Elle s’approcha du poteau en veillant bien à ne pas toucher le corps avant que ne soit arrivée la police scientifique. Elle s’accroupit à nouveau et sentit tout le poids de la chaleur de l’après-midi s’abattre sur ses épaules. Imperturbable, elle tendit le cou pour s’approcher au plus près du poteau. Elle en était tellement proche que son front le touchait presque.
« Qu’est-ce que tu fous ? » demanda Nelson.
« Il y a quelque chose de gravé » dit-elle. « On dirait des chiffres. »
Porter s’approcha à nouveau pour y jeter un coup d’oeil mais prit soin de ne plus s’agenouiller. « White, ce morceau de bois a facilement plus de vingt ans » dit-il. « Et cette gravure est probablement aussi vieille. »
« Peut-être » dit Mackenzie. Mais elle n’en était pas convaincue.
Se désintéressant de la découverte, Porter retourna discuter avec Nelson, comparant des notes sur les informations obtenues du fermier qui avait découvert le corps.
Mackenzie sortit son téléphone et prit les chiffres en photo. Elle agrandit l’image et les chiffres apparurent sur l’écran. En les voyant clairement en détails, elle sentit à nouveau que tout ceci n’était que le début de quelque chose de bien plus important.
N511/J202
Les chiffres ne lui inspiraient rien de particulier. Peut-être que Porter avait raison et peut-être qu’ils ne signifiaient absolument rien. Peut-être qu’ils avaient été gravés là par un bûcheron lorsque le poteau avait été fabriqué. Ou peut-être que c’était des enfants qui les avaient gravés à une époque ou à une autre.
Mais il y avait quelque chose qui ne collait pas.
Il n’y avait rien qui collait en fait.
Et elle était persuadée, du fond du coeur, que tout ceci n’était qu’un début.
Mackenzie sentit son estomac se nouer lorsqu’elle vit à travers la vitre de la voiture toutes les camionnettes de journalistes amassées et les reporters s’efforçant d’avoir les meilleures places afin de les assaillir, elle et Porter, au moment où ils arriveraient au commissariat. Pendant que Porter se garait, elle vit comment de nombreux journalistes s’approchaient, traversant en courant la pelouse du commissariat avec leur caméraman à la suite.
Mackenzie vit également Nelson qui se tenait déjà devant les portes d’entrée et qui faisait tout son possible pour essayer de les calmer. Il avait l’air agité et embarrassé. De là où elle se trouvait, elle pouvait voir la sueur scintiller sur son front.
Au moment de sortir du véhicule, Porter se plaça à ses côtés afin de s’assurer qu’elle ne soit pas la première détective que les journalistes rencontrent. Alors qu’il la dépassait, il lui dit : « Ne raconte surtout rien à ces vampires. »
Elle sentit l’indignation monter en elle en entendant son commentaire condescendant.
« Je sais, Porter. »
La foule de journalistes et de caméras arrivèrent jusqu’à eux. Au moins une dizaine de micros étaient tendus vers leurs visages alors qu’ils essayaient de traverser la mêlée. Les questions jaillissaient dans tous les sens.
« Est-ce que les enfants de la victime ont été informés ? »
« Quelle a été la réaction du fermier lorsqu’il a découvert le corps ? »
« Est-ce que c’est une affaire d’abus sexuel ? »
« Est-ce une bonne idée qu’une femme s’occupe d’une telle affaire ? »
Cette dernière question ennuya un peu Mackenzie. Bien sûr, elle savait qu’ils cherchaient uniquement à provoquer une réponse, espérant une annonce juteuse de vingt secondes pour le journal de l’après-midi. Il n’était que seize heures et s’ils agissaient rapidement, ils pourraient obtenir une info pour les actualités de dix-huit heures.
Alors qu’elle se frayait un passage à travers les portes et le hall d’entrée du commissariat, cette dernière question continuait à résonner dans sa tête.
Est-ce une bonne idée qu’une femme s’occupe d’une telle affaire ?
Elle se rappela la manière impassible avec laquelle Nelson lui avait communiqué les informations concernant Hailey Lizbrook.
Bien sûr que c’était une bonne idée, pensa Mackenzie. En fait, c’était même primordial.
Ils pénétrèrent finalement dans le commissariat de police et les portes se refermèrent derrière eux. Mackenzie se sentit soulagée d’être enfin au calme.
« Saloperies de sangsues » dit Porter.
Il avait abandonné sa démarche arrogante maintenant qu’il ne se trouvait plus face aux caméras. Il passa lentement devant la réception et se dirigea vers le hall qui menait aux salles de conférence et aux bureaux qui constituaient leur commissariat. Il avait l’air fatigué, prêt à rentrer chez lui, déjà prêt à clôturer cette affaire.
Mackenzie rentra la première dans la salle de conférence. De nombreux officiers de police étaient déjà assis à la grande table, certains en uniforme et d’autres en civil. Étant donné leur présence et l’apparition soudaine des camionnettes de journalistes, Mackenzie en déduisit qu’il y avait eu des fuites concernant cette affaire durant les deux heures et demie qui s’étaient écoulées entre le moment où elle avait quitté son bureau pour se rendre dans le champ de maïs et le moment où elle en était revenue. Ce n’était plus uniquement un meurtre horrible, c’était devenu un vrai show.
Mackenzie se servit une tasse de café et s’assit. Des dossiers avec les informations rassemblées jusqu’ici sur l’affaire étaient éparpillés sur la table. Elle y jeta un œil pendant que la salle se remplissait petit à petit. Porter finit par entrer et prit place à l’autre bout de la table.
Mackenzie jeta un coup d’oeil à son téléphone et vit qu’elle avait reçu huit appels en absence, cinq messages vocaux et une dizaine d’emails. C’était un dur rappel du fait qu’elle avait déjà une bonne série d’affaires en cours avant même d’avoir été envoyée au champ de maïs ce matin. Le côté ironique de sa situation était qu’en dépit de passer beaucoup de temps à la dénigrer et à l’insulter de manière subtile, ses collègues plus âgés avaient également conscience de son talent. Et par conséquent, elle était en charge du plus grand nombre de dossiers. Jusqu’à maintenant, elle n’avait jamais pris de retard et elle avait résolu un nombre exemplaire d’affaires.
Elle envisagea de répondre à certains des emails en attendant mais le chef de police Nelson entra avant qu’elle n’ait eu l’occasion de s’y mettre. Il ferma rapidement la porte de la salle de conférence derrière lui.
« Je ne sais pas comment les journalistes ont pu être au courant aussi vite, » grogna-t-il, « mais si j’apprends que l’un d’entre vous est responsable, ça va barder. »
Le silence envahit la pièce. Quelques policiers et employés commencèrent à feuilleter nerveusement les dossiers étalés en face d’eux. Bien que Mackenzie n’aime guère Nelson, elle devait admettre que sa présence et sa voix en imposaient sans aucun effort à une salle entière.
« Voilà où on en est. » dit Nelson. « La victime s’appelle Hailey Lizbrook, une strip-teaseuse d’Omaha, trente-quatre ans, mère de deux garçons âgés de neuf et quinze ans. D’après les informations que nous avons pu récolter, elle a été enlevée avant d’arriver au travail vu que son employeur affirme qu’elle ne s’est pas montrée au boulot la nuit dernière. Les caméras de sécurité du club Runway, l’endroit où elle travaillait, ne nous ont rien appris. Nous supposons donc qu’elle a été enlevée quelque part entre son appartement et le club de strip-tease. Ça couvre une distance de douze kilomètres, une zone où certains de nos hommes sont actuellement occupés à faire des recherches en collaboration avec le département de police d’Omaha. »
Читать дальше