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Hector Malot: Sans famille

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Hector Malot Sans famille

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Voici l'édifiante histoire de Rémi, enfant trouvé, recueilli par la brave mère Barberin, puis acheté par le signor Vitalis, ancien chanteur qui possède une troupe d'animaux savants. Rémi part avec eux, apprend le métier. Un jour, après bien des vicissitudes inhérentes à la condition de pauvres saltimbanques ambulants, Vitalis meurt de froid dans les carrières de Gentilly. Rémi se trouve alors d'autres maîtres : un jardinier, avec une fille muette, Lise. Mais ces temps heureux ne durent guère... Nous ne vous dévoilerons pas toutes les aventures que va connaître Rémi, dont la légitime obsession est de retrouver ses parents. Comme vous pouvez vous en douter, il y parviendra. Un grand classique de la littérature pour la jeunesse, que nous vous recommandons, et que vous pouvez lire à tout âge.

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— Vous avez consenti autrefois à le recevoir, c’était prendre l’engagement de le garder.

— Eh bien, je ne le garderai pas ; et quand je devrais le mettre dans la rue, je m’en débarrasserai.

— Il y aurait peut-être un moyen de vous en débarrasser tout de suite, dit le vieillard après un moment de réflexion, et même de gagner à cela quelque chose.

— Si vous me donnez ce moyen-là, je vous paye une bouteille, et de bon cœur encore.

— Commandez la bouteille, et votre affaire est faite.

— Sûrement ?

— Sûrement.

Le vieillard quittant sa chaise, vint s’asseoir vis-à-vis de Barberin. Chose étrange, au moment où il se leva, sa peau de mouton fut soulevée par un mouvement que je ne m’expliquai pas : c’était à croire qu’il avait un chien dans le bras gauche.

Qu’allait-il dire ? Qu’allait-il se passer ?

Je l’avais suivi des yeux avec une émotion cruelle.

— Ce que vous voulez, n’est-ce pas, dit-il, c’est que cet enfant ne mange pas plus longtemps votre pain ; ou bien s’il continue à le manger, c’est qu’on vous le paye.

— Juste ; parce que…

— Oh ! le motif, vous savez, ça ne me regarde pas, je n’ai donc pas besoin de le connaître ; il me suffit de savoir que vous ne voulez plus de l’enfant ; s’il en est ainsi, donnez-le-moi, je m’en charge.

— Vous le donner !

— Dame, ne voulez-vous pas vous en débarrasser ?

— Vous donner un enfant comme celui-là, un si bel enfant, car il est bel enfant, regardez-le.

— Je l’ai regardé.

— Rémi ! viens ici.

Je m’approchai de la table en tremblant.

— Allons, n’aie pas peur, petit, dit le vieillard.

— Regardez, continua Barberin.

— Je ne dis pas que c’est un vilain enfant. Si c’était un vilain enfant, je n’en voudrais pas, les monstres ce n’est pas mon affaire.

— Ah ! si c’était un monstre à deux têtes, ou seulement un nain…

— Vous ne parleriez pas de l’envoyer à l’hospice. Vous savez qu’un monstre a de la valeur et qu’on peut en tirer profit, soit en le louant, soit en l’exploitant soi-même. Mais celui-là n’est ni nain ni monstre ; bâti comme tout le monde il n’est bon à rien.

— Il est bon pour travailler.

— Il est bien faible.

— Lui faible, allons donc, il est fort comme un homme, et solide, et sain ; tenez, voyez ses jambes, en avez-vous jamais vu de plus droites ?

Barberin releva mon pantalon.

— Trop mince, dit le vieillard.

— Et ses bras ? continua Barberin.

— Les bras sont comme les jambes ; ça peut aller ; mais ça ne résisterait pas à la fatigue et à la misère.

— Lui, ne pas résister ; mais tâtez donc, voyez, tâtez vous-même.

Le vieillard passa sa main décharnée sur mes jambes en les palpant, secouant la tête et faisant la moue.

J’avais déjà assisté à une scène semblable quand le marchand était venu pour acheter notre vache. Lui aussi l’avait tâtée et palpée. Lui aussi avait secoué la tête et fait la moue : ce n’était pas une bonne vache, il lui serait impossible de la revendre, et cependant il l’avait achetée, puis emmenée.

Le vieillard allait-il m’acheter et m’emmener ; ah ! mère Barberin, mère Barberin !

Malheureusement elle n’était pas là pour me défendre.

Si j’avais osé j’aurais dit que la veille Barberin m’avait précisément reproché d’être délicat et de n’avoir ni bras ni jambes ; mais je compris que cette interruption ne servirait à rien qu’à m’attirer une bourrade, et je me tus.

— C’est un enfant comme il y en a beaucoup, dit le vieillard, voilà la vérité, mais un enfant des villes ; aussi est-il bien certain qu’il ne sera jamais bon à rien pour le travail de la terre ; mettez-le un peu devant la charrue à piquer les bœufs, vous verrez combien il durera.

— Dix ans.

— Pas un mois.

— Mais voyez-le donc.

— Voyez-le vous-même.

J’étais au bout de la table entre Barberin et le vieillard, poussé par l’un, repoussé par l’autre.

— Enfin, dit le vieillard, tel qu’il est je le prends. Seulement, bien entendu, je ne vous l’achète pas, je vous le loue. Je vous en donne vingt francs par an.

— Vingt francs !

— C’est un bon prix et je paye d’avance : vous touchez quatre belles pièces de cent sous et vous êtes débarrassé de l’enfant.

— Mais si je le garde, l’hospice me payera plus de dix francs par mois.

— Mettez-en sept, mettez-en huit, je connais les prix, et encore faudra-t-il que vous le nourrissiez.

— Il travaillera.

— Si vous le sentiez capable de travailler, vous ne voudriez pas le renvoyer. Ce n’est pas pour l’argent de leur pension qu’on prend les enfants de l’hospice, c’est pour leur travail ; on en fait des domestiques qui payent et ne sont pas payés. Encore un coup, si celui-là était en état de vous rendre des services, vous le garderiez.

— En tous cas, j’aurais toujours les dix francs.

— Et si l’hospice au lieu de vous le laisser, le donne à un autre, vous n’aurez rien du tout ; tandis qu’avec moi, pas de chance à courir : toute votre peine consiste à allonger la main.

Il fouilla dans sa poche et en tira une bourse de cuir dans laquelle il prit quatre pièces d’argent qu’il étala sur la table en les faisant sonner.

— Pensez-donc, s’écria Barberin, que cet enfant aura des parents un jour ou l’autre ?

— Qu’importe ?

— Il y aura du profit pour ceux qui l’auront élevé ; si je n’avais pas compté là-dessus je ne m’en serais jamais chargé.

Ce mot de Barberin : « Si je n’avais pas compté sur ses parents, je ne me serais jamais chargé de lui, » me fit le détester un peu plus encore. Quel méchant homme.

— Et c’est parce que vous ne comptez plus sur ses parents, dit le vieillard, que vous le mettez à la porte. Enfin à qui s’adresseront-ils, ces parents, si jamais ils paraissent ? à vous, n’est-ce pas, et non à moi qu’ils ne connaissent pas ?

— Et si c’est vous qui les retrouvez.

— Alors convenons que s’il a des parents un jour, nous partagerons le profit, et je mets trente francs.

— Mettez-en quarante.

— Non pour les services qu’il me rendra, ce n’est pas possible.

— Et quels services voulez-vous qu’il vous rende. Pour de bonnes jambes, il a de bonnes jambes, pour de bons bras, il a de bons bras, je m’en tiens à ce que j’ai dit, mais enfin à quoi le trouvez-vous propre ?

Le vieillard regarda Barberin d’un air narquois et vidant son verre à petits coups :

— À me tenir compagnie, dit-il ; je me fais vieux et le soir quelquefois après une journée de fatigue, quand le temps est mauvais, j’ai des idées tristes ; il me distraira.

— Il est sûr que pour cela les jambes seront assez solides.

— Mais pas trop, car il faudra danser, et puis sauter, et puis marcher, et puis après avoir marché, sauter encore ; enfin il prendra place dans la troupe du signor Vitalis.

— Et où est-elle votre troupe ?

— Le signor Vitalis c’est moi, comme vous devez vous en douter ; la troupe, je vais vous la montrer, puisque vous désirez faire sa connaissance.

Disant cela il ouvrit sa peau de mouton, et prit dans sa main un animal étrange qu’il tenait sous son bras gauche serré contre sa poitrine.

C’était cet animal qui plusieurs fois avait fait soulever la peau de mouton ; mais ce n’était pas un petit chien comme je l’avais pensé.

Quelle pouvait être cette bête ?

Était-ce même une bête ?

Je ne trouvais pas de nom à donner à cette créature bizarre que je voyais pour la première fois, et que je regardais avec stupéfaction.

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