Honoré-Gabriel Mirabeau - Ma conversion; ou le libertin de qualité

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Sacrée bougresse! son jeanfoutre de cul, qui va comme la grêle, m'a fait déconner… Je cours après… mon vit brûle… Je la rattrape par le chignon (ce n'est pas celui du cou), je rentre en vainqueur. – Ah! dit-elle, je me meurs. – Foutue gueuse (je grince des dents!…) si tu ne me laisses pas décharger, je t'étrangle… Enfin, haletante, ses yeux s'amollissent; elle demande grâce. – Non, foutre!… point de quartier… Je pique des deux… ventre à terre… Mes couilles en fureur font feu; elle se pâme… Je m'en fous, et je ne la quitte que quand nous déchargeons tous deux le foutre et le sang ensemble…

Il est temps, je crois, de remettre sa culotte.

Un peu rendus à nous-mêmes, ma housarde me félicite en se congratulant; elle va faire bidet, et moi je relève le sopha du mieux que je puis. – Que fais-tu là? me dit-elle en rentrant. Mon ami, mes gens sont accoutumés à cela, et j'ai un valet de chambre tapissier qui fait la revue tous les matins. – Vous pensez bien que nous ne parlons pas sentiment. Est-ce qu'elle s'embarrasse de ces foutaises-là! Nous voyons sa maison, son magasin, qui est de l'or en barre; les trésors des trois parties du monde s'y rassemblent… Enfin, nous arrivons dans un cabinet; elle ouvre un coffre… Tiens, me dit-elle, prends ce portefeuille… (Je fais des façons…) Allons, foutre! quand on bande comme toi, on a le moyen d'acquitter ces bagatelles… Je le mets dans ma poche, non sans avoir remarqué qu'il contient pour cinq cents louis de bonnes lettres de change… Voilà ce qui s'appelle des douceurs.

Nous soupons: ma foi, j'en avais besoin. C'est elle qui me sert des morilles, des truffes au coulis de jambon, des champignons à la marseillaise; au dessert, les pastilles les plus échauffantes, sans oublier les liqueurs de Mme Anfou… De la table nous nous élançons au lit, et de la vie, je crois, on n'a vu pareille scène.

Rendez-vous pris au surlendemain, j'arrive… Madame est malade. Hélas! Et c'est tout simple; elle avait excessivement chaud quelque chose que j'aie dit, elle a voulu que j'ouvrisse la fenêtre au mois de janvier. Une fluxion de poitrine l'enterre en trois jours… O douleur!… Je vais lui dire un de profundis chez la Saint-Just.

Après avoir essuyé ses larmes et ses doléances (car elle me proteste que ma princesse était une de ses meilleures pratiques), je l'assure que, très touché de cet accident funeste, j'ai fait des réflexions, et qu'ayant toujours honoré la vieillesse, je viens lui demander ses bons offices pour me consacrer au service de la douairière dont elle m'a parlé. Nous prenons jour, et j'obtiens sous huitaine l'avantage d'être introduit chez Mme In Aeternum. On m'avait prévenu qu'elle était fort riche, en sorte que la grandeur de l'hôtel, la beauté des livrées et des ameublements ne me firent pas d'effet; au contraire, j'en dévorais d'avance la substance… Eh! sacredieu! la fée ne devait-elle pas s'alimenter de la mienne?

Le tête-à-tête était ménagé, l'on m'attendait, j'avais relevé mes appas: à force de vouloir réparer les siens, ma vieille était encore à sa toilette, asile impénétrable; je suis introduit, en attendant, dans un boudoir lilas et blanc; des panneaux placés avec art réfléchissaient en mille manières tous les objets, et des amours dont les torches étaient enflammées éclairaient ce lieu charmant. Un sopha large et bas exprimait l'espérance par les coussins vert anglais dont il était couvert; la vue se perdait dans les lointains formés par les glaces et n'était arrêtée que par des peintures lascives que mille attitudes variées rendaient plus intéressantes; des parfums doux faisaient respirer à longs traits la volupté; déjà mon imagination s'échauffe, mon coeur palpite, il désire; le feu qui coule dans mes veines rend mes sens plus actifs… La porte s'ouvre, une jeune personne s'offre à mes yeux; un négligé modeste, une simplicité naïve, des charmes qui n'attendent pour éclore que les hommages de l'amour, des détails délicieux… Telle se montre la jolie nièce de ma douairière, la belle Julie; elle m'offre les excuses de sa tante, qu'une affaire arrête, et me prie d'agréer qu'elle me tienne compagnie. Je réponds à ce compliment par les politesses d'usage, et nous nous asseyons sur des fauteuils dans un coin de la chambre; Julie s'éloignait du sopha (hélas! qu'il était bien plus à craindre pour moi! ), mes yeux erraient sur elle; je sentais toute la timidité d'un amour naissant, tous les combats de ma raison contre mon coeur; le feu de mes regards en imposait à Julie, notre conversation languissait en apparence, mais déjà nos âmes s'entendaient.

– Mademoiselle fait sûrement le bonheur de sa tante, puisqu'elle est sa compagne? – Monsieur, ma tante a de l'amitié pour moi. – La foule qui abonde chez elle a sans doute de quoi vous plaire, et vos plaisirs (Julie soupire)… mille adorateurs… (le feu me monte au visage). – Ah! Monsieur! combien de ces adorateurs méritent d'être évalués ce qu'ils sont en effet! – Quoi! vous n'en auriez pas trouvé dont l'hommage eût su vous intéresser? (elle se trouble…) Pardon… bon dieu! j'allais commettre une indiscrétion… Mais, mademoiselle, me condamnerez-vous à le désirer?

Nous entendons du bruit; un regard assez expressif est toute la réponse de Julie.

La tante avait fini sa toilette; elle s'avance… Peignez-vous, mon ami, un vilain enfant de soixante ans. Sa figure est un ovale renversé; une perruque artistement mêlée, avec un reste de cheveux, reteints en noir, en ombrage la pointe; des yeux rouges et qui louchent pour se donner un regard en coulisse; une bouche énorme, mais que Bourdet a fort bien meublée; du blanc, du rouge, du vermillon, du bleu, du noir, arrangés avec un art, une symétrie que des yeux connaisseurs et un odorat exercé peuvent seuls découvrir.

Une robe à l'anglaise puce et blanche se rattache par des noeuds de gaze, d'où s'échappent des coulants de perles , qui, retombant en ondes, se terminent par des glands d'un goût exquis; un coutil couvre la place où pouvait être une gorge il y a quarante ans; voilà ce que je démêlai au premier coup d'oeil… Heureux si je n'en eusse vu ni senti davantage!

– Mon dieu, mon cher coeur, me dit-elle en minaudant et se laissant aller sur le sopha où elle m'entraîne, je suis désolée de vous avoir laissé ennuyer avec une petite fille (Julie s'est éclipsée); c'est ma nièce, et cela connaît si peu le monde! – Comment, madame, votre nièce? Mais on ne le croirait pas à l'âge dont elle paraît. – Cela est vrai; mais sa mère est infiniment mon aînée… Puis saisissant une de mes mains… La Saint-Just, mon cher, m'a parlé de vous, mais d'une manière extraordinaire, elle raconte des choses!… Oh! pour cela, incroyables. – Ces sortes de femmes nous vantent quelquefois; mais si je lui eus jamais une obligation, c'est de m'avoir mis à portée de vous offrir mes hommages. – Tiens, mon coeur, bannissons la cérémonie; ton air me prévient; tu es joli, sois sage, et sûrement tu ne t'en repentiras pas. Il est temps de passer dans mon salon: j'ai du monde, tu souperas… Une révérence est ma réponse; un baiser me ferme la bouche… (Ah! sacredieu! c'est du vernis tout pur.) Ne joue pas, continua-t-elle; cause avec ma nièce, tu sembleras être son amant… (ah! charmante vieille, l'aurore de l'amour vient me luire! que je t'embrasse de bon coeur!… Mais, foutre! la peinture!)… et nous nous rejoindrons quand ces importuns seront bannis.

Mon supplice est donc retardé… Nous entrons au salon: nombreuse compagnie s'y rassemble, et pendant que Julie et sa tante arrangent les parties, moi je réfléchis.

Amour! amour! tu viens donc encore me décevoir, m'égarer, me percer! Dieu cruel! N'ai-je donc pas été assez longtemps ta victime? Veux-tu te venger? Quel rôle vas-tu m'imposer?… Objet du caprice d'une hideuse vieille, la beauté, les grâces feront mon tourment. Hélas!… enfant trop aimable! Si j'ai jamais su conquérir des coeurs, en soumettre à ton empire, si j'ai fait fumer sur tes autels un encens qui te fut agréable, ah! protège-moi!… Je suis exaucé; une ardeur nouvelle m'embrase; Julie, la belle Julie, recevra mon coeur, mes transports, et sa tante abusée n'aura de moi qu'un tribut chèrement acheté.

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