Une femme lui lançait une pierre à la tête: « Voilà qui t’apprendra à nous réveiller la nuit avec ton carillon de damné.
– À boire! » répéta pour la troisième fois Quasimodo pantelant.
En ce moment, il vit s’écarter la populace. Une jeune fille bizarrement vêtue sortit de la foule. Elle était accompagnée d’une petite chèvre blanche à cornes dorées et portait un tambour de basque à la main.
L’œil de Quasimodo étincela. C’était la bohémienne qu’il avait essayé d’enlever la nuit précédente, algarade pour laquelle il sentait confusément qu’on le châtiait en cet instant même; ce qui du reste n’était pas le moins du monde, puisqu’il n’était puni que du malheur d’être sourd et d’avoir été jugé par un sourd. Il ne douta pas qu’elle ne vînt se venger aussi, et lui donner son coup comme tous les autres.
Il la vit en effet monter rapidement l’échelle. La colère et le dépit le suffoquaient. Il eût voulu pouvoir faire crouler le pilori, et si l’éclair de son œil eût pu foudroyer, l’égyptienne eût été mise en poudre avant d’arriver sur la plate-forme.
Elle s’approcha, sans dire une parole, du patient qui se tordait vainement pour lui échapper, et, détachant une gourde de sa ceinture, elle la porta doucement aux lèvres arides du misérable.
Alors, dans cet œil jusque-là si sec et si brûlé, on vit rouler une grosse larme qui tomba lentement le long de ce visage difforme et longtemps contracté par le désespoir. C’était la première peut-être que l’infortuné eût jamais versée.
Cependant il oubliait de boire. L’égyptienne fit sa petite moue avec impatience, et appuya en souriant le goulot à la bouche dentue de Quasimodo.
Il but à longs traits. Sa soif était ardente.
Quand il eut fini, le misérable allongea ses lèvres noires, sans doute pour baiser la belle main qui venait de l’assister. Mais la jeune fille, qui n’était pas sans défiance peut-être et se souvenait de la violente tentative de la nuit, retira sa main avec le geste effrayé d’un enfant qui craint d’être mordu par une bête.
Alors le pauvre sourd fixa sur elle un regard plein de reproche et d’une tristesse inexprimable.
C’eût été partout un spectacle touchant que cette belle fille, fraîche, pure, charmante, et si faible en même temps, ainsi pieusement accourue au secours de tant de misère, de difformité et de méchanceté. Sur un pilori, ce spectacle était sublime.
Tout ce peuple lui-même en fut saisi et se mit à battre des mains en criant: « Noël! Noël! »
C’est dans ce moment que la recluse aperçut, de la lucarne de son trou, l’égyptienne sur le pilori et lui jeta son imprécation sinistre: « Maudite sois-tu, fille d’Égypte! maudite! maudite! »
V
Fin de l’histoire de la galette
La Esmeralda pâlit, et descendit du pilori en chancelant. La voix de la recluse la poursuivit encore: « Descends! descends! larronnesse d’Égypte, tu y remonteras! – La sachette est dans ses lubies », dit le peuple en murmurant; et il n’en fut rien de plus. Car ces sortes de femmes étaient redoutées, ce qui les faisait sacrées. On ne s’attaquait pas volontiers alors à qui priait jour et nuit. L’heure était venue de remmener Quasimodo. On le détacha, et la foule se dispersa. Près du Grand-Pont, Mahiette, qui s’en revenait avec ses deux compagnes, s’arrêta brusquement: « À propos, Eustache! qu’as-tu fait de la galette? – Mère, dit l’enfant, pendant que vous parliez avec cette dame qui était dans le trou, il y avait un gros chien qui a mordu dans ma galette. Alors j’en ai mangé aussi. – Comment, monsieur, reprit-elle, vous avez tout mangé? – Mère, c’est le chien. Je lui ai dit, il ne m’a pas écouté. Alors j’ai mordu aussi, tiens! – C’est un enfant terrible, dit la mère souriant et grondant à la fois. Voyez-vous, Oudarde, il mange déjà à lui seul tout le cerisier de notre clos de Charlerange. Aussi son grand-père dit que ce sera un capitaine. – Que je vous y reprenne, monsieur Eustache. – Va, gros lion! »
I
Du danger de confier son secret à une chèvre
Plusieurs semaines s’étaient écoulées. On était aux premiers jours de mars.
Vis-à-vis la haute cathédrale rougie par le couchant, sur le balcon de pierre pratiqué au-dessus du porche d’une riche maison gothique qui faisait l’angle de la place et de la rue du Parvis, quelques belles jeunes filles riaient et devisaient avec toute sorte de grâce et de folie. C’était damoiselle Fleur-de-Lys de Gondelaurier et ses compagnes, Diane de Christeuil, Amelotte de Montmichel, Colombe de Gaillefontaine, et la petite de Champchevrier; toutes filles de bonne maison, réunies en ce moment chez la dame veuve de Gondelaurier, à cause de monseigneur de Beaujeu et de madame sa femme, qui devaient venir au mois d’avril à Paris, et y choisir des accompagneresses d’honneur pour madame la Dauphine Marguerite, lorsqu’on l’irait recevoir en Picardie des mains des flamands. Or, tous les hobereaux de trente lieues à la ronde briguaient cette faveur pour leurs filles, et bon nombre d’entre eux les avaient déjà amenées ou envoyées à Paris. Celles-ci avaient été confiées par leurs parents à la garde discrète et vénérable de madame Aloïse de Gondelaurier, veuve d’un ancien maître des arbalétriers du roi, retirée avec sa fille unique, en sa maison de la place du parvis Notre-Dame, à Paris.
Au fond, à côté d’une haute cheminée armoriée et blasonnée du haut en bas, était assise, dans un riche fauteuil de velours rouge, la dame de Gondelaurier, dont les cinquante-cinq ans n’étaient pas moins écrits sur son vêtement que sur son visage.
À côté d’elle se tenait debout un jeune homme d’assez fière mine, quoique un peu vaine et bravache, un de ces beaux garçons dont toutes les femmes tombent d’accord.
De temps en temps la vieille dame lui adressait la parole tout bas, et il lui répondait de son mieux avec une sorte de politesse gauche et contrainte. Aux sourires, aux petits signes d’intelligence de madame Aloïse, aux clins d’yeux qu’elle détachait vers sa fille Fleur-de-Lys, en parlant bas au capitaine, il était facile de voir qu’il s’agissait de quelque fiançaille consommée, de quelque mariage prochain sans doute entre le jeune homme et Fleur-de-Lys. Et à la froideur embarrassée de l’officier, il était facile de voir que, de son côté du moins, il ne s’agissait plus d’amour. Toute sa mine exprimait une pensée de gêne et d’ennui que nos sous-lieutenants de garnison traduiraient admirablement aujourd’hui par: Quelle chienne de corvée!
La bonne dame, fort entêtée de sa fille, comme une pauvre mère qu’elle était, ne s’apercevait pas du peu d’enthousiasme de l’officier, et s’évertuait à lui faire remarquer tout bas les perfections infinies avec lesquelles Fleur-de-Lys piquait son aiguille ou dévidait son écheveau.
– Mais parlez-lui donc, dit tout à coup madame Aloïse en le poussant par l’épaule. Dites-lui donc quelque chose. Vous êtes devenu bien timide. »
« Belle cousine, dit-il en s’approchant de Fleur-de-Lys, quel est le sujet de cet ouvrage de tapisserie que vous façonnez?
– Beau cousin, répondit Fleur-de-Lys avec un accent de dépit, je vous l’ai déjà dit trois fois. C’est la grotte de Neptunus. »
Il était évident que Fleur-de-Lys voyait beaucoup plus clair que sa mère aux manières froides et distraites du capitaine.
En ce moment, Bérangère de Champchevrier, svelte petite fille de sept ans, qui regardait dans la place par les trèfles du balcon, s’écria: « Oh! voyez, belle marraine Fleur-de-Lys, la jolie danseuse qui danse là sur le pavé, et qui tambourine au milieu des bourgeois manants! »
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