Il ne pouvait s’empêcher de le croire. Leur rencontre ressemblait à un signe du destin. Peut-être sa dernière chance avant de se marier…
— Ceux que le destin réunit, l’homme ne peut les séparer, dit Stara.
Ses mots trouvèrent un écho dans le cœur de Reece, qui plongea son regard dans le sien, comme hypnotisé.
— Tant d’événements ont essayé de nous éloigner l’un de l’autre, dit Stara. Nos clans. Nos pays. Un océan. Le temps… Mais rien de tout cela n’a pu nous séparer. Les années ont passé, mais notre amour brûle toujours. Est-ce une coïncidence que tu m’aperçoives avant ton mariage ? Le destin veut nous dire quelque chose. Il n’est pas trop tard.
Reece se tourna vers elle, le cœur battant. Les yeux translucides de Stara réfléchissaient la couleur du ciel et de l’océan, remplis d’amour. Il ne savait plus que faire… Il n’arrivait plus à penser.
— Peut-être que je devrais annuler mes noces, dit-il.
— Ce n’est pas à moi de te le dire, répondit-elle. Tu dois trouver la réponse dans ton cœur.
— Ici et maintenant, mon cœur me dire que tu es la seule femme que j’aime. La seule que j’ai jamais aimée.
Elle plongea son regard sincère dans le sien.
— Je n’en ai jamais aimé un autre, dit-elle.
Reece ne put se retenir : il pencha la tête et ses lèvres trouvèrent celles de Stara. Le monde disparut autour d’eux, remplacé par l’amour, quand elle répondit à son baiser.
Ils s’embrassèrent jusqu’à en avoir le souffle coupé. Reece comprit alors, malgré toutes les protestations de sa raison, qu’il ne pourrait jamais épouser une autre femme que Stara.
Gwendolyn se tenait sur un pont doré. Agrippée à la rambarde, elle se penchait par-dessus bord pour apercevoir les bouillons furieux de la rivière sous ses pieds. Les rapides grondaient et les vagues s’élevaient de plus en plus haut. Elle sentait déjà les gouttes mouiller ses jambes.
— Gwendolyn, mon amour.
Gwen se retourna et vit Thorgrin debout sur la rive, environ six mètres plus loin. Il souriait et tendait la main vers elle.
— Viens à moi, supplia-t-il. Traverse la rivière.
Soulagée de le voir, Gwen commença à marcher vers lui, mais une petite voix douce l’arrêta :
— Mère…
Gwen fit volte-face. De l’autre côté, sur l’autre rive, se trouvait un petit garçon d’environ dix ans, aux yeux gris, grand pour son âge, fier, large d’épaules, la mâchoire volontaire. À l’image de son père. Il portait une magnifique armure dorée, faite d’un métal qu’elle ne reconnut pas, et des armes de guerrier à la ceinture. Une aura de pouvoir émanait de lui. Un pouvoir que rien ne pourrait arrêter.
— Mère, j’ai besoin de toi, dit-il.
Le garçon tendit la main vers elle et Gwen fit instinctivement un pas vers lui, avant de s’arrêter net. Elle fit courir son regard entre Thor et son fils, comme tous deux tendaient les bras vers elle, déchirée par le choix. Où aller ?
Soudain, le pont s’écroula sous elle.
Elle poussa un cri strident en plongeant dans les rapides.
La température glacée de l’eau la transperça comme un coup de couteau et elle se débattit pour échapper au courant, la bouche ouverte à la recherche de l’air. Elle leva les yeux vers son fils et son mari, chacun debout sur une rive de la rivière. Ils lui tendaient la main. Ils avaient besoin d’elle.
— Thorgrin ! hurla-t-elle avant d’ajouter : Mon fils !
Elle tenta d’agripper leurs deux mains mais, bientôt, le courant la fit basculer dans une cascade.
Elle poussa un cri en perdant de vue ses êtres chers et en dégringolant vers les récifs acérés.
Gwen s’éveilla en hurlant.
Couverte d’une pellicule de sueur froide, elle balaya la pièce du regard, en se demandant où elle se trouvait.
Elle était étendue dans un lit, au milieu d’une chambre de château faiblement éclairée par des torches. Elle cligna des yeux plusieurs fois, en tâchant de comprendre, le souffle court. Lentement, elle réalisait que tout ceci n’avait été qu’un rêve. Un horrible cauchemar.
Ses yeux s’ajustèrent à l’obscurité et elle remarqua les domestiques. Illepra et Selese étaient à son chevet et faisaient courir des compresses froides sur ses bras et ses jambes. Selese épongeait tendrement son front.
— Chut…, souffla-t-elle. Ce n’était qu’un rêve, Madame.
Gwendolyn sentit une main serrer la sienne et son cœur déborda de joie quand elle aperçut Thorgrin à genoux près d’elle, visiblement heureux de la voir réveillée.
— Mon amour, dit-il. Tu vas bien.
Gwendolyn cligna des yeux. Que faisait-elle ici ? Pourquoi était-elle alitée ? Que faisaient tous ces gens ici ? Soudain, quand elle essaya de bouger, une douleur terrible transperça son ventre et elle se souvint.
— Mon bébé ! s’écria-t-elle d’une voix enfiévrée. Où est-il ? Il est en vie ?
Désespérée, Gwen fouilla du regard les visages. Thor serra sa main pour la réconforter et lui adressa un large sourire. Elle sut alors que tout allait bien, comme si toute sa vie se réchauffait devant la chaleur de son sourire.
— Il est en vie, répondit Thor. Grâce à Dieu. Et grâce à Ralibar. Il vous a ramenés jusqu’ici en volant, juste à temps.
— Il va très bien, ajouta Selese.
Soudain, un cri retentit et Gwendolyn leva les yeux vers Illepra qui s’avançait en tenant un bébé emmailloté dans les bras.
Une vague de soulagement la submergea et elle éclata en sanglots hystériques. Des chaudes larmes de joie se mirent à couler le long de ses joues. Le bébé était en vie. Elle était en vie. Ils avaient tous les deux survécu. D’une manière ou d’une autre, ils étaient sortis de ce cauchemar.
Elle n’avait jamais ressenti une telle gratitude de toute sa vie.
Illepra se pencha et plaça le bébé sur la poitrine de Gwen.
Celle-ci s’assit sur son séant pour l’examiner. En le touchant, elle eut l’impression de renaître. Son poids entre ses bras, son odeur, son visage… Elle le berça, tout en le serrant contre elle, tout emmailloté dans ses couvertures. Des vagues d’amour et de reconnaissance la traversaient. Elle pouvait à peine y croire : elle avait un enfant.
Déposé entre ses bras, le bébé cessa soudain de pleurer et demeura silencieux. Lentement, il ouvrit ses paupières et leva les yeux vers sa mère.
Un éclair d’émotion transperça Gwen quand leurs regards se croisèrent. Le bébé avait les yeux de Thor : des yeux gris brillants qui semblaient venir d’un autre monde. Ils se plantèrent au plus profond d’elle. Gwendolyn eut soudain l’impression qu’elle le connaissait depuis longtemps. Depuis toujours.
Elle sentit un lien puissant se nouer entre eux, plus puissant que tout ce qu’elle connaissait. Elle le serra fort et se promit de ne jamais l’abandonner. Pour lui, elle marcherait sur des charbons ardents s’il le fallait.
— Il te ressemble, mon amour, lui dit Thor en souriant et en se penchant vers son fils.
Gwen sourit à son tour, le visage mouillé de larmes d’émotion. Elle n’avait jamais été aussi heureuse. Voilà tout ce qu’elle avait toujours voulu : Thorgrin, leur enfant et elle-même, tous trois réunis.
— Il a tes yeux, répondit-elle.
— Mais il n’a pas encore de nom…, dit Thor.
— Peut-être que nous devrions lui donner le tien, proposa Gwen.
Thor secoua la tête, inflexible.
— Non. C’est le fils de sa mère. Il a tes traits. Un véritable guerrier devrait toujours garder avec lui l’esprit de sa mère et le talent de son père. Il a besoin des deux. Il aura mon talent militaire, mais il devrait avoir un nom semblable au tien.
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