« Les deux », répondit Shelby, en croisant les bras.
Bryn n’eut pas l’air impressionnée. « Même s’il l’a trompée ? »
« Les filles ! », interrompit Keira. Elle n’était pas d’humeur pour les disputes. Ses yeux étaient toujours rivés sur l’écran de son téléphone portable.
Tout à coup, Bryn lui arracha son téléphone.
« Arrête de l’envisager ! », ordonna-t-elle à Keira.
« Je ne suis pas en train de le faire ! », cria Keira, qui essayait de se défendre.
Mais Bryn avait raison, il y avait une petite partie d’elle qui y songeait. Zach, malgré tous ses défauts, s’était soucié d’elle. Ils avaient passé deux ans ensemble, avaient vécu dans un appartement. Il avait été engagé, fiable. Et il était définitivement familier. C’était juste le fait qu’elle fasse passer le travail avant lui qui avait gâché les choses entre eux, enfoncé le coin qui l’avait poussé dans les bras attirants de Julia.
L’expression de Bryn ressemblait au tonnerre. Elle pendit le téléphone de Keira au-dessus de son verre de vin.
« Ne m’oblige pas à l’y tremper », dit-elle.
Du coin de l’œil, Keira pouvait voir Maxine et Shelby secouer la tête en signe d’incrédulité face au comportement de diva de Bryn.
Elle soupira bruyamment. « OK OK. Je ne vais pas le voir. C’est ce que tu veux entendre ? »
Bryn hocha de la tête, satisfaite, et rendit son téléphone à sa sœur.
« Maintenant, supprime le message et élimine le de tes contacts. »
Keira souffla bruyamment.
« C’est ridicule », murmura Shelby entre ses dents.
Keira regarda son téléphone, les coordonnées de Zachary. Ils avaient été là depuis des années. Elle ne pouvait pas simplement le supprimer comme s’il n’avait jamais existé.
Mais elle devait accepter que Bryn avait raison, encore une fois, malgré ses tactiques brutales. Car raviver le contact avec Zach reviendrait à faire un pas en arrière. La vie de Keira avait tellement changé en si peu de temps, qu’il y revienne à n’importe quel titre serait comme une régression. Elle devait passer à autre chose, avancer. Pas seulement vis-à-vis de Zach, mais aussi de Shane. Il était à présent temps pour elle de briller, de voler de ses propres ailes et de devenir indépendante.
Résolue, elle effaça ses informations, et regarda son nom disparaître de son téléphone. Elle se sentit bien, c’était stimulant. Si seulement elle pouvait avoir le courage de supprimer Shane aussi, alors elle aurait vraiment réussi. Mais non, pas encore, la douleur de leur rupture était encore trop réelle.
Keira leva les yeux vers sa sœur.
« Contente maintenant ? »
Bryn esquissa un grand sourire. « Bien évidemment. Je suis toujours contente quand je gagne. », puis elle ajouta malicieusement, « Et je m’assure toujours de gagner. »
Shelby grogna. Maxine plongea la tête dans ses mains, et la secoua théâtralement. Keira se contenta de rire, heureuse et soulagée d’avoir franchi la première étape pour passer à autre chose dans sa vie.
Keira découvrit vite que mettre le passé derrière elle était beaucoup plus facile à dire qu’à faire, et impliquerait bien plus que de supprimer symboliquement des contacts de son téléphone. Car à l’instant où elle arriva à l’aéroport de Newark le lendemain matin, elle fut assaillie de souvenirs de Shane, de l’Irlande.
Des fourmillements de nostalgie tourbillonnaient en elle pendant qu’elle traversait le hall. Quand elle remit sa carte d’embarquement à la porte, elle se remémora avec une clarté frappante les émotions qu’elle avait éprouvées la dernière fois – l’anxiété mêlée d’excitation et d’espoir. Cela ne faisait pas si longtemps, mais elle se sentait déjà complètement différente, plus triste, plus amère.
Elle monta dans l’avion et prit place. Heureusement, elle était près de la fenêtre, ce qui lui donnait une excuse pour ne pas interagir avec le passager à côté d’elle. Elle n’était pas d’humeur à bavarder. Malheureusement pour Keira, l’homme à côté d’elle semblait l’être. Alors qu’ils décollaient, il se pencha et parla.
« Je m’appelle Garrett. Jamais été à Naples avant ? », lui demanda-t-il en souriant jovialement.
C’était un homme d’âge moyen, légèrement dégarni. Il semblait voyager seul. Keira remarqua qu’il ne portait pas d’alliance mais que la peau était plus pâle là où un anneau s’était trouvé. Un récent divorcé, supposa-t-elle, et elle gémit intérieurement. Ces huit heures allaient être longues.
« Non », répondit-elle, laconique.
« Alors, pourquoi voyagez-vous aujourd’hui ? », ajouta-t-il. « Affaires ou loisir ? »
Keira se tassa sur son siège. « Affaires », expliqua-t-elle. « Je suis— »
Elle s’arrêta alors, et se rappela de ce que Bryn et Nina lui avaient dit dans le café, concernant l’idée de jouer avec de fausses identités pour s’amuser. Elle avait bien besoin d’un peu de distraction. « Je suis œnologue », dit-elle. « Parmi les meilleurs. En route vers l’Italie pour trouver des trésors cachés à importer. »
Garrett haussa les sourcils de surprise. « Voilà qui semble plaisant. Sacrément bien plus excitant que mon travail, en tout cas. »
« Oh ? », demanda Keira. « Quel travail exercez-vous ? »
« Je suis dans la comptabilité », dit-il. « Enfin, pas complètement. C’est un peu difficile à expliquer. C’est plus facile de dire que je suis comptable pour les comptables. Est-ce compréhensible ? »
Péniblement, pensa Keira.
« Oui », dit-elle à haute voix.
Comme il était étonnant qu’elle soit assise à côté d’un comptable. C’était comme si le destin essayait de lui dire d’abandonner la recherche de M. Correct et de s’installer avec M. Math !
« Enfin, je suis sûr que vous ne voulez pas m’entendre parler de mon travail », ajouta l’homme. « Le vôtre a l’air palpitant. Comment êtes-vous entrée dedans ? »
« C’est fascinant », poursuivit Keira. Elle s’étonna de la facilité avec laquelle elle mentait et de la joie qu’elle en retirait. « Mon père était un importateur de vin », ajouta-t-elle. « Il aimait son travail si passionnément que j’ai même été conçue dans un vignoble. »
Elle ressentit une petite étincelle d’excitation tandis que le mensonge sortait aisément de sa bouche. Elle entrait vraiment dans l’esprit de l’idée. Son propre père était parti quand elle était très jeune et n’avait pas du tout été impliqué dans sa vie, alors il était facile d’inventer un personnage pour lui. De plus, tout cet enjolivement allait s’avérer utile au cours de sa mission, pensa-t-elle, puisqu’elle allait devoir prétendre qu’elle croyait encore en l’amour.
« Oh mon dieu », dit l’homme à côté d’elle.
« Je sais. Il s’est marié là aussi. Mais malheureusement, il est également mort dans ce même vignoble. » Elle soupira théâtralement. « C’était simplement évident de l’enterrer là aussi. »
Keira remarqua la façon dont l’homme bougea pour augmenter la distance entre eux. Il perdait la volonté de lui parler, probablement à cause de la façon dont elle avait orienté la conversation vers la morbidité. Elle rit en son for intérieur en essayant de se concentrer sur le film à bord.
L’avion s’élevait plus haut dans l’air. Bientôt, les nuages furent loin en dessous d’eux.
Ayant enfin la paix et la tranquillité, Keira profita de l’occasion pour parcourir le programme que Heather lui avait préparé. Immédiatement, cela lui rappela des souvenirs de sa dernière affectation. Heather avait utilisé la même police, la même mise en page cliniquement organisée avec des puces et des en-têtes. Pendant le mois en Irlande, Keira l’avait sali, recouvert de Guinness et de gras provenant des copieux petits-déjeuners irlandais qu’elle avait pris avec Shane. Il n’y avait aucune chance que cela se produise cette fois. Elle pouvait déjà sentir à quel point les choses seraient différentes pour cette deuxième mission. Elle se sentait plus âgée. Plus blasée.
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