31 octobre.
J'ai éprouvé tout à l'heure un léger émoi en écrivant sur l'enveloppe: Nimerck, Finistère.
Voilà donc le doux fil renoué. Avec quel soin je vais m'appliquer à ce que rien ne vienne ébranler cette chère amitié définitivement fondée, vous en doutez-vous, madame? Il faudra m'en savoir d'autant plus gré que vous demeurez ma mie . J'ai eu envie de baiser le bas de votre robe – la robe dédaignée de l'Amérique – quand hier soir, vos hommes célèbres jouant à l'esprit parlé pour se reposer de l'esprit écrit, Hervieu posant sa question:
– Quand cesse-t-on d'aimer?
Vous y répondîtes:
– Est-ce qu'on cesse d'aimer? il y a des gens qui sont morts et que je sens m'aimer encore.
Cette pensée a bourdonné autour de mon cœur toute la nuit; je sens si bien que je serai de ceux-là, vous aimant par delà la mort.
Bonne arrivée, madame! Nimerck doit être si beau par ces derniers jours d'automne. Donnez pour moi une caresse de vos yeux aux grandes pelouses, aux noirs sapins, aux durs rochers de vos mornes falaises, à toutes ces choses calmes et belles, et laissez-moi baiser dévotement le bout de vos gants.
Nimerck, 1 ernovembre.
Oui, l'automne est une belle saison. Encore du soleil, encore des feuilles aux arbres, encore des fleurs aux buissons, et le vent qui fait chanter les branches et gémit en parcourant toute la maison. Il devient, ce furieux, l'hôte avec lequel on passe au coin du feu les heures recueillies du soir. Que de souvenirs il réveilla au bruit continu de ses longs sifflements, et que de tristesses montent au cœur, chevauchées par ses tournoiements monotones! J'en ai, parfois, l'âme éperdue.
Octobre est mort. Novembre naît, dépouillant chaque jour un peu plus la terre; il fait beau, il fait froid. Je vous écris ce soir, triste jour des morts, la pensée obsédée du souvenir de mon père, souvenir cher et douloureux. J'ai porté ce matin, pour lui, au calvaire, une grande couronne toute faite de cinéraires aux feuilles d'argent et de branches flexibles de fuchsias dont les fleurs longues, délicates, minces et rouges semblent des larmes de sang.
Il dort sous un menhir, lourd bloc du pays natal; il n'a voulu rien d'autre au cimetière, affirmant ainsi aux humbles l'égalité dans la mort. Là, il nous a défendu de mettre des fleurs; seule, Hélène y porte, aux jours anniversaires, une rose France qu'elle pose, chargée d'un baiser, sur la mousse poussée au pied du rocher.
En rentrant, hasard étrange, j'ouvre un livre et je vois à la première page la signature de mon cher mort. Il a marqué ce livre d'une date: 1860 . Ce: «c'est à moi» – demeure au delà de lui enfoui dans quelques linges blancs, sous la pierre blanche. Cela m'a serré le cœur et remué toutes les fibres tristes. J'ai pensé à des choses enfantinement tendres: sa main avait frôlé ce papier.
On retourne aux sensations naïves lorsqu'on souffre. Le cœur s'accroche à tout, tout lui devient bon pour aviver sa délicate souffrance. La force de l'esprit n'est plus rien. Cela m'a fait me souvenir de Germaine qui garde précieusement les derniers souliers blancs qu'a portés son bébé, avec un peu de la boue sur laquelle son petit pied avait posé. Elle tient à cette boue qu'il a frôlée, où il a mis sa toute petite empreinte, avec la même ferveur qu'elle tient aux fleurs pâles, desséchées et flétries qui ont entouré, touché son beau petit corps mort. Bête de cœur qui paillette d'étincelles d'amour les plus infimes choses!
Je suis triste aujourd'hui de mes souvenirs, triste d'une tristesse profonde; elle met des larmes à mes cils sans que je pleure: Une tristesse faite d'un vague effroi de l'aridité de ma vie à venir, si j'ose déduire et conclure du connu à l'inconnu.
Mais je ne veux pas plus longtemps vous ennuyer de ces choses. Adieu, mon ami. Je vous envoie mes meilleures pensées d'automne dorées encore par un peu de soleil, comme sont les feuilles mortes que le vent de mer fait, en ce moment, tourbillonner autour de nos dernières fleurs.
Nimerck, 15 novembre.
Vous n'avez pas répondu à ma dernière lettre et cela m'a fait un peu de peine. Je devrais pourtant faire grâce à votre paresse… pour ce qui nous doit lier et ce que j'attends de vous, vous êtes bien tel que vous êtes. Je vous demande seulement de ne pas trop m'oublier, vous soupçonnant une tendance à aimer particulièrement, comme le chat, ceux avec qui vous êtes toujours.
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Louis Bouilhet.