatre parapluies ouverts. Je hais la vue d’un parapluie.
– C’est si ennuyeux, à porter.
– La matinée s’annonçait si bien. J’étais si convaincue qu’il ne pleuvrait pas.
– Qui ne l’aurait cru, en effet? Il y aura bien peu de monde à la Pump-Room s’il pleut toute la matinée. M. Allen fera bien de mettre son manteau quand il sortira; mais je suis sûre qu’il ne le mettra pas: tout plutôt que de sortir avec un manteau! Je m’étonne qu’il n’aime pas cela: ce doit être si confortable.
La pluie continuait à tomber assez fort. De cinq en cinq minutes, Catherine allait à la pendule et, au retour, déclarait que, s’il pleuvait cinq minutes de plus, elle cesserait d’espérer. La pendule marqua midi, et il pleuvait toujours.
– Vous ne pourrez pas sortir, ma chère.
– Je ne désespère pas encore tout à fait. Je ne renoncerai pas à espérer avant midi et quart. C’est juste le moment de la journée où le temps peut s’éclaircir. Déjà, il me semble, il fait un peu moins sombre. Là! il est midi vingt. Je me rends. Oh! s’il faisait ici le temps qu’il faisait à Udolphe, la nuit que le pauvre Saint-Aubin mourut, un si beau temps!
À midi et demi, – et Catherine désormais sans espoir, avait cessé de scruter le ciel, – le ciel commença à s’éclaircir. Un rayon atteignit la jeune fille. Elle leva la tête. Les nuages se dissipaient. Elle se campa devant la fenêtre, pour épier et saluer l’avènement du soleil. Dix minutes plus tard, il était avéré que l’après-midi serait très belle, ce qui justifiait l’opinion de M meAllen, «qui avait toujours pensé que le temps s’éclaircirait». Mais Catherine pouvait-elle encore espérer la venue de ses amis? N’avait-il pas plu trop fort pour que M lleTilney se risquât à sortir?
Il y avait trop de boue pour que M meAllen accompagnât son mari à la Pump-Room. M. Allen sortit donc seul. Il était à peine au bout de la rue, quand l’attention de Catherine fut attirée par deux voitures découvertes, charriant trois personnes, ces mêmes voitures et ces mêmes personnes dont l’arrivée l’avait tant surprise quelques jours auparavant.
– Isabelle, mon frère et M. Thorpe! Ils viennent pour moi, peut-être; mais je n’irai pas: vraiment, je ne peux pas aller, car, vous le savez, il n’est pas encore dit que M lleTilney ne vienne pas.
M meAllen en convint. Cependant John Thorpe montait l’escalier à grandes enjambées.
– Dépêchez-vous! dépêchez-vous, miss Morland! cria-t-il en ouvrant la porte. Mettez vite votre chapeau. Pas de temps à perdre! Nous allons à Bristol. Comment ça va, madame Allen?
– À Bristol? n’est-ce pas très loin? Quoi qu’il en soit, je ne puis vous accompagner: je suis engagée. J’attends des amis d’un moment à l’autre.
Thorpe se récriait: «ce n’était pas une raison.» M meAllen fut appelée à l’aide. Alors Isabelle et James entrèrent prêter secours à John Thorpe.
– Ma chère Catherine, ce sera délicieux, une promenade divine. Vous nous devez, à votre frère et à moi, des remercîments. L’idée de cette excursion nous est venue à tous deux, pendant le déjeuner. Et nous serions en route depuis deux heures, n’eût été cette détestable pluie. N’importe. Les nuits sont claires. Nous ferons une exquise promenade. Je suis en extase à la pensée d’un peu de campagne et de tranquillité. C’est bien mieux que d’aller aux Lower Rooms. Nous irons directement à Clifton, où nous dînerons. Aussitôt après le dîner, si nous en avons le temps, nous partirons pour Kingsweston.
– Je doute que nous puissions faire tout cela, dit Morland.
– Espèce de trouble-fête! s’écria Thorpe. Nous en ferons dix fois plus. Kingsweston, eh! Et Blaize Castle aussi! Et tout ce dont nous entendrons parler! Mais voilà votre sœur qui ne veut pas venir!…
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