Madame Belfry sursauta, n’ayant manifestement pas réalisé que l’un de ses élèves était entré.
— Oh, Oliver, dit-elle, radieuse. Bonjour. Oui, c’est ça. Bon, je suppose que vous connaissez une chose ou deux au sujet de ce type d’invention.
Oliver acquiesça. Son livre sur les inventeurs contenait toute une section sur le vol, depuis les premiers ballons inventés par les frères français Montgolfier, en passant par les premiers avions conçus par les frères Wright et jusqu’à la science des fusées. Comme le reste des pages du livre, il avait lu cette section tellement de fois qu’il l’avait en grande partie mémorisée.
Madame Belfry sourit comme si elle avait déjà deviné qu’Oliver serait une source de connaissances sur ce sujet en particulier.
— Vous devrez peut-être m’aider à expliquer certaines des caractéristiques physiques aux autres, lui dit-elle.
Oliver rougit en prenant place. Il détestait parler à haute voix devant ses camarades de classe, d’autant plus qu’il était déjà soupçonné d’être un intello et qu’il avait l’impression de faire étalage de ses connaissances plus qu’il ne le voulait vraiment. Mais madame Belfry avait quelque chose de très apaisant, comme si elle pensait que le savoir d’Oliver était quelque chose devant être encouragé plutôt que ridiculisé.
Oliver choisit une table près de l’avant de la classe. S’il devait être contraint de parler à voix haute, il préfèrerait ne pas avoir trente paires d’yeux qui le fixaient par-dessus leur épaule. Au moins, de cette façon, il n’aurait pas conscience des quatre autres rangées d’enfants devant lui qui le regarderaient.
Juste à ce moment, les camarades de classe d’Oliver commencèrent à arriver et à prendre place. Le bruit dans la pièce commença à monter. Oliver n’avait jamais compris comment les autres pouvaient avoir tant de choses à dire. Même s’il pouvait parler des inventeurs et des inventions pendant une éternité, il ne ressentait pas beaucoup le besoin de discuter à propos d’autres sujets. Il était toujours dérouté de voir comment les autres personnes parvenaient à mener aussi aisément une conversation et comment elles échangeaient tant de mots sur ce qui, à son avis, semblait si insignifiant.
Madame Belfry entama son cours en agitant les bras pour faire taire tout le monde. Oliver se sentait mal pour elle. Amener les enfants à écouter semblait toujours être une bataille pour elle. Et elle était si douce et si posée qu’elle ne se résolvait jamais à élever la voix ou à crier. Ses tentatives de faire taire tout le monde prenaient donc beaucoup de temps. Mais enfin les bavardages finirent par se tarir.
— Aujourd’hui, les enfants, commença madame Belfry, J’ai un problème qui doit être résolu. Elle brandit un bâtonnet de glace. Je me demande si quelqu’un peut me dire comment faire voler ceci.
Un brouhaha fit le tour de la pièce. Quelqu’un cria :
— Il suffit de le jeter !
Madame Belfry fit comme suggéré. Le bâtonnet parcourut moins de soixante centimètres avant de tomber au sol.
— Hm, je ne sais pas pour vous, dit madame Belfry, mais pour moi, cela ressemblait à une chute. Je veux qu’il vole. Qu’il s’envole dans les airs, et non pas qu’il pique vers le sol.
Paul, celui qui s’était moqué d’Oliver lors du dernier cours, cria la suggestion suivante.
— Pourquoi est-ce que vous ne le lancez simplement pas avec un élastique ? Comme avec une fronde.
— C’est une bonne idée, dit madame Belfry avec un signe de tête. Mais je ne vous ai pas dit une chose. Ce bâton mesure en réalité trois mètres de long.
— Alors faites une catapulte de trois mètres de large ! cria quelqu’un.
— Ou mettez des lanceurs de fusée dessus ! dit une autre voix.
La classe se mit à rire. Oliver s’agita sur sa chaise. Il savait exactement comment le bâtonnet de glace pouvait voler. Tout se résumait à la physique.
Madame Belfry parvint à ramener le calme dans la classe.
— Ceci est exactement le problème auquel les frères Wright ont été confrontés lorsqu’ils ont essayé de créer le premier avion. Comment imiter le vol des oiseaux. Comment transformer ceci – elle leva le bâton horizontalement – en ailes pouvant permettre le vol. Alors, est-ce que quelqu’un sait comment ils l’ont fait ?
Son regard se posa immédiatement sur Oliver. Il déglutit. Bien qu’il ne souhaitât pas parler à voix haute, une autre partie de lui voulait désespérément prouver à madame Belfry à quel point il était intelligent.
— Vous devez créer de la portance, dit-il doucement.
— Pardon ? dit madame Belfry, même si Oliver savait très bien qu’elle l’avait parfaitement entendu.
Avec réticence, il parla un peu plus fort. Vous devez créer de la portance.
À peine avait-il terminé sa phrase qu’Oliver sentit ses joues rougir. Il sentit le changement dans la pièce, la tension des autres élèves autour de lui. Lui qui ne voulait pas avoir trente paires d’yeux qui l’observaient ; il pouvait pratiquement les sentir brûler dans son dos.
— Et qu’est-ce que la portance ? poursuivit madame Belfry.
Oliver humecta ses lèvres sèches et ravala son angoisse. La portance est le nom de la force qui s’oppose la gravité. La gravité entraîne toujours les objets vers le centre de la terre. La portance est la force qui la neutralise.
Quelque part derrière, il entendit la voix de Paul chuchoter dans un gémissement feint en l’imitant : la portance la neutralise.
Des éclats de rire se propagèrent parmi les élèves derrière lui. Oliver sentit ses muscles se raidir défensivement en réponse.
Madame Belfry était clairement inconsciente des moqueries silencieuses qu’Oliver subissait.
— Hm, dit-elle, comme si tout cela était nouveau pour elle. Cela semble compliqué. Contrer la gravité ? N’est-ce pas impossible ?
Oliver s’agitait sur sa chaise, mal à l’aise. Il voulait vraiment arrêter de parler, que les murmures lui laissent un petit répit. Mais à l’évidence, personne d’autre ne connaissait la réponse, et madame Belfry le regardait de ses yeux pétillants et encourageants.
— Pas du tout, répondit Oliver, mordant finalement à l’hameçon. Pour créer de la portance, tout ce que vous avez à faire est de modifier la vitesse à laquelle l’air circule autour d’un objet, ce que vous pouvez faire simplement en modifiant sa forme. Donc, pour votre bâtonnet, vous avez juste besoin d’une crête sur le dessus. Cela signifie que lorsque le bâton avance, l’air qui circule au-dessus et au-dessous a des trajectoires différentes. Le chemin est incurvé sur le côté bossu de l’aile, tandis que sous l’aile, le chemin est plat et ininterrompu.
Oliver finit de parler et serra immédiatement les lèvres. Non seulement il avait répondu à sa question, mais il était allé bien au-delà en l’expliquant. Il s’était laissé emporter et maintenant on allait se moquer impitoyablement de lui. Il s’y prépara mentalement.
— Pourriez-vous le dessiner pour nous ? demanda madame Belfry.
Elle tendit une craie à Oliver. Il la regarda, les yeux écarquillés. Parler était une chose, mais se tenir debout devant tout le monde comme une cible en était une autre !
— Je préférerais ne pas le faire, murmura-t-il en coin.
Une lueur compréhensive passa dans l’expression de madame Belfry. Elle devait avoir compris qu’elle l’avait poussé à la limite de sa zone de confort, au-delà même de celle-ci, et ce qu’elle lui demandait maintenant était impossible.
— En fait, dit-elle en reprenant la craie et en reculant, peut-être que quelqu’un d’autre voudrait essayer de dessiner ce qu’Oliver a expliqué ?
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