Il était grand et très maigre, avec un jean serré et un t-shirt noir qui faisait ressortir sa peau blanche et ses nombreux tatouages. Sarah remarqua qu’il portait le même tatouage que Sarah sur le poignet gauche : le symbole pirate, un crâne et deux os croisés.
Avec ses longs cheveux noirs et son regard sombre et intense, il n’était pas tant beau garçon que beau tout court. Il rappelait à Sarah les chanteurs des groupes de hair metal des années 1980, sur lesquels s’extasiait sa mère, et qui portaient des noms avec « Row », tels que Skid Row ou Motley Row. Le jeune homme devant elle avait au moins vingt et un ans.
« Salut, poupée », dit-il en se penchant pour embrasser Lanie avec une fougue surprenante, du moins dans un snack de centre commercial. « Alors, tu lui as dit ?
— J’ai pas encore eu l’occasion », répondit Lanie avant de se tourner vers Sarah. « Sarah Caldwell, voici mon copain, Dean Chisolm. Dean, voici ma plus vieille amie, Sarah.
— Enchantée, dit Sarah en hochant poliment la tête.
— Tout le plaisir est pour moi », dit Dean en prenant sa main et en faisant une révérence exagérément profonde. « Lanie me parle tout le temps de toi, elle me dit à quel point elle voudrait que vous vous voyiez plus souvent. Donc je suis ravi que vous ayez pu vous retrouver aujourd’hui.
— Moi aussi » dit Sarah, impressionnée par le charme du garçon, auquel elle ne s’attendait pas. Elle restait toutefois sur ses gardes. « Alors, qu’est ce que Lanie devait me dire ? »
Le visage de Dean s’éclaira d’un sourire qui balaya toutes ses réserves.
« Ah, ça. Je vais inviter quelques amis chez moi cet après-midi et on pensait que ça pourrait être sympa que tu nous rejoignes. Quelques-uns d’entre eux sont dans des groupes de musique. L’un d’entre eux cherche un chanteur. Lanie pensait que ça pourrait te faire plaisir de les rencontrer. Elle dit que tu chantes très bien. »
Sarah regarda Lanie, qui lui sourit sans rien dire.
« Est-ce que c’est ça que tu veux ? lui demanda Sarah.
— Ça pourrait être sympa de tenter quelque chose de nouveau », lui répondit Lanie.
Elle parlait d’un ton égal mais Sarah reconnut son regard, qui la suppliait silencieusement de ne pas l’embarrasser devant son séduisant nouveau petit copain.
« Et tu habites où ? demanda Sarah à Dean.
— Près de Hollywood, dit-il, les yeux brillants de hâte. Allons-y. Ça va être mortel. »
*
Sarah s’installa à l’arrière du vieux fourgon de Dean, un antique Trans Am qui semblait bien entretenu de l’extérieur mais était jonché de mégots et d’emballages McDonald’s à l’intérieur. Dean et Lanie prirent place à l’avant. Il était impossible de discuter avec la musique à plein volume. L’équipage traversa Hollywood en direction de Little Armenia.
Sarah observait son amie, dans le siège passager, et se demandait si elle lui était d’une quelconque aide en l’accompagnant. Ses pensées retournèrent vers la conversation qu’elle avait eue avec Lanie dans les toilettes des femmes, au centre commercial, où Lanie avait fini par plus ou moins se confesser.
« Dean est super passionné », avait-elle dit en vérifiant son maquillage une dernière fois. « J’ai peur que si je ne tiens pas le rythme, je vais le perdre. Il est tellement sexy, il pourrait avoir n’importe quelle fille. Et il ne me traite pas comme une adolescente. Il me traite comme une femme.
— C’est pour ça que tu as ces bleus ? Parce qu’il te traite comme une femme ? »
Sarah avait voulu croiser le regard de Lanie dans le miroir, mais celle-ci refusait de la regarder.
« Il était juste contrarié, avait-elle dit. Il m’a accusée d’avoir honte de lui, que c’était pour ça que je ne le présentais pas à mes copines respectables. Mais la vérité, c’est que je n’ai plus d’amies comme ça, maintenant. C’est alors que j’ai pensé à toi. Je me suis dit que si je te le présentais, je ferais d’une pierre deux coups : il saurait que je ne cache pas notre relation et ça serait flatteur pour moi d’avoir au moins une amie qui a, tu vois, un avenir devant elle. »
Le fourgon heurta un nid-de-poule et Sarah fut projetée de nouveau dans l’instant présent. Dean était en train de faire un créneau dans une ruelle miteuse bordée d’une rangée de petites maisons avec des barreaux aux fenêtres.
Sarah sortit son portable et tenta pour la troisième fois d’envoyer un message rapide à sa mère. Mais son portable ne captait toujours aucun réseau. C’était étrange, car ils n’étaient pas en pleine nature mais au centre de Los Angeles.
Dean se gara et Sarah rangea son portable dans son sac à main. Si elle n’avait toujours pas de réseau chez Dean, elle utiliserait sa ligne fixe. Après tout, même si sa mère était plutôt coulante, c’était contraire aux règles de la famille de rentrer plus tard que prévu sans prévenir.
En remontant la petite allée qui menait à la maison, Sarah entendait déjà le rythme assourdi de la musique. Elle fut parcourue d’un sentiment de doute, mais le repoussa.
Dean frappa bruyamment à la porte d’entrée et attendit qu’on ouvre un à un les divers verrous. Finalement, la porte s’entrebâilla pour révéler un jeune homme au visage caché par une masse de longs cheveux emmêlés. Une puissante odeur de cannabis venue de la maison frappa Sarah, si inattendue qu’elle se mit à tousser. Le jeune homme aperçut Dean et le salua d’un coup de poing amical, avant d’ouvrir grand la porte pour les laisser entrer.
Lanie s’avança et Sarah lui emboîta le pas, restant juste derrière elle. L’entrée était séparée du reste de la maison par un grand rideau de velours rouge, rappelant un décor cliché de magicien. Le garçon aux cheveux longs referma la porte derrière eux tandis que Dean tirait le rideau et les guidait vers le salon.
Sarah fut choquée par ce qu’elle y vit. La pièce était remplie de canapés, fauteuils et poufs, et chacun accueillait un couple qui s’embrassait ou bien, dans certains cas, faisait beaucoup plus que cela. Toutes les filles semblaient avoir l’âge de Sarah, et la plupart semblaient sous l’emprise de la drogue. Quelques-unes avaient même l’air inconscientes, ce qui n’empêchait pas leurs partenaires, qui étaient tous plus âgés, de s’en donner à cœur joie. Le vague sentiment d’inquiétude qu’elle avait ressenti en approchant de la maison était de retour, mais cette fois beaucoup plus puissant.
Voilà un endroit où je n’ai aucune envie de rester.
L’air était parcouru des effluves de cannabis, et d’une odeur suave, plus forte, que Sarah ne reconnut pas. Comme à un signal, Dean tendit un joint à Lanie. Celle-ci tira profondément dessus avant de l’offrir à Sarah, qui refusa. Elle avait décidé qu’elle en avait assez de cet endroit qui ressemblait au décor d’un vieux film pornographique.
Elle sortit son portable pour commander un taxi Uber, mais elle n’avait toujours pas de réseau.
« Dean, cria-t-elle pour couvrir la musique, je dois appeler ma mère pour lui dire que je serai en retard, mais je n’ai pas de réseau. Tu as un fixe ?
— Bien sûr. Il y en a un dans ma chambre. Je te montre où c’est », dit-il en esquissant son large sourire chaleureux, avant de se tourner vers Lanie. « Ma poule, tu veux bien me prendre une bière à la cuisine ? C’est par là. »
Lanie hocha la tête et se dirigea où il l’avait indiqué. Dean fit signe à Sarah de le suivre dans un couloir. Elle ne savait pas pourquoi elle avait menti en disant devoir appeler sa mère. Quelque chose, dans cette situation, lui disait que si elle déclarait vouloir partir, ce ne serait pas bien reçu.
Dean ouvrit la porte au fond du couloir et s’effaça pour la laisser entrer. Elle regarda autour d’elle, sans apercevoir de téléphone fixe.
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