« Tu peux baisser le son, s’il te plaît ? » dit-elle sèchement.
En général, ça ne la dérangeait pas mais elle essayait de se mettre dans un état d’esprit particulier afin de comprendre le mode opératoire du tueur.
Avec un soupir et un hochement de tête, Porter baissa le son de la radio. Il la regarda de manière dédaigneuse.
« Qu’est-ce que tu espères trouver, de toutes façons ? » demanda-t-il.
« Je n’espère pas trouver quelque chose, » dit Mackenzie. « J’essaie de rassembler les différentes pièces du puzzle afin de mieux comprendre la personnalité du tueur. Si nous parvenons à penser comme lui, nous avons plus de chances de l’attraper. »
« Ou, » dit Porter, « tu peux attendre qu’on arrive à Omaha et qu’on parle avec les enfants et la soeur de la victime comme Nelson nous l’a demandé. »
Sans même le regarder, Mackenzie savait qu’il luttait pour ne pas lui sortir un commentaire paternaliste dans le style du type qui sait tout. Elle devait reconnaître que c’était tout à son honneur. Quand ils n’étaient que tous les deux sur les routes ou à une scène de crime, Porter maintenait les remarques sarcastiques et les comportements dégradants à un minimum.
Elle ignora Porter pendant un instant et regarda de nouveau les notes étalées sur ses genoux. Elle comparait les notes de l’affaire datant de 1987 et celles du meurtre de Hailey Lizbrook. Plus elle en lisait, plus elle était convaincue que le même type était responsable des deux meurtres. Mais ce qui la frustrait, c’était de ne pas parvenir à identifier un mobile précis.
Elle continua à examiner les différents documents, en feuilletant les pages et en faisant défiler les informations. Elle commença à murmurer tout haut, en se posant des questions et en énonçant les faits à haute voix. C’était quelque chose qu’elle faisait depuis le lycée, une manie dont elle n’était jamais parvenue à se débarrasser.
« Aucun indice d’abus sexuel dans les deux affaires, » dit-elle doucement. « Aucun lien manifeste entre les victimes à part leur profession. Pas de possibilité réelle de motivations religieuses. Pourquoi ne pas utiliser un crucifix en entier plutôt que de simples poteaux si c’était lié à la religion ? Les numéros étaient présents dans les deux affaires mais il n’y a pas de liens clairs entre les chiffres et les meurtres. »
« Ne le prends pas mal, » dit Porter, « mais je préférerais encore écouter les Stones. »
Mackenzie arrêta de se parler à elle-même et remarqua que le témoin de notification de son téléphone clignotait. Après qu’elle et Porter se soient mis en route, elle avait envoyé un email à Nancy en lui demandant de faire quelques recherches rapides à travers les affaires de meurtres des trente dernières années avec les mots-clés poteau, strip-teaseuse, prostituée, serveuse, maïs, lacérations et la séquence de chiffres N511/J202. Quand Mackenzie jeta un coup d’œil à son téléphone, elle vit que Nancy, comme à son habitude, avait agi rapidement.
L’email que Nancy lui avait envoyé disait : Pas grand-chose, j’en ai bien peur. J’ai cependant envoyé en attachement les résumés des quelques affaires que j’ai trouvées. Bonne chance !
Il n’y avait que cinq pièces en attachement et Mackenzie parvint à les survoler assez rapidement. Trois des affaires n’avaient clairement aucun lien avec le meurtre de Lizbrook et l’affaire de 1987. Mais les deux autres présentaient assez d’éléments intéressants pour qu’elles vaillent la peine d’être prises en compte.
L’une d’entre elles était une affaire datant de 1994 où une femme avait été retrouvée morte derrière une grange abandonnée dans une zone rurale à environ cent-trente kilomètres d’Omaha. Elle avait été attachée à un poteau en bois et son corps était là depuis au moins six jours avant d’être découvert. Le cadavre était rigide et des animaux, probablement des lynx, avaient commencé à lui dévorer les jambes. La victime avait un passé judiciaire assez important, dont deux arrestations pour racolage. À nouveau, il n’y avait aucun signe d’abus sexuel et malgré des lacérations présentes dans son dos, elles étaient loin d’être aussi nombreuses que celles qui avaient été retrouvées sur le corps de Hailey Lizbrook. Le résumé sur l’affaire ne parlait pas non plus de chiffres découverts sur le poteau.
Le deuxième dossier avec d’éventuels liens avec cette affaire concernait une jeune fille de dix-neuf ans qui avait été portée disparue en 2009 lorsqu’elle n’était pas rentrée chez elle lors de ses vacances de Noël de l’Université du Nebraska. Lorsque son corps fut découvert trois mois plus tard dans un champ désert, partiellement enterré, des lacérations étaient présentes sur son dos. Des images furent plus tard diffusées à la presse, montrant la jeune fille nue et s’adonnant à une sorte de fête sexuelle choquante sur le campus. Les photos avaient été prises une semaine avant qu’elle n’ait été portée disparue.
Cette dernière affaire présentait moins de similitudes mais Mackenzie estimait que les deux affaires pouvaient avoir des liens potentiels avec le meurtre de 1987 et celui de Hailey Lizbrook.
« Tu as quelque chose de neuf ? » demanda Porter.
« Nancy m’a envoyé le compte-rendu de certaines affaires qui pourraient être liées à la nôtre. »
« Et quelque chose qui tient la route ? »
Elle hésita puis elle lui fit part des deux liens potentiels. Quand elle eut terminé, Porter hocha la tête, le regard fixé à l’extérieur. Ils passèrent un panneau indiquant qu’Omaha ne se trouvait plus qu’à trente-cinq kilomètres.
« Je pense que tu t’efforces de trop parfois, » dit Porter. « Tu te démènes à fond et beaucoup de gens l’ont remarqué. Mais soyons honnêtes : peu importe les efforts que tu fasses, toutes les affaires ne se caractérisent pas par un lien énorme qui te permettrait d’avoir affaire à une enquête gigantesque. »
« Alors dis-moi, » dit Mackenzie. « En ce moment, qu’est-ce que ton instinct te dit au sujet de cette affaire ? À quoi est-on confronté ? »
« C’est juste un criminel de base ayant des problèmes avec les femmes, » dit Porter d’une manière dédaigneuse. « Si on parle avec assez de gens, on le retrouvera. Toute cette analyse n’est qu’une perte de temps. Tu n’attrapes pas des criminels en pensant comme eux. Tu les attrapes en posant des questions. Du travail de terrain, du porte à porte, de témoignage en témoignage. »
Alors que le silence s’installait entre eux, Mackenzie commença à se préoccuper de la vision simpliste qu’il avait du monde. Ça ne laissait aucune place aux nuances, à rien qui soit différent des ses certitudes prédéfinies. Elle était convaincue que le malade auquel ils avaient affaire était bien plus sophistiqué que ça.
« Et toi, qu’est-ce que tu penses de notre tueur ? » demanda-t-il finalement.
Elle ressentait une forme de ressentiment dans sa voix, comme s’il n’avait vraiment pas envie de lui poser la question mais que le silence l’y avait un peu forcé.
« Je pense qu’il déteste les femmes pour ce qu’elles représentent,” dit-elle doucement, mettant les pièces du puzzle en place dans son esprit au fur et à mesure qu’elle parlait. « Peut-être qu’il s’agit d’un puceau d’une cinquantaine d’années qui pense que le sexe est immonde, bien qu’il y ait aussi en lui ce besoin de sexe. Tuer des femmes lui donne la sensation de conquérir ses propres instincts, instincts qu’il considère immondes et inhumains. S’il peut éliminer la source dont proviennent ces désirs sexuels, il a l’impression de reprendre le contrôle. Les lacérations sur le dos des femmes indiquent une forme de punition, probablement pour leur nature provocatrice. Puis il y a aussi le fait qu’il n’y ait aucun signe d’abus sexuel. Ce qui me fait penser qu’il s’agit d’une sorte de tentative de purification dans les yeux du tueur. »
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