Maintenant, quelques mots plus particuliers sur les acteurs.
Et d’abord les acteurs se divisaient en deux classes:
Les uns, malades, peu soucieux de ce qu’on appelle le respect humain, limite fort vénérée des gens de condition médiocre, mais toujours franchie par les très grands ou les très petits; les uns, disons-nous, véritables acteurs, n’étaient venus dans ce salon que pour être guéris, et ils essayaient de tout leur cœur d’arriver à ce but.
Les autres, sceptiques ou simples curieux, ne souffrant d’aucune maladie, avaient pénétré dans la maison de Mesmer comme on entre dans un théâtre, soit qu’ils eussent voulu se rendre compte de l’effet éprouvé quand on entourait le baquet enchanté, soit que, simples spectateurs, ils eussent voulu simplement étudier ce nouveau système physique, et ne s’occupassent que de regarder les malades et même ceux qui partageaient la cure en se portant bien.
Parmi les premiers, fougueux adeptes de Mesmer, liés à sa doctrine par la reconnaissance peut-être, on distinguait une jeune femme d’une belle taille, d’une belle figure, d’une mise une peu extravagante, qui, soumise à l’action du fluide et s’appliquant à elle-même avec la tringle les plus fortes doses sur la tête et sur l’épigastre, commençait à rouler ses beaux yeux comme si tout languissait en elle, tandis que ses mains frissonnaient sous ces premières titillations nerveuses qui indiquent l’envahissement du fluide magnétique.
Lorsque sa tête se renversait en arrière sur le dossier du fauteuil, les assistants pouvaient regarder tout à leur aise ce front pâle, ces lèvres convulsives, et ce beau cou marbré peu à peu par le flux et le reflux plus rapide du sang.
Alors, parmi les assistants, dont beaucoup tenaient avec étonnement les yeux fixés sur cette jeune femme, deux ou trois têtes, s’inclinant l’une vers l’autre, se communiquaient une idée étrange sans doute qui redoublait l’attention réciproque de ces curieux.
Au nombre de ces curieux était Mme de La Motte, qui, sans crainte d’être reconnue, ou s’inquiétant peu de l’être, tenait à la main le masque de satin qu’elle avait posé sur son visage pour traverser la foule.
Au reste, par la façon dont elle s’était placée, elle échappait à peu près à tous les regards.
Elle se tenait près de la porte, adossée à un pilastre, voilée par une draperie, et de là elle voyait tout sans être vue.
Mais, parmi tout ce qu’elle voyait, la chose qui lui paraissait la plus digne d’attention était sans doute la figure de cette jeune femme électrisée par le fluide mesmérien.
En effet, cette figure l’avait tellement frappée, que depuis plusieurs minutes elle restait à sa place, fixée par une irrésistible avidité de voir et de savoir.
– Oh! murmurait-elle sans détacher les yeux de la belle malade, c’est à n’en pas douter la dame de charité qui est venue chez moi l’autre soir, et qui est la cause singulière de tout l’intérêt que m’a témoigné Mgr de Rohan.
Et, bien convaincue qu’elle ne se trompait pas, désireuse du hasard qui faisait pour elle ce que ses recherches n’avaient pu faire, elle s’approcha.
Mais en ce moment la jeune convulsionnaire ferma ses yeux, crispa sa bouche, et battit faiblement l’air avec ses deux mains.
Avec ses deux mains qui, il faut bien le dire, n’étaient pas tout à fait ces mains fines et effilées, ces mains d’une blancheur de cire que Mme de La Motte avait admirées chez elles quelques jours auparavant.
La contagion de la crise fut électrique chez la plupart des malades, le cerveau s’était saturé de bruits et de parfums. Toute l’irritation nerveuse était sollicitée. Bientôt, hommes et femmes, entraînés par l’exemple de leur jeune compagne, se mirent à pousser des soupirs, des murmures, des cris, et, remuant bras, jambes et têtes, entrèrent franchement et irrésistiblement dans cet accès auquel le maître avait donné le nom de crise.
En ce moment, un homme parut dans la salle, sans que nul l’y eût vu entrer, sans que personne pût dire comment il y était entré.
Sortait-il de la cuve comme Phœbus? Apollon des eaux, était-il la vapeur embaumée et harmonieuse de la salle qui se condensait? Toujours est-il qu’il se trouva là subitement, et que son habit lilas, doux et frais à l’œil, sa belle figure pâle, intelligente et sereine, ne démentirent pas le caractère un peu divin de cette apparition.
Il tenait à la main une longue baguette, appuyée ou plutôt trempée pour ainsi dire au fameux baquet.
Il fit un signe: les portes s’ouvrirent, vingt robustes valets accoururent, et, saisissant avec une rapide adresse chacun des malades, qui commençaient à perdre l’équilibre sur leurs fauteuils, ils les transportèrent en moins d’une minute dans la salle voisine.
Au moment où s’accomplissait cette opération, devenue intéressante par le paroxysme de béatitude furieuse auquel s’abandonnait la jeune convulsionnaire, Mme de La Motte, qui s’était avancée avec les curieux jusqu’à cette nouvelle salle destinée aux malades, entendit un homme s’écrier:
– Mais c’est elle, c’est bien elle!
Mme de La Motte se préparait à demander à cet homme:
– Qui, elle?
Tout à coup, deux dames entrèrent au fond de la première salle, appuyées l’une sur l’autre et suivies, à une certaine distance, d’un homme qui avait tout l’extérieur d’un valet de confiance, bien qu’il fût déguisé sous un habit bourgeois.
La tournure de ces deux femmes, de l’une d’elles surtout, frappa si bien la comtesse, qu’elle fit un pas vers elles.
En ce moment un grand cri, parti de la salle et échappé aux lèvres de la convulsionnaire, entraîna tout le monde de son côté.
Aussitôt l’homme qui avait déjà dit: «C’est elle!» et qui se trouvait près de Mme de La Motte, s’écria d’une voix sourde et mystérieuse:
– Mais, messieurs, regardez donc, c’est la reine.
À ce mot, Jeanne tressaillit.
– La reine! s’écrièrent à la fois plusieurs voix effrayées et surprises.
– La reine chez Mesmer!
– La reine dans une crise! répétèrent d’autres voix.
– Oh! disait l’un, c’est impossible.
– Regardez, répondit l’inconnu avec tranquillité; connaissez-vous la reine, oui ou non?
– En effet, murmurèrent la plupart des assistants, la ressemblance est incroyable.
Mme de La Motte avait un masque comme toutes les femmes qui, en sortant de chez Mesmer, devaient se rendre au bal de l’Opéra. Elle pouvait donc questionner sans risque.
– Monsieur, demanda-t-elle à l’homme aux exclamations, lequel était un corps volumineux, un visage plein et coloré avec des yeux étincelants et singulièrement observateurs, ne dites-vous pas que la reine est ici?
– Oh! madame, c’est à n’en pas douter, répondit celui-ci.
– Et où cela?
– Mais cette jeune femme que vous apercevez là-bas, sur des coussins violets, dans une crise si ardente qu’elle ne peut modérer ses transports, c’est la reine.
– Mais sur quoi fondez-vous votre idée, monsieur, que la reine est cette femme?
– Mais tout simplement sur ceci, madame, que cette femme est la reine, répliqua imperturbablement le personnage accusateur.
Et il quitta son interlocutrice pour aller appuyer et propager la nouvelle dans les groupes.
Jeanne se détourna du spectacle presque révoltant que donnait l’épileptique. Mais à peine eut-elle fait quelques pas vers la porte, qu’elle se trouva presque face à face avec les deux dames qui, en attendant qu’elles passassent aux convulsionnaires, regardaient, non sans un vif intérêt, le baquet, les tringles et le couvercle.
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