– Comment cela?
– En la refermant.
– Même si cette blessure tranche une artère?
– Sans doute.
– Ah! je voudrais voir cela.
– Eh bien, regarde, dit le vieillard.
Et, avant que Balsamo eût pu l’arrêter, il se piqua la veine du bras gauche avec une lancette.
Il restait si peu de sang dans le corps du vieillard, et ce sang roulait si lentement, qu’il fut quelque temps à venir aux lèvres de la plaie; mais enfin il y vint, et, ce passage ouvert, il sortit bientôt abondamment.
– Grand Dieu! s’écria Balsamo.
– Eh bien, quoi? dit Althotas.
– Vous êtes blessé, et grièvement.
– Puisque tu es comme saint Thomas, et que tu ne crois qu’en voyant et qu’en touchant, il faut bien te faire voir, il faut bien te faire toucher.
Il prit alors une petite fiole qu’il avait placée à la portée de sa main, et, en versant quelques gouttes sur la plaie:
– Regarde! dit-il.
Alors, devant cette eau presque magique, le sang s’écarta, la chair se resserra, fermant la veine, et la blessure devint une piqûre trop étroite pour que cette chair coulante qu’on appelle le sang pût s’en échapper.
Cette fois, Balsamo regardait le vieillard avec stupéfaction.
– Voilà encore ce que j’ai trouvé; qu’en dis-tu, Acharat?
– Oh! je dis, maître, que vous êtes le plus savant des hommes.
– Et que, si je n’ai pas vaincu tout à fait la mort, n’est-ce pas? je lui ai du moins porté un coup dont il lui sera difficile de se relever. Vois-tu, mon fils, le corps humain a des os fragiles et qui peuvent se briser: je rendrai ces os aussi durs que l’acier. Le corps humain a du sang qui, lorsqu’il s’échappe, emmène avec lui la vie: j’empêcherai que le sang ne sorte du corps. La chair est molle et facile à entamer, je la rendrai invulnérable comme celle des paladins du Moyen Âge, sur laquelle s’émoussait le fil des épées et le tranchant des haches. Il ne faut pour cela qu’un Althotas qui vive trois cents ans. Eh bien, donne-moi ce que je te demande, et j’en vivrai mille. Oh! mon cher Acharat, cela dépend de toi. Rends-moi ma jeunesse, rends-moi la vigueur de mon corps, rends-moi la fraîcheur de mes idées, et tu verras si je crains l’épée, la balle, le mur qui croule, ou la bête brute qui mord ou qui rue. À ma quatrième jeunesse, Acharat, c’est-à-dire avant que j’aie vécu l’âge de quatre hommes, j’aurai renouvelé la face de la terre, et, je te le dis, j’aurai fait pour moi et pour l’humanité régénérée un monde à mon usage, un monde sans cheminées, sans épées, sans balles de mousquet, sans chevaux qui ruent; car alors, les hommes comprendront qu’il vaut mieux vivre, s’entraider, s’aimer, que de se déchirer et de se détruire.
– C’est vrai, ou du moins, c’est possible, maître.
– Eh bien! apporte-moi l’enfant, alors.
– Laissez-moi réfléchir encore, et réfléchissez vous-même.
Althotas lança à son adepte un regard de souverain mépris.
– Va! dit-il, va, je te convaincrai plus tard, et d’ailleurs, le sang de l’homme n’est pas un ingrédient si précieux qu’il ne puisse se remplacer peut-être par une autre matière. Va! je chercherai, je trouverai. Je n’ai pas besoin de toi. Va!
Balsamo frappa du pied la trappe, et descendit dans l’appartement inférieur, muet, immobile, et tout courbé sous le génie de cet homme, qui forçait de croire aux choses impossibles, en faisant lui-même des choses impossibles.
Chapitre LXI Les renseignements
Cette nuit si longue, si fertile en événements et que nous avons promenée, comme le nuage des dieux mythologiques, de Saint-Denis à la Muette, de la Muette à la rue Coq-Héron, de la rue Coq-Héron à la rue Plâtrière, et de la rue Plâtrière à la rue Saint-Claude, cette nuit, madame du Barry l’avait employée à essayer de pétrir l’esprit du roi, selon ses vues, d’une politique nouvelle.
Elle avait surtout beaucoup insisté sur le danger qu’il y aurait à laisser les Choiseul gagner du terrain auprès de la dauphine.
Le roi avait répondu, en haussant les épaules, que madame la dauphine était une enfant et M. de Choiseul un vieux ministre; qu’en conséquence il n’y avait pas de danger, attendu que l’une ne saurait pas travailler et que l’autre ne saurait pas amuser.
Puis, enchanté de ce bon mot, le roi avait coupé court aux explications.
Il n’en avait pas été de même de madame du Barry, qui avait cru remarquer des distractions chez le roi.
Louis XV était coquet. Son grand bonheur consistait à donner de la jalousie à ses maîtresses, pourvu cependant que cette jalousie ne se traduisît point par des querelles et des bouderies trop prolongées.
Madame du Barry était jalouse, d’abord par amour-propre, ensuite par crainte. Sa position lui avait donné trop de peine à conquérir, et la position élevée où elle se trouvait était trop éloignée de son point de départ pour qu’elle osât, comme madame de Pompadour, tolérer d’autres maîtresses au roi, et lui en chercher même quand Sa Majesté paraissait s’ennuyer, ce qui, on le sait, lui arrivait souvent.
Donc, madame du Barry étant jalouse, comme nous l’avons dit, elle voulut connaître à fond les causes de la distraction du roi.
Le roi répondit ces paroles mémorables, dont il ne pensait pas un seul mot:
– Je m’occupe beaucoup du bonheur de ma bru, et je ne sais vraiment si M. le dauphin lui donnera tout le bonheur.
– Et pourquoi pas, sire?
– Parce que M. Louis, à Compiègne, à Saint-Denis et à la Muette, m’a paru regarder beaucoup les autres femmes et très peu la sienne.
– En vérité, sire, si Votre Majesté elle-même ne me disait une pareille chose, je ne le croirais pas: madame la dauphine est jolie, cependant.
– Elle est un peu maigre.
– Elle est si jeune!
– Bon! voyez mademoiselle de Taverney, elle a l’âge de l’archiduchesse.
– Eh bien?
– Eh bien, elle est parfaitement belle.
Un éclair brilla dans les yeux de la comtesse et avertit le roi de son étourderie.
– Mais vous-même, chère comtesse, reprit vivement le roi, vous qui parlez, à seize ans vous étiez ronde, j’en suis sûr, comme les bergères de notre ami Boucher.
Cette petite adulation raccommoda un peu les choses; cependant, le coup avait porté.
Aussi madame du Barry prit-elle l’offensive en minaudant.
– Ah çà! dit-elle, elle est donc bien belle, cette demoiselle de Taverney?
– Eh! le sais-je? dit Louis XV.
– Comment! vous la vantez et vous ne savez pas, dites-vous, si elle est belle?
– Je sais qu’elle n’est pas maigre, voilà tout.
– Donc, vous l’avez vue et examinée.
– Ah! chère comtesse, vous me poussez dans des traquenards. Vous savez que j’ai la vue basse. Une masse me frappe, au diable les détails. Chez madame la dauphine, j’ai vu des os, voilà tout.
– Et, chez mademoiselle de Taverney, vous avez vu des masses, comme vous dites; car madame la dauphine est une beauté distinguée, et mademoiselle de Taverney est une beauté vulgaire.
– Allons donc! dit le roi; à ce compte, Jeanne, vous ne seriez donc pas une beauté distinguée? Vous vous moquez, je crois.
– Bon! un compliment, dit tout bas la comtesse; malheureusement, ce compliment sert d’enveloppe à un autre compliment qui n’est point pour moi.
Puis, tout haut:
– Ma foi, dit-elle, je serais bien contente que madame la dauphine se choisît des dames d’honneur un peu ragoûtantes; c’est affreux, une cour de vieilles femmes.
– À qui le dites-vous, chère amie? Je le répétais encore hier au dauphin; mais la chose lui est indifférente, à ce mari-là.
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