LE COMTE
Il faut vous obéir, puisque vous le voulez.
Ah ! certes, le proverbe est bien vrai, sur mon âme,
Qui prétend que Dieu veut ce que veut une femme.
Quand je vins â la Cour j'étais sentimental ;
J'ouvris bientôt les yeux ; le réveil fut brutal
Par exemple. J'aimai, j'aimai la toute belle
Comtesse de Paulé. Je la croyais fidèle.
Je la surpris, un soir, aux bras d'un autre amant ;
J'en eus le cœur brisé, marquise, et sottement
Je la pleurai deux mois ! Mais la Cour et la Ville
Ont bien ri. Cette engeance est envieuse et vile,
Siffle les malheureux, applaudit au succès ;
J'étais trompé, j'avais donc perdu mon procès.
Pourtant, bientôt après, j'eus une autre maîtresse ;
Mais nous logions encore â deux dans sa tendresse.
L'autre était un poète. Il lui tournait des vers,
L'appelait fleur, étoile, astre de l'univers,
Et je ne sais quels noms. Je provoquai le drôle ;
C'était un bel esprit, il resta dans son rôle ;
Trop lâche pour se battre, il fit un plat sonnet…
Et l'on en rit encor, me traitant de benêt.
La leçon, cette fois, mit un terme à mes doutes,
Je cessai d'en voir une, et je les aimai toutes.
Or je pris pour devise un dicton très ancien :
« Bien fol est qui s'y fie » et je m'en trouvai bien.
LA MARQUISE
Mais, autrefois, quand vous déclariez votre flamme,
Et soupiriez aux pieds de quelque belle dame,
L'enveloppant d'amour, de respects et de soins,
Parliez-vous ainsi ?
LE COMTE
Non ; mais avouez du moins,
Entre nous, que la femme est une enfant gâtée.
On l'a trop adulée, et surtout trop chantée.
Ses flatteurs attitrés, les faiseurs de sonnets,
Lui versant tout le jour, comme des robinets,
Compliments distillés au suc de poésie,
En ont fait un enfant gonflé de fantaisie.
Aime-t-elle du moins ? Point du tout ; il lui faut,
Non l'amour de vingt ans, et dont le seul défaut
Est d'aimer saintement, comme on aime à cet âge,
Mais un roué ; celui qu'on regarde au passage
Avec étonnement et presque avec respect,
Toute femme s'émeut et tremble â son aspect,
Parce qu'il est, mérite assurément fort rare,
Le premier séducteur de France et de Navarre !
Non qu'il soit jeune, non qu'il soit beau, non qu'il ait
De grandes qualités… rien ; mais cet homme plait
Parce qu'il a vécu. Voilà la chose étrange ;
Et c'est ainsi pourtant que l'on séduit cet ange !
Mais quand un autre vient demander, par hasard,
De quel tribut payer l'aumône d'un regard,
Elle lui rit au nez et demande la lune !
Et, vous le savez bien, je ne parle pas d'une,
Mais de beaucoup.
LA MARQUISE
C'est très galant ; encor merci !
A mon tour, à présent, écoutez bien ceci :
Un vieux renard perclus, mais de chair fraîche avide,
Rôdait, certaine nuit, triste et le ventre vide ;
Il allait, ruminant ses festins d'autrefois,
La poulette surprise un soir au coin d'un bois,
Et le souple lapin qu'on prenait à la course.
L'âge, de ces douceurs, avait tari la source ;
On était moins ingambe et l'on jeûnait souvent.
Quand un parfum de chassé apporté par le vent
Le frappe, un éclair brille en sa vieille prunelle.
Il aperçoit, dormant et la tête sous l'aile,
Quelques jeunes poulets perchés sur un vieux mur.
Mais renard est bien lourd et le chemin peu sûr,
Et malgré son envie, et sa faim, et son jeûne :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons… pour un plus jeune. »
LE COMTE
Marquise, c'est méchant, ce que vous dites là ;
Mais je vous répondrai : Samson et Dalila,
Antoine et Cléopâtre, Hercule aux pieds d'Omphale.
LA MARQUISE
Vous avez en amour une triste morale !
LE COMTE
Non ; l'homme est comme un fruit que Dieu sépare en deux.
Il marche par le monde ; et, pour qu'il soit heureux,
Il faut qu'il ait trouvé, dans sa course incertaine,
L'autre moitié de lui ; mais le hasard le mène ;
Le hasard est aveugle et seul conduit ses pas ;
Aussi presque toujours, il ne la trouve pas.
Pourtant, quand d'aventure il la rencontre…, il aime ;
Et vous étiez, je crois, la moitié de moi-même
Que Dieu me destinait et que je cherchais, mais
Je ne vous trouvai pas, et je n'aimai jamais.
Puis voilé qu'aujourd'hui, nos routes terminées,
Le sort unit, trop tard, nos vieilles destinées.
LA MARQUISE
Enfin, cela vaut mieux, mais vous avez péché,
Et je ne vous tiens pas quitte à si bon marché.
Savez-vous, mon cher comte, à quoi je vous compare ?
Votre cœur est fermé comme un logis d'avare :
Vous êtes l'hôte ; quand on vient pour visiter
Vous vous imaginez qu'on va tout emporter,
Et ne montrez aux gens qu'un tas de vieilleries.
Voyons, plus de détours et trêve aux railleries !
Tout avare, en un coin, cache un coffret plein d'or,
Et le cœur le plus pauvre a son petit trésor.
Qu'avez-vous tort au fond ? Portrait de jeune fille
De seize ans, qu'on aima jadis ; légère idylle
Dont on rougit peut-être et qu'on cache avec soin,
N'est-ce pas ? Mais, parfois, plus tard, on a besoin
De venir contempler ces images, laissées
Là-bas, derrière soi ; ces histoires passées
Dont on souffre et pourtant dont on aime souffrir.
On s'enferme tout seul, une nuit, pour ouvrir
Certain vieux livre et son vieux cœur ; comme on regarde
La pauvre fleur donnée un beau soir, et qui garde
La lointaine senteur des printemps d'autrefois !
On écoute, on écoute, et l'on entend sa voix
Par les vieux souvenirs faiblement apportée.
Et l'on baise la fleur, dont l'empreinte est restée
Comme au feuillet du livre à la page du cœur.
Hélas ! Quand la vieillesse apporte la douleur,
Vous embaumez encor nos dernières journées,
Parfums des vieilles fleurs et des jeunes années !
LE COMTE
C'est vrai ! Même à l'instant j'ai senti revenir,
Tout au fond de mon cœur, un très vieux souvenir ;
Et je suis prêt à vous le raconter, marquise.
Mais j'exige de vous une égale franchise,
Caprice pour caprice, et récit pour récit ;
Et vous commencerez.
LA MARQUISE
Je le veux bien ainsi.
Pourtant mon histoire est un simple enfantillage.
Mais, je ne sais pourquoi, les choses du jeune âge
Prennent, comme le vin, leur force en vieillissant,
Et d'année en année elles vont grandissant.
Vous connaissez beaucoup de ces historiettes :
C'est le premier roman de mutes les fillettes,
Et chaque femme, au moins, en compte deux ou trois ;
Je n'en eus qu'une seule ; et c'est pourquoi, je crois,
Je l'ai gardée au cœur plus vive et plus tenace ;
Et dans ma vie elle a rempli beaucoup de place.
J'étais bien jeune alors, car j'avais dix-huit ans ;
J'avais appris â lire avec les vieux romans ;
J'avais souvent rêvé dans les vieilles allées
Du vieux parc, regardant, le soir, sous les sautées,
Les reflets de la lune, écoutant si le vent
Ne parlait pas d'amour à la branche, et rêvant
A celui que tout bas la jeune fille appelle,
Qu'elle attend, qu'elle croit que Dieu créa pour elle !
Puis voilé que celui que j'avais tant rêvé,
Jeune, fier et charmant, un jour, est arrivé ;
Et je sentis bondir mon cœur de jeune fille.
Je me pris à l'aimer ; il me trouva gentille…
Mon beau jeune homme, hélas ! partit le lendemain ;
Rien de plus : un baiser, un serrement de main,
Un regard échangé qu'il oublia bien vite.
Il s'était dit : « Elle est mignonne, la petite. »
Et cela lui sortit du cœur ; mais Dieu défend
De se jouer ainsi de l'amour d'une enfant !
Ah ! vous trouvez la femme insensible ; elle saute
De caprice en caprice ; allez, c'est votre faute.
Elle pourrait aimer, mais vous l'en empêchez ;
Le premier amour qui lui vient, vous l'arrachez !
Pauvre fille ! j'étais bien folle et bien crédule ;
Mais vous allez trouver cela fort ridicule,
Vous qui raillez l'amour… Longtemps je l'attendis !..
Comme il ne revint pas, j'épousai le marquis.
Mais je confesse que j'aurais préféré l'autre !
J'ai mis mon cœur à nu, découvrez-moi le vôtre
Maintenant.
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