– Prenez garde, au contraire, comtesse, dit d’Aiguillon; si mon oncle vous parle encore une fois de sa faiblesse, nous sommes perdus. Non, monsieur le duc, nous ne vous battrons pas, car, tout faible que vous êtes ou que vous prétendez être, vous nous rendriez les coups avec usure; non, voici toute la vérité, on vous voit revenir avec joie.
– Oui, dit la folle comtesse, et, en honneur de ce retour, on tire les boîtes, les fusées; et vous le savez, duc…
– Je ne sais rien, madame, dit le maréchal avec une naïveté d’enfant.
– Eh bien, dans les feux d’artifice, il y a toujours quelque perruque roussie par les étincelles, quelque chapeau crevé par les baguettes.
Le duc porta la main à sa perruque et regarda son chapeau.
– C’est cela, c’est cela, dit la comtesse; mais vous nous revenez, c’est au mieux; quant à moi, je suis, comme vous le disait M. d’Aiguillon, d’une gaieté folle; savez-vous pourquoi?
– Comtesse, comtesse, vous allez encore me dire quelque méchanceté.
– Oui; mais ce sera la dernière.
– Eh bien, dites.
– Je suis gaie, maréchal, parce que votre retour m’annonce le beau temps.
Richelieu s’inclina.
– Oui, continua la comtesse, vous êtes comme les oiseaux poétiques qui prédisent le calme; comment appelle-t-on ces oiseaux-là, monsieur d’Aiguillon, vous qui faites des vers?
– Des alcyons, madame.
– Justement! Ah! maréchal, vous ne vous fâcherez pas, j’espère; je vous compare à un oiseau qui a un bien joli nom.
– Je me fâcherai d’autant moins, madame, fit Richelieu avec sa petite grimace qui annonçait la satisfaction, et la satisfaction de Richelieu présageait toujours quelque bonne noirceur, je me fâcherai d’autant moins que la comparaison est exacte.
– Voyez-vous!
– Oui, j’apporte de bonnes, d’excellentes nouvelles.
– Ah! fit la comtesse.
– Lesquelles? demanda d’Aiguillon.
– Que diable! mon cher duc, vous êtes bien pressé, dit la comtesse; laissez donc le temps au maréchal de les faire.
– Non, le diable m’emporte; je puis vous les dire tout de suite; elles sont toutes faites, et même elles sont déjà d’ancienne date.
– Maréchal, si vous nous apportez des vieilleries…
– Dame! fit le maréchal, c’est à prendre ou à laisser, comtesse.
– Eh bien, soit! prenons.
– Il paraît, comtesse, que le roi a donné dans le piège.
– Dans le piège?
– Oui, complètement.
– Dans quel piège?
– Dans celui que vous lui aviez tendu.
– Moi, fit la comtesse, j’avais tendu un piège au roi?
– Parbleu! vous le savez bien.
– Non, sur ma parole, je ne le sais pas.
– Ah! comtesse, ce n’est pas aimable de me mystifier ainsi.
– Vrai, maréchal, je n’y suis pas; expliquez-vous donc, je vous en supplie.
– Oui, mon oncle, expliquez-vous, dit d’Aiguillon, qui devinait quelque méchant dessein sous le sourire ambigu du maréchal; madame attend et est tout inquiète.
Le vieux duc se retourna vers son neveu.
– Pardieu! dit-il, il serait drôle que madame la comtesse ne vous eût pas mis dans sa confidence, mon cher d’Aiguillon; ah! dans ce cas, ce serait bien autrement profond encore que je ne croyais.
– Moi, mon oncle?
– Lui?
– Sans doute, toi; sans doute, lui; voyons, comtesse, de la franchise: l’avez-vous mis de moitié dans vos petites conspirations contre Sa Majesté… ce pauvre duc, qui y a joué un si grand rôle?
Madame du Barry rougit. Il était si matin, qu’elle n’avait encore ni rouge ni mouches; rougir était donc possible.
Mais rougir était surtout dangereux.
– Vous me regardez tous deux avec vos grands beaux yeux étonnés, dit Richelieu; il faut donc que je vous instruise de vos propres affaires?
– Instruisez, instruisez, dirent à la fois le duc et la comtesse.
– Eh bien, le roi aura pénétré tout, grâce à sa merveilleuse sagacité, et il aura pris peur.
– Qu’aura-t-il pénétré? Voyons, demanda la comtesse; car, en vérité, maréchal, vous me faites mourir d’impatience.
– Mais votre semblant d’intelligence avec mon beau neveu que voici…
D’Aiguillon pâlit et sembla dire par son regard à la comtesse: «Voyez vous, j’étais sûr d’une méchanceté.»
Les femmes sont braves, en pareil cas, beaucoup plus braves que les hommes. La comtesse en vint tout de suite au combat.
– Duc, dit-elle, je crains les énigmes lorsque vous remplissez le rôle de sphinx; car alors, un peu plus tôt, un peu plus tard, il me semble que je vais être immanquablement dévorée: tirez-moi d’inquiétude, et, si c’est une plaisanterie, eh bien, permettez-moi de la trouver mauvaise.
– Mauvaise, comtesse! mais c’est qu’au contraire elle est excellente, s’écria Richelieu; pas la mienne, la vôtre, bien entendu.
– Je n’y suis aucunement, maréchal, fit madame du Barry en pinçant ses lèvres avec une impatience que son petit pied mutin décelait plus visiblement encore.
– Allons, allons, pas d’amour-propre, comtesse, continua Richelieu. C’est bien; vous avez redouté que le roi ne s’attachât à mademoiselle de Taverney. Oh! ne contestez pas, c’est démontré pour moi jusqu’à l’évidence.
– Oh! c’est vrai, je ne m’en cache point.
– Eh bien! ayant redouté cela, vous avez voulu de votre côté, autant que possible, piquer au jeu Sa Majesté.
– Je n’en disconviens pas. Après?
– Nous arrivons, comtesse nous arrivons. Mais, pour piquer Sa Majesté, dont l’épiderme est un peu coriace, il fallait quelque aiguillon bien fin… Ah! ah! ah! voila, ma foi! un méchant jeu de mots qui m’est échappé. Comprenez-vous?
Et le maréchal se mit à rire ou à feindre de rire aux éclats, pour observer mieux, dans les convulsions de cette hilarité, la physionomie tout anxieuse de ses deux victimes.
– Quel jeu de mots voyez-vous donc là, mon oncle? demanda d’Aiguillon, remis le premier et jouant la naïveté.
– Tu ne l’as pas compris? dit le maréchal. Ah! tant mieux! il était exécrable. Eh bien, je voulais dire que madame la comtesse avait voulu donner de la jalousie au roi, et qu’elle avait choisi pour cela un seigneur de bonne mine, d’esprit, une merveille de la nature enfin.
– Qui dit cela? s’écria la comtesse, furieuse comme tous ceux qui sont puissants et qui ont tort.
– Qui dit cela?… Mais tout le monde, madame.
– Tout le monde, ce n’est personne. vous le savez bien, duc.
– Au contraire, madame; tout le monde, c’est cent mille âmes pour Versailles seulement; c’est six cent mille pour Paris; c’est vingt-cinq millions pour la France! et remarquez bien que je ne compte pas La Haye, Hambourg, Rotterdam, Londres, Berlin, où il se fait autant de gazettes qu’il se fait de propos à Paris.
– Et l’on dit à Versailles, à Paris, en France, à La Haye, à Hambourg, à Rotterdam, à Londres et à Berlin?…
– Eh bien, on dit que vous êtes la plus spirituelle, la plus charmante femme de l’Europe; on dit que, grâce à cet ingénieux stratagème de paraître avoir pris un amant…
– Un amant! et sur quoi fonde-t-on, je vous prie, cette stupide accusation?
– Accusation! que dites-vous, comtesse? admiration! On sait qu’au fond il n’en est rien; mais on admire le stratagème. Sur quoi on fonde cette admiration, cet enthousiasme? On le fonde sur votre conduite étincelante d’esprit, sur votre tactique savante; on le fonde sur ce que vous avez feint, avec un art miraculeux, de rester seule la nuit, vous savez, la nuit où j’étais chez vous, où le roi était chez vous, et où M. d’Aiguillon était chez vous, la nuit où je suis sorti le premier, où le roi est sorti le second, et M. d’Aiguillon le troisième…
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