— Que proposes-tu ?
Thor y réfléchit.
— Un nom qui sonne comme le tien. Le fils de Gwendolyn devrait s’appeler… Guwayne.
Gwen sourit. Le nom lui plut immédiatement.
— Guwayne, répéta-t-il. Cela me plait.
Elle adressa un large sourire au bébé qu’elle serrait contre elle.
— Guwayne, lui souffla-t-elle.
Guwayne ouvrit à nouveau les yeux et planta son regard dans le sien. Gwen aurait pu jurer qu’elle l’avait vu sourire. Il était bien trop jeune pour cela, mais il lui semblait bien avoir vu une lueur de quelque chose… Elle fut soudain convaincue qu’il aimait son nom.
Selese appliqua un baume sur les lèvres de Gwen et lui donna à boire un liquide épais et sombre. La souveraine se redressa immédiatement, comme régénérée.
— Combien de temps suis-je restée là ? demanda-t-elle.
— Vous dormez depuis presque deux jours, Madame, dit Illepra. Depuis la grande éclipse.
Gwen ferma les yeux et tous ses souvenirs lui revinrent. L’éclipse, la grêle, le tremblement de terre… Elle n’avait jamais rien vu de pareil.
— Des présages puissants se sont fait entendre pendant la naissance de notre enfant, dit Thor. Le royaume tout entier en est témoin. On parle déjà de lui partout.
Gwen serra un peu plus fort le bébé contre elle et sentit une vague de chaleur la recouvrir. Il était vraiment unique… Tout son corps chantait quand elle le tenait dans ses bras. Ce n’était pas un enfant ordinaire. Quels pouvoirs couraient dans ses veines ?
Elle leva des yeux interrogateurs vers Thor. L’enfant était-il un druide, lui aussi ?
— Es-tu resté là pendant tout ce temps ? lui demanda-t-elle.
Elle ressentit un élan de gratitude à son égard.
— Bien sûr, Madame. Je suis venu dès que j’ai su. Sauf la nuit dernière : je suis allé au Lac des Chagrins. J’ai prié pour que tu recouvres la santé.
Gwen éclata encore une fois en sanglots, incapable de contrôler ses émotions. Elle n’avait jamais été si heureuse : son enfant dans ses bras, elle se sentait plus entière que jamais auparavant.
Bien malgré elle, elle pensa à ce moment fatidique, dans les Limbes, et au choix qu’elle avait été forcée de faire. Elle serra la main de Thor et le bébé. Elle aurait voulu les garder tous les deux près d’elle jusqu’à la fin des temps.
Cependant, l’un d’eux serait un jour contraint de mourir. Elle le savait et cette pensée la fit pleurer.
— Qu’y a-t-il, mon amour ? demanda enfin Thor.
Gwen secoua la tête, incapable de lui avouer la vérité.
— Ne t’inquiète pas, dit-il. Ta mère vit encore. Si c’est bien pour cela que tu pleures.
Gwen se rappela soudain l’état de sa mère.
— Elle est très malade, ajouta Thor, mais tu as encore le temps de la voir.
Gwen sut alors ce qu’elle devait faire.
— Je dois la voir, dit-elle. Emmène-moi tout de suite.
— Vous êtes sûre, Madame ? demanda Selese.
— Dans votre état, vous ne devriez pas bouger, ajouta Illepra. Votre accouchement n’était pas facile et vous devriez vous reposer. Vous avez de la chance d’être en vie.
Gwen secoua la tête, inflexible.
— Je verrai ma mère avant sa mort. Conduisez-moi à elle. Tout de suite.
Godfrey était attablé au milieu d’une longue table, dans le hall des fêtes, une chope de bière dans chaque main, et chantait en compagnie d’un groupe de MacGils et de McClouds qui frappaient la cadence avec leurs verres. Ensemble, ils se balançaient de gauche à droite, tout en ponctuant chaque vers d’un coup de chope sur la table. La mousse dégoulinait sur leurs avant-bras, mais Godfrey n’en avait cure. Il était occupé à boire, comme chaque soir depuis une semaine. Il se sentait bien.
Fulton et Akorth étaient assis à ses côtés et, quand il balayait du regard les buveurs sur la gauche et sur la droite, il avait la satisfaction de voir les anciens ennemis, les MacGils et les McClouds, boire tous ensemble. Pour arriver à ce résultat, Godfrey avait longuement parcouru les campagnes. Au début, les hommes s’étaient méfiés de lui et de son projet mais, quand Godfrey avait dégainé les tonneaux de bière, puis les filles faciles, ils avaient commencé à venir.
Quelques hommes, méfiants d’abord, s’étaient assis d’une part et d’autre des longues tables… Godfrey avait ensuite réussi à remplir le hall des fêtes perché au sommet des Highlands et ces hommes méfiants avaient commencé à communiquer. Rien n’était plus efficace que l’attrait de la boisson pour rassembler les hommes.
Ce qui avait achevé de sceller l’amitié de tous, c’était l’arrivée des femmes. Godfrey avait utilisé son réseau des deux côtés des Highlands pour vider les bordels et payer généreusement les filles. Elles emplissaient maintenant le hall, la plupart d’entre elles sur les genoux d’un soldat. Les hommes étaient satisfaits. Les filles généreusement payées étaient satisfaites. Tout le hall était satisfait et résonnait des cris de joie des anciens ennemis qui préféraient la boisson et les femmes à la querelle.
Au cours de la soirée, Godfrey surprit même des bavardages entre MacGils et McClouds qui prévoyaient de faire les patrouilles ensemble. C’était ce lien d’amitié que Gwendolyn souhaitait voir naître entre les anciens ennemis. C’était la mission qu’elle avait confiée à Godfrey et il était fier de l’avoir accomplie. Sans compter qu’il s’amusait bien, lui aussi. Il avait tant bu que ses joues commençaient à rougir. Cette bière McCloud était décidément très forte… Elle montait à la tête en un rien de temps.
Godfrey savait qu’il y avait bien des façons de renforcer une armée, de rassembler les soldats et de régner : la politique, le gouvernement et l’application des lois, par exemple. Cependant, aucun de ces outils ne permettait de toucher le cœur des hommes. Godfrey avait peut-être des défauts, mais il savait toucher le cœur de n’importe quel homme. Il était n’importe quel homme. Il avait peut-être le sang bleu de la famille royale, mais son cœur battait au milieu du peuple. Sa vision de la vie était née dans la rue, celle que les chevaliers en armures rutilantes ne fréquentaient pas. Godfrey admiraient leur élégance… mais il considérait également que vivre sans cette qualité présentait certains avantages. Il avait un certain regard sur l’humanité. Parfois, il en avait besoin pour comprendre le peuple. Après tout, c’était au moment où les souverains perdaient le contact avec le peuple qu’ils commettaient leurs plus grandes erreurs.
— Pas de doute : ces McClouds savent boire ! dit Akorth.
— Ils ne me déçoivent pas, ajouta Fulton en attrapant les deux chopes de bière qui glissaient vers eux.
— Cette bière est très forte ! commenta Akorth en laissant échapper un rot sonore.
— Notre ville natale ne me manque pas du tout ! ajouta Fulton.
Godfrey reçut alors quelques coups de coude et se retourna vers un groupe de soldats McClouds visiblement très éméchés qui titubaient et riaient trop fort en lutinant des filles. Godfrey commençait à comprendre que ces McClouds étaient un peu plus rustiques que les MacGils. Les MacGils étaient de féroces guerriers, mais les McClouds… Parfois, ils semblaient moins civilisés. En balayant la pièce de son regard observateur, Godfrey remarqua qu’ils serraient les femmes ou frappaient la cadence avec leurs chopes un peu trop fort et se poussaient les uns les autres avec violence. Il y avait quelque chose chez eux qui maintenait Godfrey en alerte, même après tout ce temps passé en leur compagnie. Pour dire la vérité, il ne leur faisait pas entièrement confiance. Plus il les fréquentait, plus il comprenait pourquoi ces deux clans avaient vécu si longtemps séparément. Seraient-ils un jour capables de s’unir ?
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