Il ne savait pas où étaient les ennemis. Il ne savait pas combien pourraient arriver vers eux à l’instant même. Emeline les menait en utilisant ses pouvoirs pour reconnaître les hommes de la Nouvelle Armée, mais Sebastian n’avait aucun moyen de savoir si certains d’eux n’allaient pas échapper à la vigilance d’Emeline et les attaquer de nulle part.
— Faites-lui confiance, murmura Asha de derrière lui. Emeline nous fera passer.
Sebastian entendait la fatigue dans sa voix. Quand il la regarda, il vit qu’elle avait de la sueur qui lui perlait au front et que sa main serrait fortement le cœur de pierre pris à Stonehome.
— Vous allez bien ? lui demanda Sebastian. Il ne savait pas ce qui se passerait si Asha perdait sa concentration et si le brouillard se dissipait autour d’eux. Si le Maître des Corbeaux les voyait maintenant …
— Je tiendrai bon, lui promit Asha, qui avait encore lu dans les pensées de Sebastian ; toutefois, ce dernier ne lui en tint même pas rigueur. Pour assurer sa sécurité, je tiendrai bon.
Sa sécurité. Celle de Violette, sa fille. Elle était avec Cora, maintenant, et elle était calme. Elle gargouillait un peu, mais elle ne pleurait pas et ne réagissait pas non plus à la violence qui les entourait. Sebastian aurait fait n’importe quoi pour la protéger, mais il devait admettre qu’il trouvait étrange qu’une personne comme Asha ait le même désir.
— Avec tout ce qu’elle est destinée à être ? dit Asha. Je ferai tout ce que je pourrai pour la protéger. Je mourrais pour la protéger s’il le fallait.
Sebastian détestait l’idée que tout le monde pense que sa fille avait une destinée sur laquelle elle n’avait aucun pouvoir. Pourtant, pour l’instant, il était difficile de contester la détermination extrême d’Asha à protéger Violette.
Ils continuèrent à avancer dans le brouillard qui obscurcissait tout autour d’eux. Sebastian distinguait juste Cora et Emeline devant son cheval. Quant aux autres habitants de Stonehome, ils n’étaient guère plus que des ombres dans le brouillard, qui atténuait les sons de la bataille et rendait les cris et le fracas du métal sur le métal distants et irréels.
Alors, la bataille devint beaucoup trop réelle quand deux hommes approchèrent d’eux en trébuchant. C’étaient deux soldats de la Nouvelle Armée et leurs uniformes ocres étaient éclaboussés par le sang des gens qu’ils avaient déjà tués. Ils fixèrent du regard Sebastian et les autres, tentant visiblement de comprendre sur qui ils venaient de tomber.
Sebastian réagit sans réfléchir. Il envoya un coup d’épée au premier. Comme Asha et Emeline avaient besoin de se concentrer pendant que Cora tenait Violette, il ne restait que Sebastian pour agir. Il taillada le plus proche des hommes avant qu’il n’ait pu lever son épée. Il sentit l’acier passer au travers de la chair de l’homme, briser sa clavicule et entendit l’homme crier pendant que l’air s’échappait de ses poumons. Le sang gicla et l’homme tomba, arrachant presque l’épée de Sebastian de sa main.
Le second homme réussit à lever un mousquet pendant que Sebastian dégageait son épée et Sebastian vit qu’il le visait avec. Il descendit précipitamment de son cheval et entendit la détonation de l’arme résonner dans le brouillard d’une façon qui sembla remplir tout l’espace.
Sebastian sentit l’impact du sol et, l’espace d’un instant, son épée tomba de sa main. Il roula et le soldat qui l’attaquait lui envoya un coup de baïonnette. Sebastian donna un coup de pied qui heurta l’homme au genou puis tomba avec lui, donnant des coups de poing et de coude jusqu’à arriver à se dégager. Il chercha l’épée par terre et sentit le soldat l’arrêter d’un coup de pied.
— Le Maître des Corbeaux me récompensera quand je vous emmènerai à lui, dit le soldat. Il leva son mousquet et la baïonnette par-dessus Sebastian. Et le mieux, c’est que ça m’est égal que tu sois vivant ou mort.
Sebastian essaya encore d’attraper son épée et sentit sa main se refermer autour de sa garde. Il frappa aveuglément vers le haut et sentit l’épée s’enfoncer dans de la chair. Le soldat resta là, regardant l’épée sortir de son torse, puis tomba en arrière. Sebastian se releva non sans difficulté.
— Dépêchez-vous ! appela Emeline. Ils se rapprochent. Ils ont dû entendre le combat.
Sebastian se traîna jusqu’au cheval et monta dessus.
— Nous allons devoir bouger vite, dit Emeline. Ne vous éloignez pas.
Sebastian la vit faire avancer son cheval du talon et eut du mal à suivre tous les méandres qu’elle décrivit. Emeline avait l’avantage de savoir où se trouvaient les soldats de la Nouvelle Armée alors que Sebastian ne pouvait que la suivre en utilisant toutes les compétences équestres qu’on avait apprises au prince royal qu’il avait été dès qu’il avait eu l’âge de monter à cheval.
La muraille de pierre de Stonehome se trouvait devant et Sebastian vit les chevaux d’Emeline et de Cora bondir par-dessus en effleurant son sommet des sabots.
— Accrochez-vous ! cria Sebastian à Asha avant de donner du talon à sa propre monture pour qu’elle bondisse à son tour.
Elle bondit et Sebastian la sentit faire tomber des pierres du haut de la muraille, après quoi elle dût s’efforcer de retrouver son équilibre pour atterrir et rester debout dans le fossé d’au-delà. D’une façon ou d’une autre, elle y parvint puis ils se retrouvèrent sur la lande qui s’étendait au-delà du village.
— Lentement, maintenant, dit Emeline devant Sebastian.
Il fallut un ou deux moments de plus pour que Sebastian la voie à nouveau.
— Cora, calme Violette.
Au lieu d’aller vite, ils avancèrent avec précaution et, pour Sebastian, le pire était qu’il ne comprenait même pas pourquoi. Il savait qu’il devait y avoir des soldats qui gardaient l’endroit et qui étaient peut-être même à leur recherche, maintenant, mais il ne savait pas où ils étaient. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était rester prêt à utiliser son épée et espérer qu’aucune des ombres qu’ils voyaient dans le brouillard ne regardait dans leur direction.
Combien de temps continuèrent-ils à avancer comme cela ? Pendant des heures, peut-être. C’était impossible à dire, car le brouillard obscurcissait même le passage du soleil dans le ciel et la tension que ressentait Sebastian allongeait chaque instant comme s’il durait une vie entière. Ils firent traverser à leurs chevaux ce qui devait être le cœur des lignes de la Nouvelle Armée puis ils entrèrent dans la lande pas à pas.
— Il lutte contre le brouillard, dit Asha derrière Sebastian. Ses oiseaux tentent … de disperser … le brouillard.
Elle donnait l’impression d’être en train d’essayer de fermer une porte contre une armée entière.
— Il faut que vous teniez bon, dit Sebastian. Que puis-faire pour vous aider ?
Asha rit.
— Vous ne pouvez … rien faire mais, moi, je tiendrai bon … pour elle.
Elle ne dit rien d’autre. Sebastian continua à avancer pendant que, assise derrière lui, elle s’accrochait à sa taille d’une main et tenait le cœur luisant de la pierre de l’autre. Quand elle commença à s’accrocher moins fort à sa taille, Sebastian attrapa son bras et la tint en place pendant que leurs chevaux traversaient la lande d’un pas lourd.
Au bout d’une autre heure, alors qu’ils contournaient une tourbière qui était trop molle pour supporter leur poids, Asha tomba de la selle.
Sebastian s’arrêta et descendit d’un bond à côté d’elle pendant qu’Emeline et Cora démontaient devant eux et se ruaient vers eux avec Violette. Agenouillé à côté d’Asha, Sebastian lui offrit à boire de sa gourde. Elle réagit tout juste.
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