« Où est ton fixe ? » demanda-t-elle en se tournant vers Dean, en même temps que résonnait le bruit d’un verrou. Elle vit qu’il avait déjà tourné le verrou et qu’il attachait la chaînette en haut de la porte.
« Désolé », dit-il en haussant les épaules, tout en n’ayant pas du tout l’air désolé. « J’ai du le déplacer dans la cuisine. On dirait que j’ai oublié. »
Sarah essaya d’évaluer le degré d’agressivité dont elle devait faire preuve. Quelque chose de très grave se tramait. Elle était dans une chambre verrouillée, dans ce qui ressemblait fort à une maison close dans un coin scabreux de Little Armenia. Au vu des circonstances, il y avait peu d’intérêt à lui faire une remarque cinglante.
Fais l’ingénue. Joue la carte de la niaiserie. Sors d’ici au plus vite.
« C’est pas grave, dit-elle d’un ton joyeux. On a qu’à aller à la cuisine, alors. »
En prononçant ces mots, le bruit d’une chasse d’eau retentit. Elle se retourna pour voir s’ouvrir la porte de la salle de bains, révélant un énorme bonhomme d’origine latino-américaine, qui portait un t-shirt blanc duquel s’échappait une imposante bedaine poilue. Son crâne était rasé et il avait une longue barbe. Derrière lui, sur le sol en lino de la salle de bains, était étendue une fille qui devait avoir moins de quatorze ans. Elle ne portait qu’une culotte et semblait inconsciente.
Sarah sentit sa poitrine se contracter et sa respiration devenir superficielle. Elle s’efforça de cacher la panique croissante qui la submergeait.
« Sarah, je te présente Chiqy, dit Dean.
— Salut, Chiqy », dit-elle en s’obligeant à parler d’une voix calme. « Je suis désolée de couper court à ceci mais je vais me rendre à la cuisine pour passer un coup de fil. Dean, si tu veux bien déverrouiller la porte ? »
Elle avait décidé qu’au lieu d’essayer de trouver la cuisine, où elle doutait de trouver un téléphone fixe de toute façon, elle irait droit vers la porte d’entrée. Une fois dehors, elle arrêterait un automobiliste pour qu’on la conduise chez elle, et elle appellerait les secours pour Lanie.
« Fais-moi voir un peu à quoi tu ressembles », ordonna Chiqy d’une voix rocailleuse, ignorant ce qu’elle venait de dire. Sarah se tourna et vit l’homme obèse la détailler. Au bout d’un moment, il passa la langue sur ses lèvres. Sarah dut réprimer une envie de vomir.
« Qu’est ce que t’en penses ? demanda Dean d’un ton enthousiaste.
— Je pense que si on la met dans une robe à fleurs avec des couettes, elle fera une bonne source de revenus.
— Je vais y aller », fit Sarah en se précipitant vers la porte. À sa grande surprise, Dean fit un pas sur le côté, l’air amusé.
« Tu t’es servi du brouilleur pour qu’elle ne puisse pas appeler ou envoyer des messages ? demanda Chiqy, quelque part derrière elle.
— Ouais. J’ai fait bien gaffe à elle. Elle a essayé plein de fois mais n’avait apparemment jamais de réseau. N’est-ce pas, Sarah ? »
Elle batailla avec la chaînette en haut de la porte et était presque parvenue à la détacher lorsqu’une ombre obscurcit son champ de vision. Elle allait se retourner mais avant d’en avoir le temps, elle reçut un coup à l’arrière de la tête et sombra dans les ténèbres.
Le cœur de Keri Locke battait à tout rompre. Bien qu’elle soit au milieu d’un grand commissariat de police, elle parvint à bloquer tout ce qui l’entourait. Elle parvenait à peine à réfléchir clairement en lisant l’email qu’elle venait de recevoir. Il était difficile de croire que c’était vrai.
suis prêt à vous rencontrer si vous respectez les règles. vous recontacte bientôt.
Les mots en étaient simples, mais le message était porteur d’une signification colossale.
Pendant six semaines interminables, Keri avait attendu cela, espérant désespérément que l’homme qu’elle soupçonnait d’avoir enlevé sa fille cinq ans plus tôt la contacterait. Et il venait de le faire.
Keri repoussa son portable et ferma les yeux, essayant de garder sa contenance tout en réfléchissant à la situation. La première fois qu’elle avait trouvé le moyen de contacter cet homme, connu sous le seul surnom de Collectionneur, elle avait organisé un rendez-vous. Il n’était pas venu.
Elle lui avait écrit pour savoir pourquoi, et il avait répondu qu’elle n’avait pas respecté les règles, tout en suggérant qu’ils pourraient se recontacter à l’avenir. Il lui avait fallu toute sa patience et toute son autodiscipline pour ne pas faire le premier pas. Elle en mourait d’envie mais craignait de paraître trop empressée, qu’il prenne peur et supprime définitivement son compte email. Cela lui aurait enlevé toute possibilité de le retrouver un jour, ni lui ni Evie.
Et maintenant, après plusieurs semaines de torture et de silence, il avait fini par la recontacter. Évidemment, il ne savait pas qu’il communiquait avec la mère d’Evie, ni même que Keri était une femme. Tout ce qu’il savait, c’était qu’il s’agissait d’un client potentiel, qui voulait discuter d’un enlèvement contre rémunération.
Cette fois-ci, elle trouverait un meilleur stratagème que la dernière fois, où il lui avait laissé moins d’une heure pour rejoindre le lieu de rendez-vous désigné. Elle avait mis en place un leurre, un fantoche, pour qu’il aille à sa place, et elle avait surveillé de loin la situation. Mais d’une façon ou d’une autre, le Collectionneur avait su que le leurre n’était pas son vrai client, et il n’était pas venu. Elle ne pouvait pas laisser cela se reproduire.
Reste calme. Tu as tenu tout ce temps et ça a payé. Ne ruine pas tout en faisant quelque chose d’impulsif. De toute façon, pour le moment, tu ne peux rien faire. La balle est dans son camp. Fais une réponse simple et attends qu’il réagisse.
Keri tapa un seul mot :
compris
Ensuite, elle rangea son portable dans son sac et se leva, trop tendue et fébrile pour rester assise. Comme elle savait qu’il n’y avait rien à faire de plus, elle s’efforça de chasser le Collectionneur de ses pensées.
Elle se dirigea vers la salle de repos pour manger un morceau. Il était 16h passées, et son estomac grondait, bien qu’elle ne sache pas si c’était parce qu’elle avait sauté le déjeuner ou à cause de son anxiété générale.
Lorsqu’elle arriva, elle vit son collègue de binôme, Ray Sands, qui fouillait le réfrigérateur. Il était connu pour s’approprier tout aliment dont le propriétaire ne soit pas correctement indiqué. Heureusement, sa salade au poulet, sur laquelle figurait clairement son nom, était cachée en bas, au fond du frigo. Ray, un grand Noir d’1,93 mètres et 105 kilos, au crâne chauve et à la carrure imposante, aurait du être vraiment affamé pour aller chercher jusque là une simple salade.
Keri resta un moment debout dans l’embrasure, profitant de la vue des fesses de Ray qui se tortillaient pendant ses manœuvres. En plus d’être son binôme, il était son meilleur ami, et depuis quelque temps, peut-être même plus que cela. Ils étaient tous les deux profondément attirés l’un par l’autre, et se l’étaient avoués moins de deux mois auparavant, lorsque Ray se remettait d’une blessure par balle reçue en combattant un kidnappeur d’enfants.
Mais depuis lors, ils n’avaient fait que dépasser des étapes minimes. Ils flirtaient plus ouvertement lorsqu’ils étaient seuls, et il plusieurs rendez-vous semi-romantiques avaient eu lieu, pendant lesquels ils se rendaient l’un chez l’autre pour regarder un film.
Mais ils semblaient tous deux avoir peur de faire le pas suivant. Keri savait pourquoi elle ressentait tout cela, et elle soupçonnait que Ray le savait également. Elle s’inquiétait de la possibilité que leur amitié et leur binôme soient compromis, s’ils se mettaient ensemble et que leur couple ne durait pas. C’était une inquiétude légitime.
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