Type éternel et insipide du Beau, parfaite Vénus, dite de Milo, quel audacieux brisera tes reins célèbres qui inspirent depuis si longtemps tous les gratteurs de marbre pâle, comme si l’Art ne devait pas se renouveler sans cesse, se transformer, mourir à chaque âge et renaître différent, changer toujours ses formes et ses moyens ? Ta sereine et plastique beauté m’écœure, immuable et froide inspiratrice de la pierre. C’est quelque révolté, sans doute, qui t’a cassé les bras, quelque révolté, las comme moi de ton geste gracieux et froid toujours copié par les artistes, toujours admiré, toujours le même.
Tu fus sublime, sans doute, mais tu n’es plus la femme d’aujourd’hui, comme le marbre rigide n’est plus la matière que veulent nos yeux avides de couleur, de mouvement et de vie.
Brisons les marbres, les moules et les admirations antiques. Cherchez, imaginez, trouvez. Fouillez le bois, pétrissez la terre, modelez la cire !
Qui sait, un musée nouveau ouvrira peut-être la route, révélera des procédés inconnus, lancera sur des traces nouvelles.
Et la couleur s’alliant à la forme, nous verrons peut-être bientôt des statues peintes. Ne serait-il pas naturel en effet de donner la vie factice des nuances aux êtres vraiment modelés comme des hommes ?
Et si je puis faire encore un vœu, c’est de n’avoir plus à lire chaque matin le chapelet des articles attardés que les Salonniers ruminants vont délayer obstinément, avec une compétence ennuyeuse, jusqu’en janvier de l’année prochaine.
Et vous, Jean Richepin, mon brave et cher confrère, cessez de regretter qu’on décore si peu d’hommes de lettres et tant de peintres. C’est tant mieux pour les uns et tant pis pour les autres.
Que se passe-t-il ? Un monsieur quelconque, avocat le plus souvent, est nommé soudain ministre des arts. Qu’a-t-il lu ? Cicéron au collège, et, depuis, les feuilles de son opinion. Il ne sait rien, et s’en moque d’ailleurs. Or c’est long, de lire ; et pour se donner une teinture de ces arts dont il est ministre, il s’en va contempler des tableaux. Il tombe naturellement en arrêt devant la peinture de M. Vibert qu’il juge le maître des maîtres ; et comme il a dans sa poche un tas de petits rubans rouges, il en donne un, celui d’officier, à ce peintre que tous les jeunes alors vont s’empresser d’imiter.
Quant à M. Zola, qu’il ne connaît point, on lui a dit que c’était un pornographe. Peut-il, en vérité, décorer un pornographe ?
Quant à M. Barbey d’Aurevilly, qu’il ne connaît pas davantage, on lui a dit que c’était un réactionnaire. Peut-il décorer un réactionnaire ? Non certes ; on l’interpellerait.
Mais, direz-vous, s’il n’y connaît rien, aux arts, ce ministre des arts, que ne demande-t-il des conseils ? — A qui ?… — A ses chefs de bureau. — C’est ce qu’il fait. Mais croyez-vous qu’ils s’en soucient bien, des arts, et qu’ils les possèdent à fond, les arts, ces chefs de bureau des beaux-arts ?
Leur avancement les inquiète d’une bien autre façon. Ils désignent M. Manuel comme poète, et M. Cherbuliez comme romancier.
Et ils ne s’en portent pas mieux, les arts, ni plus mal non plus d’ailleurs.
Car nous savons, nous (si nos ministres l’ignorent), quel maître poète est Théodore de Banville, quel puissant créateur est Zola, quel artiste est Barbey d’Aurevilly, le plus méconnu des écrivains.
Nous savons (ce dont ils ne se doutent point, ces hommes), quelles merveilles enferment Le Chevalier Des Touches, Une Vieille Maîtresse, L’Ensorcelée, et ce que vaut ce livre étrange, superbe et poursuivi : Les Diaboliques, où l’on trouve ce chef-d’œuvre, Le Rideau cramoisi.
Et cela vaut mieux ainsi, confrère. Nous avons le droit de rire en voyant passer ces ministres !
M. Wolff disait dernièrement, à propos d’un chapitre de Pot-Bouille : « Une mère. Ce n’est point une vache qui met bas son veau, quoi que M. Zola en pense, c’est une créature pleine de tendresse pour l’enfant qui lui cause de si cruelles souffrances et qui, à l’heure décisive, s’il fallait absolument choisir, demanderait qu’on lui prenne la vie pour sauvegarder celle de son fils. Jamais on ne verrait cela chez une simple vache. Elle met quelque chose de vivant au monde que le boucher lui enlève au bout de huit jours, après quoi la bête continue à brouter l’herbe des prairies. Pour la bête tout est fini quand elle a accompli l’acte… », etc.
Les bêtes ainsi calomniées ont besoin d’un défenseur. Je serai leur avocat.
Ouvrons donc la collection de la Maison rustique, l’ouvrage le plus compétent en ces matières et auquel ont collaboré d’illustres savants.
Il y est expressément recommandé aux cultivateurs de bien veiller à ce que la vache ne voie jamais le boucher enlever son veau, car l’instinct maternel est si développé chez elle, qu’elle devine ce qu’on veut en faire, et, très souvent, se laisse mourir de chagrin.
Passons aux autres bêtes.
Les chiennes et les chattes aiment si violemment leurs rejetons que si on détruit les portées entières, elles refusent la plupart du temps de manger et meurent de désespoir.
J’ai vu, moi, les deux faits suivants :
Une chienne qui avait mis bas dans une partie de chasse à six lieues de sa maison, a été laissée par son maître chez le garde, avec deux petits, pour ne la point fatiguer par cette longue route.
Le lendemain on la trouva dans sa niche avec ses deux chiens. Elle avait donc fait deux voyages, aller et retour, pour les apporter chez elle, l’un après l’autre : soit vingt-quatre lieues dans la nuit.
Une autre, dont on avait enterré tous les descendants, loin du logis, dans un bois, a disparu soudain. Trois jours après, on la retrouva morte auprès de ses petits qu’elle avait déterrés.
La plupart des oiseaux se laissent tuer plutôt que de quitter leur nid.
On prétend que les lapines mangent leurs petits. Rouvrons la Maison rustique, et nous apprendrons que la lapine ne détruit jamais sa portée quand on lui laisse un coin pour la cacher. Un trou, une simple planche, suffisent. C’est donc l’excès d’amour maternel qui les porte à ce crime. Pareilles aux antiques Romaines, elles aiment mieux voir leurs enfants morts qu’esclaves. Elles ne cherchent qu’à les soustraire aux regards de l’homme.
Revenons à l’humanité.
Ouvrons les journaux.
Tous les jours des infanticides, tous les jours des petits êtres trouvés au coin des bornes, au fond des fleuves, le long des fossés, dans les égouts et dans ces réservoirs souterrains que dessèchent ces pompiers de la nuit que je n’ose pas nommer par peur d’être traité de naturaliste. Et les magistrats affirment avec raison qu’on ne découvre pas deux de ces crimes sur dix commis. Or, une loi terrible les punit. Supprimez cette loi et laissez la femme livrée au seul amour maternel et vous aurez bientôt un tel massacre de nouveau-nés que l’humanité disparaîtra.
D’ailleurs, la nécessité d’une législation aussi rigoureuse prouve surabondamment la fréquence du forfait.
En vérité, je crois qu’il est inutile d’insister pour prouver que l’instinct maternel est sensiblement plus vif chez la bête que chez la femme, et que l’infanticide apparaît infiniment plus fréquent chez celle-ci que chez celle-là.
Voici ce que je viens de lire en des mémoires qui datent de la fin du siècle dernier.
« Se peut-il que tant de sages, de savants, de penseurs, de philosophes aient en vain vécu, médité, prouvé de grandes vérités ?
« L’homme aveugle ne voit pas, n’écoute pas, ne comprend pas. Aujourd’hui que la raison nous éclaire, on voit encore des sauvages assez ignorants des lois de la philosophie pour dénouer leurs querelles dans le sang.
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