« Ça date d’il y a presque trente ans. » dit-il. « Pour moi, c’est un peu léger comme connexion. »
« Mais c’est néanmoins une connexion. » répondit Mackenzie.
Nelson tapa du poing sur la table, le regard bouillonnant tourné vers Mackenzie. « S’il existe une connexion, vous savez ce que ça signifie, n’est-ce pas ? »
« Ça veut dire qu’il est possible qu’on ait affaire à un tueur en série. » dit-elle. « Et l’idée seule que nous puissions avoir affaire à un tueur en série signifie que nous devons envisager d’appeler le FBI. »
« Mais vous allez un peu vite en besogne, là. » dit Nelson. « En fait vous êtes prête à rameuter la cavalerie pour peut-être pas grand-chose. »
« Avec tout le respect que je vous dois, » dit Mackenzie, « ça vaut la peine d’y regarder de plus près. »
« Et maintenant que votre cerveau encyclopédique l’a signalé à notre attention, nous n’avons plus le choix en fait. » dit Nelson. « Je vais passer quelques coups de fil et vous vous en chargerez. Pour l’instant, on va se concentrer sur les éléments urgents et pertinents. C’est tout pour l’instant. Vous pouvez tous retourner bosser. »
Le groupe présent à la salle de conférence commença à se disperser, en emportant les dossiers avec eux. Alors que Mackenzie se dirigeait vers la porte, Nancy lui adressa un sourire d’approbation. C’était le signe d’encouragement le plus important que Mackenzie ait reçu au boulot en plus de deux semaines. Nancy était réceptionniste et effectuait parfois des recherches d’informations pour le commissariat. Elle était l’un des rares membres plus âgés du commissariat qui n’avait pas de réels problèmes avec elle.
« Porter et White, attendez ! » dit Nelson.
Elle remarqua que Nelson montrait le même genre de préoccupation qu’elle avait vue et entendue chez Porter lorsqu’il avait pris la parole un peu plus tôt. Il en avait même l’air presque malade.
« Bon boulot pour le rappel de cette affaire de 1987 » dit Nelson à Mackenzie. On aurait dit que ça lui faisait physiquement mal de lui faire un compliment. « C’est un peu au petit bonheur la chance, mais si c’est le cas, il va falloir se demander… »
« Se demander quoi ? » dit Porter.
Mackenzie, qui n’était pas du genre à tourner autour du pot, répondit pour Nelson.
« Se demander pourquoi il a mis autant de temps avant de redevenir actif, » dit-elle.
Puis elle ajouta :
« Et se poser la question de savoir quand il va recommencer à tuer. »
Il était assis dans sa voiture, à profiter du silence environnant. Les réverbères jetaient une lueur fantomatique dans la rue. Il n’y avait pas beaucoup de voitures qui passaient à cette heure aussi tardive, ce qui créait une atmosphère sinistre. Il savait que toute personne qui se baladait à cette heure-ci dans ce quartier de la ville n’était probablement pas très à l’aise ou cherchait à faire ses affaires en secret. Ça lui facilitait sa tâche de concentration sur le travail à réaliser… sa Bonne Oeuvre.
Les trottoirs étaient sombres hormis la lumière occasionnelle venant des néons d’établissements miteux. La silhouette crue d’une femme bien dotée scintillait par la vitre du bâtiment qu’il observait. C’était comme la lueur vacillante d’un phare sur une mer déchaînée. Mais il n’y avait aucun refuge par ici, aucun refuge respectable du moins.
Alors qu’il était assis dans sa voiture, aussi éloigné que possible des réverbères, il pensa à la collection qu’il avait à la maison. Il l’avait examinée de près avant de sortir ce soir. C’était des souvenirs de son oeuvre qu’il gardait précieusement sur son bureau : un sac à main, une boucle d’oreille, un collier en or, une mèche de cheveux blonds placés dans un petit Tupperware. C’était des rappels, des rappels que cette tâche lui avait été assignée. Et qu’il avait encore beaucoup de travail à faire.
Un homme sortit de l’édifice de l’autre côté de la rue, l’interrompant dans ses pensées. Il resta assis là en observant, attendant patiemment. Il en avait appris beaucoup sur la patience au fil des ans. C’est pourquoi il était maintenant anxieux de savoir qu’il devait travailler rapidement. Et s’il n’était pas assez précis ?
Il n’avait pas beaucoup le choix. Le meurtre de Hailey Lizbrook faisait déjà la une des actualités. Des gens le recherchaient, comme si c’était lui qui avait fait quelque chose de mal. Ils ne comprenaient rien. Ce qu’il avait offert à cette femme, c’était un cadeau.
Un acte de bonté.
Auparavant, il laissait passer beaucoup de temps entre ses actes sacrés. Mais aujourd’hui, un sentiment d’urgence le pressait. Il y avait tellement à faire. Il y avait continuellement des femmes aux coins des rues, sur les pubs, à la télé.
Ils finiraient par comprendre. Ils comprendraient et ils le remercieraient. Ils lui demanderaient comment être pur et il leur ouvrirait les yeux.
Quelques instants plus tard, l’image néon de la femme à travers la vitre disparut. Les lumières derrière les fenêtres s’éteignirent. L’endroit était devenu sombre, ils fermaient pour la nuit.
Il savait que ça voulait dire que les femmes allaient bientôt sortir par l’arrière, se diriger vers leurs voitures et rentrer chez elles.
Il enclencha une vitesse et roula lentement autour du pâté de maisons. La lumière des réverbères semblait le poursuivre mais il savait qu’il était à l’abri des regards. Dans ce quartier de la ville, personne ne se préoccupait des autres.
À l’arrière du bâtiment, la plupart des voitures étaient de beaux modèles. Apparemment, ça rapportait bien d’exposer son corps. Il se gara à l’extrémité du parking et attendit.
Après un long moment, la porte des employés s’ouvrit finalement. Deux femmes en sortirent, accompagnées d’un homme qui avait l’air d’être agent de sécurité pour l’établissement. Il observa l’homme, en se demandant s’il allait poser problème. Il gardait une arme sous son siège qu’il utiliserait si c’était absolument nécessaire mais il préférait éviter de le faire. Il n’avait pas encore été obligé de l’utiliser. En fait, il détestait les armes. Il y avait quelque chose d’impur à leur sujet, quelque chose de corrompu.
Ils finirent par se séparer, monter dans leurs voitures et s’éloigner.
Il vit d’autres personnes sortir, puis soudainement il se redressa sur son siège. Il sentit son cœur s’emballer. C’était elle. C’était celle qu’il attendait.
Elle était de petite taille, une fausse blonde avec une coupe au carré jusqu’au niveau des épaules. Il la regarda monter dans sa voiture mais ne démarra que lorsque ses feux arrière passèrent le coin de la rue.
Il contourna l’édifice par l’autre côté afin de ne pas attirer l’attention sur lui. Il se plaça juste derrière elle et son coeur commença à s’emballer. Instinctivement, il tendit la main sous son siège et toucha les brins de la corde. Ça le calmait.
Ça le calmait aussi de savoir qu’après la poursuite, viendrait le moment du sacrifice.
Et il viendrait, ça c’est sûr.
Mackenzie était assise dans le siège passager, avec des nombreux dossiers étalés sur les genoux. Porter était derrière le volant, tapotant des doigts au rythme d’une chanson des Rolling Stones. Il avait toujours la même chaîne de rock allumée lorsqu’il conduisait et Mackenzie lui jeta un regard ennuyé, finalement déconcentrée. Elle regarda la trajectoire des phares se projetant sur la route devant eux à cent-trente kilomètres à l’heure puis elle se tourna vers lui.
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