Mayne Reid - Les enfants des bois
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Les chevaux se comportèrent à merveille, quoique leur harnais fût incomplet; on aurait dit qu'ils devinaient que leur bon maître était dans l'embarras et qu'ils avaient résolu de l'en tirer. Peut-être aussi sentaient-ils l'eau qui était devant eux. En effet, au bout de quelques heures ils arrivèrent auprès d'une source fraîche et cristalline qui arrosait une jolie vallée couverte d'une verdoyante pelouse.
Chacun but avec avidité. Les animaux furent lâchés dans la prairie; on alluma du feu pour faire cuire un quartier de mouton, et les voyageurs dînèrent de bon appétit. Le porte-drapeau, assis sur un des coffres de la voiture, fuma tranquillement sa grande pipe d'écume. Il aurait oublié toutes ses peines sans l'absence de ses bestiaux. Il se trouvait au milieu d'une oasis où ne manquait ni l'herbe, ni le bois, ni l'eau et qui pouvait aisément sustenter plusieurs centaines de têtes de bétail. C'était un lieu favorable à l'établissement d'une ferme; mais il était indispensable de la peupler, et par conséquent de reconquérir les troupeaux perdus, richesse féconde dont on pouvait espérer le développement. A l'exception de douze bœufs et deux taureaux de Bechuana à longues cornes, il se composait de jeunes vaches de races excellentes, et dont la postérité devait infailliblement se multiplier. Avant de les retrouver, Von Bloom ne pouvait jouir d'une tranquillité sans mélange. Il avait pris sa pipe pour se distraire pendant que les chevaux paissaient; mais aussitôt qu'ils furent reposés il les fit seller, confia au jeune Hans la garde du camp et partit pour son ancien kraal avec Hendrik et Swartboy.
Ils chevauchèrent d'un pas rapide, déterminés à marcher toute la nuit; à l'endroit de la route où commençait le désert, ils mirent pied à terre et laissèrent leurs montures brouter le maigre gazon. Ils n'avaient pas oublié de remplir leurs gourdes et avaient emporté quelques tranches de mouton rôti. Après une heure de halte ils poursuivirent leur route jusqu'à la place où les bœufs les avaient abandonnés. La nuit était venue, mais la clarté de la lune leur permit d'apercevoir les ornières creusées par les roues de la charrette. Par intervalles, Von Bloom priait Swartboy d'inspecter le terrain. Le Bosjesman descendait de cheval, se penchait, examinait les pas des bestiaux, et répondait invariablement qu'ils avaient dû retourner à leur ancienne demeure. Von Bloom était donc sûr de les y retrouver; mais seraient-ils encore vivants? C'était douteux. Ils avaient de l'eau en abondance, mais pas de nourriture; n'était-il pas probable qu'ils avaient succombé à la faim.
Le jour pointait lorsque Von Bloom arriva en vue de sa demeure. Elle était méconnaissable; l'invasion des sauterelles en avait altéré l'aspect; mais ce qui achevait de la dénaturer, c'était une rangée d'objets noirs placés sur le bord du toit et sur les parapets du kraal.
– Qu'est-ce que c'est que cela? demanda Von Bloom dans une sorte de soliloque, mais assez haut pour être entendu par ses compagnons.
– Ce sont des oiseaux, répondit Swartboy.
– Des vautours! s'écria Von Bloom, que font-ils là? Leur présence n'annonce rien de bon.
La caravane s'avança, le soleil se levait, les vautours se réveillaient, battaient des ailes, et s'abattaient sur différents points autour de la maison.
– Il y a par là quelque charogne, murmura tristement Von Bloom.
C'était malheureusement vrai. Sur le sol gisaient une vingtaine de carcasses mutilées, restes d'animaux dont les longues cornes recourbées indiquaient suffisamment l'espèce.
Von Bloom reconnut ses bestiaux. Tous avaient péri, près des clôtures ou dans la plaine voisine. Mais comment? Ils n'avaient pu mourir de faim si vite; ils n'avaient pu mourir de soif, car la source bouillonnait près de la place que couvraient leurs membres épars et mutilés. Les vautours ne pouvaient les avoir tués…
Quel était donc ce mystère?
Il fut promptement expliqué, et Von Bloom n'eut pas le temps de se poser des questions. Partout se distinguaient des traces de lions, d'hyènes et de chacals, qui s'étaient rassemblés en grand nombre autour de la ferme abandonnée. La rareté du gibier, produite par le passage des sauterelles et par la dévastation des plantes dont il se nourrissait, avait affamé les bêtes féroces, qui s'étaient jetées avec fureur sur le bétail.
Mais où étaient-elles?
La lumière du matin, la vue de la maison peut-être, les avait écartées. Pourtant l'empreinte de leurs pas était fraîche encore. Elles ne devaient pas s'être éloignées, et comptaient sans doute revenir la nuit suivante.
Von Bloom éprouvait le désir de se venger des animaux qui avaient consommé sa ruine; en d'autres circonstances, il les aurait attendus pour en faire justice; mais dans l'état actuel des choses, c'eût été aussi imprudent qu'inutile. Les chevaux avaient à peine assez de force pour franchir, pendant la nuit prochaine, la distance qui les séparait du camp. Aussi, sans entrer dans la demeure qu'ils avaient délaissée, le porte-drapeau, Hendrik et le Bosjesman remplirent leurs gourdes à la source, baignèrent leurs montures fatiguées, et quittèrent tristement le kraal.
CHAPITRE IX
LE LION
A peine les voyageurs avaient-ils fait cent pas, qu'ils s'arrêtèrent brusquement par un mouvement simultané, à l'aspect d'un lion couché sur la plaine, au milieu de la route même par laquelle ils étaient venus!
Ils se demandèrent comment ils ne l'avaient pas vu auparavant.
Le lion était tapi derrière un buisson dont les branches, entièrement dépouillées de feuilles, ne cachaient qu'à demi sa robe d'un jaune éclatant. La vérité était qu'au moment où les trois cavaliers avaient passé, le lion se repaissait au milieu des cadavres des bestiaux.
Troublé dans son repas, il s'était glissé le long des murs et avait couru à l'arrière afin d'éviter une rencontre. Un lion raisonne aussi bien qu'un homme, quoique ce ne soit pas au même degré. En voyant venir à lui les voyageurs, il avait calculé qu'ils continueraient leur route et ne reviendraient point sur leurs pas. Un homme ignorant les événements que nous venons de raconter aurait fait sans doute un raisonnement analogue. Quiconque a observé les animaux, tels que les chiens, les daims, les lièvres et même les oiseaux, a dû remarquer que dans un cas semblable, ils semblent toujours croire que celui qui les inquiète se portera en avant, et que leur manœuvre est celle du lion.
On a généralement des idées fausses sur le courage de cet animal. Quelques naturalistes de mauvaise humeur lui ont contesté la seule noble qualité qui lui avait été longtemps attribuée, et l'ont accusé ouvertement de couardise. D'autres, au contraire, assurent qu'il ne craint personne, qu'il ne recule jamais, et le douent en outre de vertus nombreuses. Les deux opinions s'appuient non pas sur des théories, mais sur des faits bien constatés. Comment les concilier? toutes deux ne peuvent être également fondées, et pourtant toutes deux ont un côté vrai. Il y a des lions lâches et des lions courageux, et si l'espace ne nous manquait, nous pourrions en fournir des preuves surabondantes. Nous nous bornerons, mes chers lecteurs, à faire une comparaison. Savez-vous une espèce dont tous les individus aient évidemment le même caractère? Pensez aux chiens de votre connaissance; sont-ils semblables? n'en voyez-vous pas de nobles, de fidèles, de généreux, tandis que d'autres sont de misérables roquets?
Il en est de même des lions.
Diverses causes influent sur la bravoure et la férocité du lion: son âge, l'heure du jour, la saison de l'année, l'état de son estomac, mais surtout le genre de chasseurs que fréquente la région qu'il habite.
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