Жорж Санд - Consuelo

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compagnie, indignée et consternée de la manière dont la Corilla l'avait

comprise, et plongeant pour la première fois dans cet abîme de corruption

dont elle n'avait pas encore eu l'idée.

XCVII.

En achevant sa toilette à la hâte, dans la crainte d'une surprise, elle

entendit le dialogue suivant en italien:

«Que venez-vous faire ici? Je vous ai défendu d'entrer dans ma loge.

L'impératrice nous a interdit, sous les peines les plus sévères, d'y

recevoir d'autres hommes que nos camarades, et encore faut-il qu'il y

ait nécessité urgente pour les affaires du théâtre. Voyez à quoi vous

m'exposez! Je ne conçois pas qu'on fasse si mal la police des loges.

--Il n'y a pas de police pour les gens qui paient bien, ma toute belle.

Il n'y a que les pleutres qui rencontrent la résistance ou la délation sur

leur chemin. Allons, recevez-moi un peu mieux, ou, par le corps du diable,

je ne reviendrai plus.

--C'est le plus grand plaisir que vous puissiez me faire. Partez donc!

Eh bien, vous ne partez pas?

--Tu as l'air de le désirer de si bonne foi, que je reste pour te faire

enrager.

--Je vous avertis que je vais mander ici le régisseur, afin qu'il me

débarrasse de vous.

--Qu'il vienne s'il est las de vivre! j'y consens.

--Mais êtes-vous insensé? Je vous dis que vous me compromettez, que vous

me faites manquer au règlement récemment introduit par ordre de Sa Majesté,

que vous, m'exposez à une forte amende, à un renvoi peut-être.

--L'amende, je me charge de la payer à ton directeur en coups de canne.

Quant à ton renvoi, je ne demande pas mieux; je t'emmène dans mes terres,

où nous mènerons joyeuse vie.

--Moi, suivre un brutal tel que vous? jamais! Allons, sortons ensemble

d'ici, puisque vous vous obstinez à ne pas m'y laisser seule.

--Seule? seule, ma charmante? C'est ce dont je m'assurerai avant de vous

quitter. Voilà un paravent qui tient bien de la place dans cette petite

chambre. Il me semble que si je le repoussais contre la muraille d'un bon

coup de pied, je vous rendrais service.

--Arrêtez! Monsieur, arrêtez! c'est une dame qui s'habille là. Voulez-vous

tuer ou blesser une femme, brigand que vous êtes!

--Une femme! Ah! c'est bien différent; mais je veux voir si elle n'a pas

une épée au côté.»

Le paravent commença à s'agiter. Consuelo, qui était habillée entièrement,

jeta son manteau sur ses épaules, et tandis qu'on ouvrait la première

feuille du paravent, elle essaya de pousser la dernière, afin de

s'esquiver par la porte, qui n'en était qu'à deux pas. Mais la Corilla,

qui vit son mouvement, l'arrêta en lui disant:

«Reste là, Porporina; s'il ne t'y trouvait pas, il serait capable de croire

que c'est un homme qui s'enfuit, et il me tuerait.»

Consuelo, effrayée, prit le parti de se montrer; mais la Corilla qui

s'était cramponnée au paravent, entre elle et son amant, l'en empêcha

encore. Peut-être espérait-elle qu'en excitant sa jalousie, elle allumerait

en lui assez de passion pour qu'il ne prît pas garde à la grâce touchante

de sa rivale.

« Si c'est une dame qui est-là, dit-il en riant, qu'elle me réponde.

Madame, êtes-vous habillée? peut-on vous présenter ses hommages?

--Monsieur, répondit Consuelo sur un signe de la Corilla, veuillez garder

vos hommages pour une autre, et me dispenser de les recevoir. Je ne suis

pas visible.

--C'est-à-dire que c'est le bon moment pour vous regarder, dit l'amant de

Corilla en faisant mine de pousser le paravent.

--Prenez garde à ce que vous allez faire, dit Corilla avec un rire forcé;

si, au lieu d'une bergère en déshabillé, vous alliez trouver une duègne

respectable!

--Diable!... Mais non!, sa voix est trop fraîche pour n'être pas âgée de

vingt ans tout au plus; et si elle n'était pas jolie, tu me l'aurais déjà

montrée.»

Le paravent était très-élevé, et malgré sa grande taille, l'amant ne

pouvait regarder par-dessus, à moins de jeter à bas tous les chiffons de

Corilla qui encombraient les chaises; d'ailleurs depuis qu'il ne pensait

plus à s'alarmer de la présence d'un homme, le jeu l'amusait.

« Madame, cria-t-il, si vous êtes vieille et laide, ne dites rien, et je

respecte votre asile; mais parbleu, si vous êtes jeune et belle, ne vous

laissez pas calomnier par la Corilla, et dites un mot pour que je force

la consigne.»

Consuelo ne répondit rien...

«Ah! ma foi! s'écria le curieux après un moment d'attente, je n'en serai

pas dupe! Si vous étiez vieille ou mal faite, vous ne vous rendriez pas

justice si tranquillement; c'est parce que vous êtes un ange que vous vous

moquez de mes doutes. Il faut, dans tous les cas, que je vous voie; car,

ou vous êtes un prodige de beauté capable d'inspirer des craintes à la

belle Corilla elle-même, ou vous êtes une personne assez spirituelle pour

avouer votre laideur, et je serai bien aise de voir, pour la première fois

de ma vie, une laide femme sans prétentions.»

Il prit le bras de Corilla avec deux doigts seulement, et le fit plier

comme un brin de paille. Elle jeta un grand cri, prétendit qu'il l'avait

meurtrie, blessée; il n'en tint compte, et, ouvrant la feuille du paravent,

il montra aux regards de Consuelo l'horrible figure du baron François

de Trenck. Un habit de ville des plus riches et des plus galants avait

remplacé son sauvage costume de guerre; mais à sa taille gigantesque

et aux larges taches d'un noir rougeâtre qui sillonnaient son visage

basané, il était difficile de méconnaître un seul instant l'intrépide et

impitoyable chef des pandoures.

Consuelo ne put retenir un cri d'effroi, et retomba sur sa chaise en

pâlissant.

« N'ayez pas peur de moi, Madame, dit le baron en mettant un genou en

terre, et pardonnez-moi une témérité dont il m'est impossible, en vous

regardant, de me repentir comme je le devrais. Mais laissez-moi croire que

c'était par pitié pour moi (sachant bien que je ne pourrais vous voir sans

vous adorer) que vous refusiez de vous montrer. Ne me donnez pas ce chagrin

de penser que je vous fais peur; je suis assez laid, j'en conviens. Mais si

la guerre a fait d'un assez joli garçon une espèce de monstre, soyez sûre

qu'elle ne m'a pas rendu plus méchant pour cela.

--Plus méchant? cela était sans doute impossible! répondit Consuelo en lui

tournant le dos.

--Oui-da, répondit le baron, vous êtes une enfant bien sauvage, et votre

nourrice vous aura fait des contes de vampire sur moi, comme les vieilles

femmes de ce pays-ci n'y manquent point. Mais les jeunes me rendent plus de

justice; elles savent que si je suis un peu rude dans mes façons avec les

ennemis de la patrie, je suis très-facile à apprivoiser quand elles veulent

s'en donner la peine.»

Et, se penchant vers le miroir où Consuelo feignait de se regarder, il

attacha sur elle ce regard à la fois voluptueux et féroce dont la Corilla

avait subi la brutale fascination. Consuelo vit qu'elle ne pouvait se

débarrasser de lui qu'en l'irritant.

« Monsieur le baron, lui dit-elle, ce n'est pas de la peur que vous

m'inspirez, c'est du dégoût et de l'aversion. Vous aimez à tuer, et moi je

ne crains pas la mort; mais je hais les âmes sanguinaires, et je connais

la vôtre. J'arrive de Bohême, et j'y ai trouvé la trace de vos pas.»

Le baron changea de visage, et dit en haussant les épaules et en se

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