Je t’aimerai, même si l’inconstance
Te rend parjure, ingrate, à nos amours ;
Malgré l’oubli, mon cœur, sans espérance
Dans sa douleur, pour toi battra toujours.
On peut être un fort galant homme et un fort mauvais poète ; mais alors pourquoi montrer plus de prétentions que M. Jourdain ?
« Belle duchesse, vos beaux yeux me font mourir d’amour », aurait écrit simplement le bourgeois gentilhomme ; c’est de la prose, cela ; mais
Je t’aimerai tant que la fleur bénie
« S’épanouira » pour orner ton séjour…
m’aurait enlevé, je l’avoue, toute velléité de faiblesse pour un amoureux aussi privé de qualités poétiques.
Oui, cette absence de littérature m’aurait gâté les sentiments les plus exaltés ; l’envoi de ce morceau rappelle trop vivement les déclarations de pompier à cuisinière : « Ma bele pouxpoule, je taicri pourre te dir que je viendré mangé un boutlion de mains çoir… »
Comment nous attendrir maintenant ? La duchesse est exquise, dit-on — oui ; mais songer que son corsage est un séjour orné de pareils vers de mirliton !
Elle a des yeux d’ange — c’est possible ; — mais quand on pense que ces yeux-là ont dû pleurer sur la fleur bénie (pourquoi bénie ?)
Et puis, pour peu qu’on soit poète soi-même, quand on rêve en quel endroit délicieux ces vers, dignes de Bossuet, s’étaient blottis, quand on se dit qu’ils y ont été. ; trouvés, et qu’il y en a peut-être encore de semblables, en ce lieu !.. Oh ! Seigneur, faites que je ne trouve jamais une déclaration rimée ainsi dans la poitrine de ma bien-aimée ! Elle me deviendrait odieuse à jamais — ces simples mots : bénie — séjour — rajeunie — amour — étoile — sommeil — voile — réveil — inconstance — amours — espérance — toujours — suffiraient à déparfumer pour moi éternellement ces deux fleurs, bénies ou non.
Quand on est beau garçon, séduisant, galant homme, large d’épaules et orné d’une fine moustache (la moustache est indispensable pour être follement aimé) ; quand on a enfin tous les dehors qu’il faut pour plaire ; quelle folie de montrer ses dedans !
Ô séducteurs, séducteurs coquets : Acta, non verba , croyez-moi !
George Sand d’après ses lettres
( Le Gaulois , 13 mai 1882)
George Sand a eu, toute sa vie, à combattre le préjugé ; et il est curieux de suivre dans ses lettres ses luttes continuelles contre ses plus fidèles amis, qui ne pouvaient s’accoutumer aux allures libres, à la large indépendance d’esprit et de mœurs, de cette femme en qui la nature s’était trompée.
Que la société, cette portière à cancans, que les gens du monde, ces « sépulcres blanchis », aient fait un crime à cette révoltée de ses allures cavalières et de son profond mépris de l’opinion, on le comprend ; mais il est curieux que les hommes d’esprit eux-mêmes aient presque tous montré cette étroitesse, ces crises de sainte prud’homie.
L’homme, en jugeant la femme, n’est jamais juste ; il la considère toujours comme une sorte de propriété réservée au mâle, qui conserve le droit absolu de la gouverner, moraliser, séquestrer à sa guise ; et une femme indépendante l’exaspère comme un socialiste peut exaspérer un roi.
« L’opinion, dit George Sand, c’est, d’un côté, l’intolérance des femmes laides, froides ou lâches ; de l’autre, c’est la censure railleuse ou insultante des hommes qui ne veulent plus de femmes dévotes, qui ne veulent pas encore de femmes éclairées, et qui veulent toujours des femmes fidèles. Or, il n’est pas facile que la femme soit philosophe et chaste à la fois…
« L’opinion, c’est la règle des gens sans âme et sans vertu… L’opinion que je respecte, c’est celle de mes amis. »
Dans une fort belle lettre à sa mère, elle dit : " Vous, ma chère maman, vous avez souffert de l’intolérant des fausses vertus des gens à grands principes… »
Et d’autre part : « Mon esprit antisocial et ma mépris pour tout ce que la plupart des homme respectent. »
Et on trouve, en effet, dans toute la correspondant de cette femme une série d’axiomes philosophiques d’une surprenante largeur, d’une vérité inflexible et d’une tranquille sérénité dont on pourrait faire un Manuel des rapports sociaux.
Peu d’êtres assurément ont eu un plus vif sentiment de la liberté, un plus profond respect de la nature des autres et une plus complète tolérance pour les défauts ou plutôt pour les divergences de tempérament de ses amis. Elle établit des principes d’amitié et de camaraderie avec une sagesse rare et souriante. Elle dit :
« J’accepte tous les caractères, tels qu’ils sont, parce que je ne crois guère qu’il soit au pouvoir de l’homme de refaire son tempérament, de faire dominer le système nerveux sur le sanguin ou le bilieux sur le lymphatique. Je crois que notre manière d’être dans l’habitude de la vie tient essentiellement à notre organisation physique, et je ne ferai un crime à personne d’être semblable à moi ou différent de moi. Ce dont je m’occupe, c’est du fond des pensées et des sentiments sérieux…
« Mon Dieu ! Quelle rage avons-nous donc ici-bas nous tourmenter mutuellement, de nous reprocher aigrement nos défauts, de condamner sans pitié tout qui n’est pas taillé sur notre patron ?… »
Et toujours reparaît son invincible besoin d’indépendance. « Être toute seule dans la rue et me dire à moi-même : Je dînerai à quatre heures ou à sept heures, suivant mon bon plaisir. Je passerai par le Luxembourg pour aller aux Tuileries, au lieu de passer par les Champs-Élysées, si tel est mon caprice… »
Or, l’innombrable armée des Prudhommes moralisants pardonne volontiers les fautes couvertes, les péchés que lave l’eau bénite ; mais qu’une femme, une simple femme, leur ose dire : « Je dînerai à quatre heures ou à sept heures suivant mon bon plaisir… » ils s’écrieront : « Miséricorde ! Quelle déréglée ! »
Avec cette nature, il n’est pas étonnant que la vie conjugale lui ait été bientôt insupportable. Son mari avait, sans doute, l’instinct dominateur de tous les hommes ; elle avait, de son côté, l’instinct de révolte de tous les forts, et l’existence commune leur devint impossible. Un peu nonchalante jusque-là, elle ne semble pas avoir songé à quitter le baron Dudevant, jusqu’au jour où elle découvrit dans un tiroir un testament de lui, destiné à n’être ouvert qu’après sa mort. Comme elle était femme, elle l’ouvrit tout de suite, et y trouva un vrai réquisitoire à son endroit. Sa résolution fut prise en un instant. Ils se séparèrent à l’amiable, et elle vint à Paris avec une rente de trois mille francs.
Trois mille francs, c’était bien peu. Elle songea aux moyens d’augmenter ses revenus, et c’est alors que la pensée d’écrire la saisit. « Je m’embarque, dit-elle, sur la mer orageuse de la littérature. Il faut vivre. »
Voici une des plus curieuses observations à faire sur ce remarquable écrivain, c’est qu’il ne fut pas travaillé dès l’enfance, comme tous les grands artistes, par l’impérieux besoin de traduire ses pensées, ses visions, ses sensations, ses rêves. Jamais elle n’a ce frisson d’art : l’émotion du sujet trouvé, de la scène qui se dessine, d’ivresse de la création, le bonheur de l’enfantement. La joie profonde de la page écrite, et qu’on croit toujours parfaite, dans cette griserie du travail, ne met jamais du feu dans ses veines et un peu de folie dans sa tête. Elle ne pense toujours qu’à l’argent dont elle a besoin, et ne.désire pas même de gros bénéfices, un modeste salaire lui suffit — de quoi vivre aisément. Elle accomplit ce métier superbe de pondeur d’idées, comme un menuisier fait des tables, avec la pensée constante de l’argent gagné. Et nous trouvons là, en face de son large besoin d’indépendance, un vif instinct de ménagère, un côté pot-au-feu très marqué.
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