Il plissa les yeux. Tout ce qu’il pouvait voir, c’était la lumière impitoyable, brillante et blanche, lui brûlant la tête. Mon dieu, qu’il avait mal à la tête. Il essaya de gémir et constata, par le biais d’une dose électrique de douleur nouvelle, que sa mâchoire le faisait également souffrir. Sa langue était pâteuse et sèche, comme s’il avait la bouche pleine de pièces. Le goût du sang.
Il réalisa que ses yeux avaient eu du mal à s’ouvrir parce qu’ils étaient réellement collés. Un côté de son visage lui semblait chaud et poisseux. Le sang avait couru depuis son front jusque dans ses yeux, certainement à cause de tous les coups qu’il avait reçus jusqu’à s’évanouir dans l’avion.
En tout cas, il pouvait voir la lumière. On avait donc retiré le sac de sa tête. Qu’il s’agisse ou non d’une bonne chose restait à voir.
Alors que ses yeux tentaient de s’adapter, il essaya de nouveau de bouger les mains, en vain. Elles étaient toujours liées mais, cette fois, il ne s’agissait pas de menottes. Des cordes épaisses et rugueuses les maintenaient en place. Ses chevilles étaient également attachées aux pieds d’une chaise en bois.
Ses yeux finirent par s’habituer à la dureté de la lumière et des contours flous commencèrent à se former. Il se trouvait dans une petite pièce sans fenêtre, aux murs en béton irréguliers. Il faisait chaud et humide là-dedans, assez pour sentir de la sueur lui picoter la nuque, malgré la sensation de froid et d’engourdissement partiel de son corps.
Il ne parvenait pas à ouvrir totalement son œil droit et c’était douloureux d’essayer. Soit il avait pris un coup ici avant, soit ses ravisseurs avaient continué de le frapper alors qu’il était inconscient.
La lumière vive provenait d’une fine lampe d’examen, reposant sur un long pied à roulettes, réglée à sa hauteur et éclairant son visage. L’ampoule halogène brillait violemment. S’il y avait quoi que ce soit au-delà de cette lampe, il ne pouvait pas le voir.
Il tressaillit quand un tintement puissant résonna dans toute la petite pièce : le bruit d’un verrou métallique que l’on fait sauter. Les charnières couinèrent, mais Reid ne voyait pas la porte. Elle se ferma de nouveau dans un bruit dissonant.
Une silhouette barra la lumière, le baignant d’ombre, alors qu’elle se trouvait debout devant lui. Il tremblait, n’osant pas lever les yeux.
“Qui êtes-vous ?” La voix était masculine, légèrement plus aiguë que celle des précédents ravisseurs, mais toujours fortement marquée par un accent du Moyen Orient.
Reid ouvrit la bouche pour parler, pour leur dire qu’il n’était rien de plus qu’un professeur d’histoire, qu’ils faisaient erreur sur la personne, mais il lui revint rapidement en tête que, la dernière fois qu’il avait essayé de le faire, il avait reçu des coups de pied en retour. À la place, un petit gémissement s’échappa de ses lèvres.
L’homme soupira et s’éloigna de la lumière. Quelque chose crissa contre le sol en béton : les pieds d’une chaise. L’homme ajusta la lampe afin que son faisceau s’éloigne légèrement du visage de Reid, puis il s’assit sur la chaise, face à lui, si près que leurs genoux pouvaient presque se toucher.
Reid leva lentement les yeux. L’homme était jeune, trente ans tout au plus, avec la peau foncée et une barbe noire proprement rasée. Il portait des lunettes rondes en métal et un kufi blanc, sorte de casquette ronde sans visière.
L’espoir envahit Reid. Ce jeune homme semblait être un intellectuel, totalement différent des sauvages qui l’avaient attaqué et enlevé. Peut-être pourrait-il négocier avec cet homme. Peut-être que c’était lui le chef…
“On va commencer par quelque chose de simple,” dit l’homme. Sa voix était douce et posée, typiquement le ton qu’un psychologue pourrait employer avec un patient. “Comment vous appelez-vous ?”
“L… Lawson.” Sa voix bégaya dès la première tentative. Il toussa, et fut un peu alarmé en voyant des taches de sang au sol. L’homme qui lui faisait face lui essuya le nez avec dégout. “Je m’appelle… Reid Lawson.” Pourquoi est-ce qu’ils lui demandaient encore son nom ? Il le leur avait déjà dit. Avait-il fait involontairement du tort à quelqu’un ?
L’homme soupira lentement et il sentit son souffle sur son nez. Il posa ses coudes contre ses genoux et se pencha en avant, baissant un peu plus le ton de sa voix. “Il y a beaucoup de gens qui voudraient être dans cette pièce à l’heure actuelle. Heureusement pour vous, il n’y a que vous et moi. Toutefois, si vous n’êtes pas honnête avec moi, je n’aurai pas d’autre choix que d’inviter… d’autres personnes. Et elles ne sont pas aussi compréhensives que moi.” Il se redressa sur sa chaise. “Donc, je vous le demande à nouveau. Quel… est… votre… nom ?”
Comment pouvait-il le convaincre qu’il était bien qui il disait être ? Le cœur de Reid s’emballa quand la dure réalité le frappa comme un coup porté à la tête. Il allait certainement mourir dans cette pièce. “Je vous dis la vérité !” insista-t-il. Soudain, un flot de paroles sortit de sa bouche, comme si un barrage venait de rompre. “Je m’appelle Reid Lawson. S’il vous plait, dites-moi pourquoi je suis ici. Je ne sais pas ce qui se passe et je n’ai rien fait du tout…”
L’homme frappa violemment Reid à la bouche d’un revers de la main. Sa tête en fut fortement secouée. Il émit un gémissement alors que la douleur rayonnait à travers sa lèvre fraîchement fendue.
“Votre nom.” L’homme essuya le sang sur la chevalière en or qu’il portait à la main.
“Je… Je vous l’ai dit,” balbutia-t-il. “M-mon nom est Lawson.” Il étouffa un sanglot. “Je vous en prie.”
Il osa lever les yeux. Son interrogateur l’observait, impassible et froid. “Votre nom.”
“Reid Lawson !” Reid sentit la chaleur envahir son visage alors que la douleur se changeait en colère. Il ne savait pas ce qu’il pouvait dire d’autre, ni ce qu’il voulait qu’il dise. “Lawson ! C’est Lawson ! Vous pouvez vérifier mon… mon…” Non, ils ne pouvaient pas vérifier son identité. Il n’avait même pas son porte-monnaie sur lui quand le trio de musulmans l’avait embarqué.
Son interrogateur fit non de la tête, avant d’enfoncer son poing osseux dans le plexus de Reid. Une nouvelle fois, l’air sortit complètement de ses poumons. Pendant une longue minute, Reid fut incapable de respirer, avant d’y parvenir enfin dans un souffle haletant. Sa poitrine le brûlait vivement. De la sueur perla sur ses joues, brûlant au passage sa lèvre fendue. Sa tête pendait mollement, le menton entre les clavicules, alors qu’il tentait de combattre une vague de nausée.
“Votre nom,” répéta calmement l’interrogateur.
“Je… Je ne sais pas ce que vous voulez me faire dire,” soupira Reid. “Je ne sais pas qui vous cherchez. Mais ce n’est pas moi.” Est-ce qu’il perdait la tête ? Il était pourtant sûr de n’avoir rien fait pour mériter un tel traitement.
L’homme au kufi se pencha de nouveau en avant, relevant cette fois gentiment le menton de Reid avec ses deux doigts. Il lui tourna la tête, forçant Reid à le regarder dans les yeux. Ses fines lèvres s’étiraient en un sourire à moitié grimaçant.
“Mon ami,” dit-il, “la situation va beaucoup, beaucoup empirer avant de s’améliorer.”
Reid déglutit et sentit un goût de cuivre au fond de sa gorge. Il savait que le sang est un vomitif. L’équivalent de deux tasses le ferait vomir, et il se sentait déjà nauséeux et étourdi. “Écoutez-moi,” implora-t-il. Sa voix était tremblante et apeurée. “Les hommes qui m’ont capturé, ils sont venus au 22 Ivy Lane, chez moi. Je m’appelle Reid Lawson. Je suis professeur d’histoire européenne à l’Université de Columbia. Je suis veuf et j’ai deux filles…” Il s’arrêta net. Jusqu’ici, ses ravisseurs n’avaient donné aucun indice de leur connaissance ou non de l’existence des filles. “Si ce n’est pas ça que vous cherchez, alors je ne peux rien pour vous. Je vous en prie. C’est la vérité.”
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