La fête battait son plein et des chopes supplémentaires passaient de main en main, deux fois plus qu’auparavant. Les McClouds ne ralentissaient pas, comme auraient pu le faire d’autres soldats. Au contraire, ils buvaient davantage. Beaucoup trop. La nervosité commençait à gagner Godfrey…
— Tu penses qu’un homme peut boire trop ? demanda-t-il à Akorth.
Akorth s’étouffa presque.
— Une question sacrilège ! éructa-t-il.
— Qu’est-ce qui te prend ? demanda Fulton.
Mais Godfrey regardait maintenant un McCloud tituber au milieu d’un groupe de soldats et les bousculer. Il y eu un court silence, comme toute la pièce se tournait vers eux… Toutefois, les soldats se contentèrent de se relever en riant bruyamment, au grand soulagement de Godfrey, et la fête reprit son cours.
— Vous ne pensez pas qu’ils ont assez bu ? demanda encore Godfrey qui commençait à penser que tout ceci n’était pas une si bonne idée que ça.
Akorth lui jeta un regard vide.
— Assez ? répéta-t-il. C’est possible de boire assez ?
Godfrey, lui aussi, commençait à avaler ses mots. Il n’avait plus les idées aussi claires qu’il l’aurait souhaité. Cela ne l’empêchait pas de sentir que la situation venait de s’inverser sensiblement, comme si quelque chose n’était plus à sa place… Comme si les convives venaient de perdre tout savoir-vivre.
— Ne la touche pas ! hurla soudain une voix. Elle est à moi !
Le ton de cette voix était sombre et dangereux, tranchante au milieu des rires, et Godfrey se retourna brusquement.
De l’autre côté du hall, un soldat MacGil se disputait avec un McCloud. Celui-ci saisit par le poignet la fille qui se trouvait sur les genoux de son vis-à-vis et l’attira violemment vers lui.
— Elle était à toi. Maintenant, elle est à moi ! Trouve-toi une autre femme !
L’expression du MacGil s’assombrit et il tira son épée. Le chuintement caractéristique de la lame quittant le fourreau retentit, attirant tous les regards.
— J’ai dit : elle est à moi ! cria-t-il.
Son visage était écarlate et ses cheveux mouillés de sueur. Toute la salle resta suspendue à ses lèvres, car une lueur mortelle brillait dans son regard. Un silence tomba sur l’assemblée et les deux clans se regardèrent et s’observèrent, comme pétrifiés.
Le McCloud, un homme large et costaud, fit la grimace et repoussa violemment la femme sur le côté. Elle tituba à travers la foule, avant de tomber.
Il était évident que le McCloud ne se souciait pas vraiment d’elle. Ce qu’il voulait, c’était un bain de sang.
Il tira à son tour son épée et fit face à son adversaire.
— J’aurai ta vie à sa place ! s’écria-t-il.
Les soldats reculèrent autour d’eux, formant une sorte d’arène de combat. Godfrey sentait que l’ambiance était maintenant beaucoup plus tendue. S’il ne les arrêtait pas, cette rixe se transformerait en guerre ouverte.
Il sauta par-dessus la table en renversant les chopes de bière, courut à travers le hall jusqu’à l’attroupement et se glissa entre les deux hommes, les bras tendus pour les séparer.
— Messieurs ! s’écria-t-il en tâchant d’articuler.
Il fallait qu’il se concentre, qu’il s’éclaircisse l’esprit. Comme il regrettait maintenant d’avoir bu tout ce vin !
— Nous sommes tous des hommes, ici ! cria-t-il. Nous ne sommes qu’un peuple ! Une armée ! Nul besoin de se battre ! Il y a assez de femmes pour tout le monde. Vous ne pensiez pas ce que vous disiez, ni l’un, ni l’autre !
Godfrey se tourna vers le MacGil qui fronça les sourcils, l’épée toujours au poing.
— S’il présente ses excuses, je les accepterai, dit l’homme.
Le McCloud resta hagard un instant, puis son expression s’adoucit et il esquissa un sourire.
— Eh bien, je te présente mes excuses ! s’écria-t-il en tendant la main droite.
Godfrey fit un pas en arrière pour laisser le MacGil accepter cette main tendue d’un air circonspect.
Soudain, le McCloud attira brusquement son vis-à-vis contre lui, leva son épée et le poignarda en pleine poitrine.
— Je m’excuse, ajouta-t-il, de ne pas t’avoir tué plus tôt ! Ordure MacGil !
Sa victime s’écroula, inondant le parquet de son sang.
Mort.
Godfrey resta bouche bée. Il ne se trouvait qu’à quelque pas des deux hommes. Il ne put s’empêcher de penser que tout était de sa faute. Il avait encouragé le MacGil à baisser sa garde. Il lui avait offert de faire la paix. Ce McCloud les avait trahis et l’avait ridiculisé devant ses hommes.
Godfrey n’avait plus les idées claires. Échauffé par la boisson, il eut le réflexe de ramasser l’épée du MacGil mort. Vif comme l’éclair, il fit un pas en avant et plongea sa lame dans le cœur du McCloud.
Celui-ci écarquilla les yeux, choqué par son geste, puis il tomba lentement à genoux, mort, l’épée plantée jusqu’à la garde dans sa poitrine.
Godfrey baissa les yeux vers sa main ensanglantée, comme s’il ne pouvait y croire. Il venait de tuer un homme, pour la première fois. Il n’aurait jamais cru cela possible.
Il n’avait jamais eu l’intention de le tuer. Il n’y avait même pas réfléchi. Quelque chose d’enfoui au plus profond de son être avait crié vengeance.
Le chaos tomba soudain sur le hall. De tous côtés, les hommes se jetèrent les uns sur les autres, enragés. Le chuintement des épées quittant les fourreaux emplit la pièce. Godfrey sentit Akorth le pousser brusquement sur le côté juste avant qu’une lame ne lui traverse la tête.
Un autre soldat, qu’il ne reconnaissait même pas, le jeta à travers la table et la tête de Godfrey heurta un nombre incalculable de chopes de bière avant d’atterrir lourdement sur le sol, assommé. Il eut tout juste le temps de penser qu’il aurait préféré se trouver ailleurs.
Dans sa chaise roulante, Guwayne entre ses bras, Gwendolyn se prépara mentalement quand les domestiques ouvrirent les portes devant elle, cédant le passage à Thor qui poussa son fauteuil dans la chambre de sa mère malade. Les gardes de la Reine s’inclinèrent devant elle et Gwen serra plus fort son bébé au moment de pénétrer dans la pièce engloutie sous les ténèbres. Tout y était silencieux, étouffant, oppressant. Des torches éclairaient faiblement ce lieu qui sentait la mort.
Guwayne, pensa-t-elle. Guwayne. Guwayne.
Elle répéta le nom de son fils dans sa tête, encore et encore, pour focaliser son attention sur autre chose que sa mère mourante. Ce nom lui apportait du réconfort et réchauffait son âme. Guwayne. L’enfant du miracle. Elle l’aimait déjà plus qu’elle n’aurait su le dire.
Gwen tenait à ce que sa mère le voie avant de mourir. Elle voulait que sa mère soit fière d’elle et obtenir sa bénédiction. Elle devait se l’avouer à elle-même. Malgré leur relation passée, Gwen voulait faire la paix avant qu’il ne soit trop tard. Elle était fragile en ce moment et le fait qu’elle se soit rapprochée de sa mère ces derniers mois ne faisait que rendre cette épreuve plus difficile encore.
Son cœur se serra quand les portes se refermèrent derrière elle. Elle balaya la pièce du regard et vit une douzaine de serviteurs au chevet de sa mère : des membres de la vieille garde qu’elle reconnut et qui avaient autrefois gardé son père. La chambre était remplie de monde. Cela ressemblait déjà à une veillée funèbre. Bien sûr, Hafold, la fidèle servante, se tenait au plus près du lit, prête à repousser tous les intrus, comme elle l’avait fait toute sa vie.
Thor poussa le fauteuil de Gwendolyn plus près du lit. Gwen voulait se lever pour embrasser sa mère mais tout son corps lui faisait mal et elle savait qu’elle en était incapable.
Читать дальше