Mayne Reid - Les enfants des bois

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Gertrude avait un corsage piqué et brodé à la mode hollandaise, une jupe de laine bleue. Ses cheveux blonds étaient cachés sous un chapeau de paille garni de rubans.

Totty avait la tête nue, et elle était habillée très-simplement d'une toile grossière de fabrication domestique.

Quant à Swartboy, il n'avait pour vêtement qu'une chemise rayée et de vieilles culottes de cuir, sans compter le kaross en peau de mouton posé auprès de lui.

Pendant une marche de vingt milles, les voyageurs ne trouvèrent ni eau ni fourrage. Le soleil avait un éclat dont ils se seraient passés volontiers, car la chaleur était aussi forte qu'entre les tropiques. Ils l'auraient difficilement supportée sans la brise qui souffla toute la journée. Malheureusement elle leur venait droit dans la figure, et une épaisse poussière s'élevait du sol qu'avaient remué les sauterelles avec leurs millions de pieds. Des nuages enveloppaient la petite caravane, augmentaient les difficultés de la marche, couvraient les vêtements, emplissaient la bouche ou rougissaient les yeux des infortunés émigrants.

Ce n'était pas tout: longtemps avant la nuit, ils eurent à souffrir du manque d'eau. Pressé de quitter le kraal désolé, Von Bloom n'avait pas songé à mettre dans la charrette une provision d'eau. C'était une impardonnable négligence dans une contrée comme le sud de l'Afrique, où les sources sont rares et les ruisseaux souvent taris. Comme il se repentit quand il sentit les tourments de la soif et entendit les cris de ses enfants, qui demandaient de l'eau en gémissant!..

Von Bloom ne se plaignait pas: il s'accusait comme d'un crime d'une irréflexion qui causait tant de souffrances. Du moins s'il eût pu les calmer! mais il ne connaissait pas de source plus proche que celle dont nous avons parlé, et il était impossible d'y arriver avant le lendemain.

Les bœufs ont le pas lent: on était parti tard, et il fallait s'attendre à n'être guère qu'à moitié chemin quand le soleil se coucherait. Pour trouver de l'eau, on aurait dû marcher toute la nuit; mais comment le faire avec des animaux exténués et privés d'aliments? Le malheureux Von Bloom pensait qu'il aurait pu ramasser assez de locustes pour en nourrir ces bestiaux; mais il était trop tard, et il ne pouvait que s'adresser de stériles reproches.

La voix et le long fouet du Bosjesman étaient impuissants. L'attelage se traînait péniblement: les bêtes, depuis la veille, n'avaient mangé que les sauterelles qui étaient tombées dans leur étable. Von Bloom prit le parti de faire halte. En l'absence de toute route tracée, il avait besoin du jour pour ne pas s'égarer, et d'ailleurs il eût été dangereux de voyager à l'heure où le voleur nocturne de l'Afrique, le lion, sort de sa tanière.

Ce fut une demi-heure avant le coucher du soleil que Von Bloom résolut de s'arrêter. Toutefois il poussa un peu plus loin, dans l'espoir de trouver de l'herbe. Il était à vingt milles de son point de départ, et le pays portait toujours les traces des ravages des sauterelles. Les buissons étaient dépouillés de leurs feuilles et de leur écorce; la plaine avait perdu toute végétation.

Le porte-drapeau eut l'idée qu'il suivait exactement la route par laquelle les insectes dévastateurs étaient arrivés. C'était sciemment qu'il se dirigeait vers l'ouest; mais il avait présumé que l'armée des sauterelles était primitivement partie du nord, et rien ne justifiait son opinion. Si elle était venue de l'ouest, on risquait de voyager pendant des jours entiers sans rencontrer une touffe de gazon.

Ces pensées troublèrent le fermier; il examina la plaine avec anxiété.

Swartboy observait de son côté: ses yeux perçants, familiarisés avec le désert, découvrirent à un mille de distance un peu de verdure et de feuillage. Il l'annonça par un cri de joie. Le courage de la caravane se ranima, et les bœufs, comme s'ils eussent compris ce dont il s'agissait, reprirent une plus vive allure.

Le Bosjesman ne s'était pas trompé; mais le pâturage qu'il avait signalé ne consistait qu'en quelques maigres tiges éparses sur un terrain rougeâtre. Il y en avait juste assez pour faire éprouver aux bestiaux le supplice de Tantale: mais nulle part on ne voyait de quoi fournir une bouchée à un bœuf. L'aspect de cette végétation était toutefois rassurant: il prouvait qu'on avait franchi les limites du pays dévasté, et l'on pouvait concevoir l'espérance d'arriver promptement à un pâturage plus digne de ce nom.

Cette espérance ne se réalisa pas. La plaine qui s'étendait devant les voyageurs, comme celle qu'ils venaient de parcourir, était stérile et sauvage; mais c'était au manque d'eau, et non au passage des sauterelles, qu'était due son aridité.

Le soleil était déjà au-dessous de l'horizon. On n'avait pas le temps de chercher un pâturage, et la caravane s'arrêta.

Dans l'endroit où elle fit halte poussaient des arbustes en assez grand nombre pour fournir les matériaux de deux kraals, l'un pour les bœufs et les chevaux, l'autre pour les moutons et les chèvres; mais après tant de fatigues et de tribulations, quel voyageur aurait eu la force de couper les branches et de les assembler? C'était une besogne assez pénible que de tuer un mouton pour le souper, de ramasser du bois et d'allumer du feu. On ne fit point de kraal. Les chevaux furent attachés autour de la charrette, et les bœufs, les moutons et les chèvres abandonnés à eux-mêmes. Comme rien ne pouvait les tenter dans les environs, Von Bloom espéra que, las d'une longue route, ils ne s'écarteraient pas du campement, dont on entretint le feu toute la nuit.

CHAPITRE VIII

CE QUE DEVIENT LE TROUPEAU

Hélas! ils s'en écartèrent!

Au jour naissant, quand les voyageurs se réveillèrent, tout le bétail avait disparu. Il ne restait que la vache laitière, que Totty avait liée le soir à un buisson après avoir achevé de la traire. Bœufs, vaches, moutons et chèvres s'étaient dispersés.

Hendrik, Hans, leur père et Swartboy montèrent à cheval et firent des perquisitions. On retrouva les moutons et les chèvres dans les taillis du voisinage; mais il fut constaté que les autres bêtes avaient pris la fuite.

On suivit leurs traces; elles étaient retournées sur leurs pas, et il était hors de doute qu'elles s'étaient dirigées vers le kraal abandonné. Elles étaient parties à une heure peu avancée de la nuit, et avaient marché rapidement, comme le prouvait la disposition de leurs empreintes. Probablement elles étaient déjà arrivées à destination.

Triste découverte! Il ne fallait point songer à les rejoindre avec des chevaux affamés et mourant de soif; et pourtant, sans bœufs de trait, comment conduire la charrette jusqu'à la source?

La situation était embarrassante; ce fut Hans qui suggéra une solution.

– Si nous attelions les cinq chevaux à la charrette?

– Mais, dit Hendrik, nous laisserions donc nos bestiaux derrière nous? Si nous ne les rattrapons pas ils vont se perdre.

– Nous les poursuivrons plus tard, répondit Hans. L'essentiel est d'atteindre la source, où nous ferons reposer nos chevaux. Nous irons ensuite chercher les bœufs pendant ce temps-là: ils seront tous rendus au kraal où ils sont sûrs de trouver au moins de l'eau, ce qui leur permettra de vivre jusqu'à notre arrivée.

Le projet de Hans était seul praticable, et l'on se mit en devoir de l'exécuter. De vieux harnais, qui faisaient heureusement partie du contenu de la charrette, en furent tirés et raccommodés tant bien que mal. Les chevaux furent disposés en arbalète. Swartboy remonta sur son siège, et, à la satisfaction générale, la lourde voiture marcha comme si elle eût conservé son premier attelage.

Gertrude et le petit Jan restèrent dans la charrette; mais Von Bloom et ses deux aînés la suivirent à pied, tant pour ne pas accroître la charge que pour chasser les troupeaux en avant. Tous souffraient de la soif, et en auraient souffert davantage sans la précieuse bête qui trottait derrière la charrette, la vieille Graaf qui avait fourni déjà plusieurs pintes de lait.

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