Le tueur essayait de dire quelque chose, mais quoi ?
— Que penses-tu de la position ? demanda-t-elle à Lucy.
— Je ne sais pas. Ce n’est pas courant chez les tueurs en série. C’est bizarre.
Elle débute, se rappela Riley.
Lucy n’avait peut-être pas remarqué que les affaires « bizarres » étaient justement la spécialité de Riley et du FBI en général. Pour des agents expérimentés comme Riley et Bill, ce qui était bizarre était devenu la routine.
— Lucy, fais voir la carte.
Lucy fit apparaître la carte sur son écran. Les points indiquaient les endroits où avaient été découverts les deux corps précédents.
— Ce n’est pas loin, dit Lucy. C’est dans un mouchoir de poche de moins de dix miles.
Oui, Lucy avait raison. En revanche, Meara Keagan avait disparu à quelques miles au nord, à Westree.
— Quelqu’un voit quelque chose ? demanda Riley à Lucy et à Bill.
— Pas vraiment, dit Lucy. Le corps de Metta Lunoe était dans un champ, en bordure de Mowbray. Valerie Bruner était le long de l’autoroute. Et maintenant, celle-ci, sur la place d’une petite ville. On dirait que le tueur cherche surtout des endroits qui n’ont rien en commun.
Ce fut alors qu’un cri retentit parmi les badauds.
— Je sais qui c’est ! Je sais qui l’a tuée !
Riley, Bill et Lucy se retournèrent. Un jeune homme gesticulait derrière la rubalise de la police.
— Je sais qui a fait le coup ! s’écria-t-il encore.
Riley détailla du regard l’homme qui criait. Plusieurs personnes autour de lui hochaient la tête et murmuraient, comme pour confirmer.
— Je sais qui a fait ça ! On le sait tous !
— Josh a raison, renchérit une femme non loin de lui. C’est sûrement Dennis.
— C’est un taré, dit un autre. Une bombe à retardement depuis le début.
Bill et Lucy s’approchèrent, mais Riley resta à sa place. Elle appela un policier.
— Faites-le venir, dit-elle.
Il était important de le séparer du groupe. Si tout le monde y allait de sa petite histoire, il serait difficile de démêler le vrai du faux. Dans l’hypothèse où il y avait effectivement du vrai à démêler…
Les journalistes s’agglutinaient déjà autour de l’homme. Riley ne pouvait tout simplement pas l’interroger devant eux.
Le policier leva la barrière de rubalise et fit signe à l’homme.
Il continuait de hurler :
— On sait tous ! On sait qui a fait ça !
— Calmez-vous, dit Riley en le prenant par le bras pour l’éloigner de la foule.
— Demandez à n’importe qui, répéta l’homme d’une voix agitée. C’est un taré. Tout le temps tout seul. Il fait peur aux filles. Il emmerde les femmes.
Riley sortit son calepin, tout comme Bill. Son partenaire avait un regard particulièrement concentré, mais elle savait qu’il ne fallait pas s’emballer. Ils ne savaient encore rien. Et puis, l’homme était si nerveux que Riley n’était pas certaine de faire confiance à son jugement. Elle voulait entendre quelqu’un d’un peu plus neutre.
— Quel est son nom complet ? demanda Riley.
— Dennis Vaughn, dit l’homme.
— Continue, souffla Riley à Bill.
Bill hocha la tête, sans cesser de prendre des notes. Riley s’avança vers le belvédère, où le chef de la police, Aaron Pomeroy, se tenait toujours près du corps.
— Chef Pomeroy, que pouvez-vous me dire sur Dennis Vaughn ?
A l’expression qui traversa le visage du policier, Riley comprit que ce nom n’était que trop familier.
— Qu’est-ce que vous voulez savoir ?
— Vous pensez que c’est un suspect potentiel ?
Pomeroy se gratta les cheveux.
— Maintenant que vous le dites, peut-être. Ça vaut le coup de l’interroger.
— Pourquoi cela ?
— Eh bien, il nous cause des problèmes depuis des années. Exhibitionnisme, comportement obscène, ce genre de trucs. Il y a quelques années, il observait aux fenêtres. Il a passé quelques temps dans le centre psychiatrique du Delaware. L’année dernière, il s’est pris de passion pour une pom-pom girl du lycée. Il lui écrivait des lettres d’amour, il la suivait partout. La famille de la fille s’est débrouillée pour obtenir une injonction du tribunal, mais il l’a ignorée. Du coup, il a fait six mois de prison.
— Il a été relâché ? demanda-t-elle.
— En février.
Cette conversation devenait de plus en plus intéressante. Dennis Vaughn était sorti de prison juste avant les premiers meurtres. Etait-ce une coïncidence ?
— Les filles du coin n’arrêtent pas de se plaindre, dit Pomeroy. Apparemment, il prend des photos d’elles. Ce n’est pas un motif pour l’arrêter. Pas encore, du moins.
— Qu’avez-vous d’autre ? demanda Riley.
Pomeroy haussa les épaules.
— C’est un glandeur, si je puis me permettre. Il a trente ans et il n’a jamais travaillé. Il survit grâce à la famille – des tantes, des oncles, des grands-parents… Il est plutôt grincheux, ces derniers temps. Il en veut à tout le monde en ville, parce qu’il a fait six mois de taule. Il n’arrête pas de répéter : « un de ces jours… ».
— Un de ces jours… quoi ? demanda Riley.
— Personne ne le sait. Les gens disent que c’est une bombe à retardement. Ils ne savent pas ce qu’il a l’intention de faire. Mais il n’a jamais été vraiment violent.
Les pensées de Riley défilaient à toute allure. Etait-ce une piste fiable ?
Pendant ce temps, Bill et Lucy avaient terminé leur interrogatoire. Ils rejoignaient Riley et le chef de la police.
Bill avait l’air anormalement confiant – un changement d’attitude brutal.
— Dennis Vaughn, c’est notre homme, dit-il. Il correspond parfaitement au profil.
Riley ne répondit pas. C’était vrai, mais elle préférait ne pas tirer de conclusions hâtives.
De plus, la certitude dans la voix de Bill la mit mal à l’aise. Depuis qu’elle était arrivée, le comportement de Bill était instable. C’était une affaire très personnelle : il culpabilisait de n’avoir pas su la résoudre plus tôt. Mais son émotion pourrait devenir un problème. Elle avait besoin de s’appuyer sur lui.
Elle se tourna vers Pomeroy.
— Vous pouvez nous dire où le trouver ?
— Bien sûr, dit Pomeroy en pointant le doigt. Remontez la rue principale jusqu’à Brattleboro. Tournez à gauche. Sa maison est la troisième sur la droite.
Riley se tourna vers Lucy :
— Reste là et attends l’équipe des médecins. Ils peuvent emporter le corps. On a assez de photos.
Lucy hocha la tête.
Bill et Riley s’éloignèrent de la scène de crime. Aussitôt, des journalistes s’approchèrent, avec caméras et micros.
— Le FBI a-t-il un commentaire ? demanda l’un d’eux.
— Pas encore, dit Riley.
Elle se pencha pour passer en dessous de la rubalise, puis se faufila entre les badauds.
Un autre journaliste hurla :
— Ce meurtre a-t-il un rapport avec ceux de Metta Lunoe et de Valerie Bruner ?
— Ou avec la disparition de Meara Keagan ?
Riley se crispa. La rumeur n’allait pas tarder à courir qu’un tueur en série sévissait dans le Delaware.
— Pas de commentaire, dit-elle sèchement.
Elle ajouta :
— Si vous nous suivez, je vous fais arrêter pour obstruction à la justice.
Les journalistes reculèrent. Riley et Bill s’éloignèrent. L’affaire attirerait bientôt des journalistes et des équipes de télé plus agressives et aux méthodes douteuses. Ils allaient devoir gérer l’attention médiatique, en plus du reste.
La maison de Dennis Vaughn n’était pas loin. Ils atteignirent Brattleboro et tournèrent à gauche.
Читать дальше